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Diderot, Jacques le Fataliste. Le grand rouleau

Publié le 19/03/2015

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Le grand rouleau

Le maître: Et qu'est-ce que c'est qu'un homme heureux ou malheureux?

Jacques : Pour celui-ci, il est aisé. Un homme heureux est celui dont le bonheur est

écrit là-haut ; et par conséquent celui dont le malheur est écrit là-haut est un

homme malheureux.

Le maître : Et qui est-ce qui a écrit là-haut le bonheur et le malheur?

Jacques : Et qui est-ce qui a fait le grand rouleau où tout est écrit ? Un capitaine,

ami de mon capitaine, aurait bien donné un petit écu pour le savoir; lui, n'aurait

pas donné une obole, ni moi non plus ; car à quoi cela me servirait-il ? En éviterais-

je pour cela le trou où je dois m'aller casser le cou?

Le maître : Je crois que oui.

Jacques : Moi, je crois que non; car il faudrait qu'il y eût une ligne fausse sur le

grand rouleau qui contient vérité, qui ne contient que vérité, et qui contient toute

vérité. Il serait écrit sur le grand rouleau : « Jacques se cassera le cou tel jour«, et

Jacques ne se casserait pas le cou ? Concevez-vous que cela se puisse, quel que soit

l'auteur du grand rouleau?

Diderot, Jacques le Fataliste.

diderot

« 76 Le temps de vivre diale ».

Dénombrera-t-il exhaustivement toutes les causes ? En restituera-t-il la terrible dialectique,jusqu'au premier coup de canon ? Peut-être.

Mais son point de vue est d'historien, obser­ vateur extérieur, et non d'acteur.

L'acteur, c'est d'abord Jaurès, persuadé que pour faire la guerre il faut le vouloir, et que la gâchette du fusil ne part pas toute seule.

La guerre n'est pas un tremblement de terre subi en raison des lois de la nature.Jusqu'au premier affrontement, la paix reste toujours possible, sauf à confondre le probable et le nécessaire.

Si l'on considère cette différence, qui ouvre à l'initiative sa liberté, rien de ce qui touche les hommes ne peut se trouver déjà écrit.

Le livre de l'histoire est d'abord fait de pages blanches.

Sauf à imaginer une encre invisible dont la teinte apparaît à mesure, découvrant un texte secret, ponctué jusqu'à l'épilogue.

Il est une certaine façon de saisir la cohérence du monde, de son roman tragique, qui le voit écrit par un Dieu romancier ou dramaturge.

Dieu sait-il ce qu'il écrira au dernier chapitre ? Assurément, si l'ensemble de l'argument exprime sa perfec­ tion optimale par un scénario qui le réalise dans une histoire temporelle.

Sachant le « fin mot de l'histoire »,Dieu agence le tableau du monde et finalise l'aventure totale par l'aboutisse­ ment ultime.

De cette logique immanente, mais d'origine transcendante, les hommes ne savent rien, car ils sont assignés à la particularité de leurs destins individuels, et leur libre arbitre même accomplit à leur insu l'itinéraire fixé.

Compren­ draient-ils vraiment la logique d'ensemble qu'ils se situeraient du point de vue de Dieu lui-même : ils auraient alors à régler leurs actions selon l'idée de ce qui doit advenir, dénouant ainsi le conflit entre un libre arbitre qui n'aurait plus rien d'arbi­ traire et une nécessité qui cesserait de leur être extérieure, c'est-à-dire d'être vécue comme une contrainte.

Mais une telle situation n'est tout au plus qu'un cas idéal, réalisant sans restriction la lucidité agissante.

Celle-ci articule liberté et nécessité assumée.Jacques et son maître n'évoquent le « grand rouleau » qu'à la façon dont on se réfère à un livre inaccessible.

Allégorie de l'histoire humaine en ses enchaîne­ ments mystérieux, qui ont tout l'air pourtant d'obéir à une logique, même si celle-ci se cache sous l'absurdité apparente des événements.

Une telle évocation relève-t-elle du fatalisme ? On y verra plutôt la conscience de l'entrelacement des vies et des séries de phénomènes.

Ce qui adviendra n'est nullement. »

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