Vous êtes le chevalier des Grieux et prenez la plume pour répondre à Manon. Votre lettre mêlera les registres pathétique et polémique et fera au moins deux pages.

« Chapitre 5 L'épistolaire du couple, elle est la source de la confiance.

Aimer, c"est se donner à l"autre, à son amant, mais c"est aussi renoncer aux plaisirs de la débauche charnelle.

Nous ne nous sommes pas encore mariés, mais il me semblait que nous nous enga­ gions à cette fidélité conjugale.

Es-tu si assoiffée de plaisirs pour ne pouvoir renoncer aux corps des autres hommes? Est-ce une femme aimante ou une rouée dévergondée que j"ai choisie d"aimer? Tu dis, tu oses écrire qu·un autre va« tom­ ber dans [t]es filets» 1 Mais comment pouvais-tu croire que l"évocation d"un autre homme te tenant, te serrant dans ses bras, allait me laisser froid et indifférent? C"est moi le propriétaire de ton corps, c"est moi et moi seul qui ai le droit d"en user: tels Tristan et Yseult, je pensais que nous nous étions donnés l"un à l"autre, totalement, absolument.

Je vois que je m"étais trompé; aveuglé, je l"ai été par tes sourires et tes minauderies perfides.

Tu n"es pas capable d"un tel don :le renon­ cement aux délices de la chair est un sacrifice trop grand qu"on ne peut exiger de toi.

Nulle grandeur en ton âme, nulle volonté de dominer les instincts du corps.

Juste une faiblesse de femme ...

Tu me trouveras injuste, tu crieras à lïncompréhension.

Tu clameras que c"est la faim qui fa poussée à agir ainsi et que c"est pour me sauver, pour me nourrir que tu te donnes aujourd"hui à un autre homme! La faim, Manon! Mais quand on s"aime, elle peut être surmontée.

C"est vrai, notre fortune est plus que fragile; c"est vrai que nos revenus sont modestes et quïls ne nous permettent pas de mener grand train.

Je serais aller trouver mon père, je serais aller lui demander quelques fonds ...

mes larmes l"auraient touché, ému.

Il nous aurait fourni de quoi subsister, modestement certes, mais honnêtement.

Mais toi, Manon la sensuelle, tu n"as pas eu la patience d"attendre! Toi, ce n"est pas d"une vie modeste dont tu rêves, c"est dans un tourbillon mondain que tu veux te jeter et te noyer.

Jeux, caves, cartes ...

Voilà où sont tes désirs 1 Tu les fondes en des châteaux de paco­ tille que le hasard peut faire s"effondrer.

La roue de la fortune n"est qu"une incons­ tante, qui fait de nous de misérables pouilleux.

Elle nous séduit, nous fait miroi­ ter des merveilles puis nous abandonne plus bas que terre! Notre ruine ne devait­ elle pas nous servir de leçon? Après avoir joué et après avoir tout perdu, ne devions-nous pas aspirer à gagner de l"argent moins abondamment mais plus sûre ment? C" est la résolution que j" avais prise et que tu semblais approuver.

«Plus de jeux, plus de hasard, plus de folies des grandeurs>>, m"affirmais-tu.

Et je te croyais sincère! Quand je voyais couler sur tes charmantes joues des larmes, je les prenais pour des larmes de repentir.

C"étaient des larmes de traîtrise, de malice.

Ah! combien j"ai été dupe! combien tes charmes de nouveau m·ont joué 1 Pauvre Des Grieux : incapable de percer à jour les minauderies hypocrites d"une fille sans foi.

Bientôt, tout Paris se gaussera de ma naïveté : Des Grieux joué et dupé par Manon, voilà un sujet tout trouvé pour une bonne farce! Pourquoi ne pas avoir cherché une solution honnête à notre misère? Pourquoi ne pas avoir pensé à travailler? Tu aurais pu te faire embaucher par la repriseuse de la rue des Halles.

Tu es habile de tes mains ...

tu aurais mis ce don de Dieu à profit.

Les jour­ nées auraient été laborieuses, mais quïmporte, puisque nous nous aimons! lU ...

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