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Texte de Hannah ARENDT: Vérité et Politique (texte bac L - 20016)

Publié le 15/06/2016

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arendt

Expliquez le texte suivant :

Est-ce qu'il existe aucun fait qui soit indépendant de l'opinion et de l'interprétation ? Des générations d'historiens et de philosophes de l'histoire n'ont-elles pas démontré l'impossibilité de constater des faits sans les interpréter, puisque ceux-ci doivent d'abord être extraits d'un chaos de purs événements (et les principes du choix ne sont assurément pas des données de fait), puis être arrangés en une histoire qui ne peut être racontée que dans une certaine perspective, qui n'a rien à voir avec ce qui a eu lieu à l'origine ? Il ne fait pas de doute que ces difficultés, et bien d'autres encore, inhérentes[1] aux sciences historiques, soient réelles, mais elles ne constituent pas une preuve contre l'existence de la matière factuelle, pas plus qu'elles ne peuvent servir de justification à l'effacement des lignes de démarcation entre le fait, l'opinion et l'interprétation, ni d'excuse à l'historien pour manipuler les faits comme il lui plaît. Même si nous admettons que chaque génération ait le droit d'écrire sa propre histoire, nous refusons d'admettre qu'elle ait le droit de remanier les faits en harmonie avec sa perspective propre ; nous n'admettons pas le droit de porter atteinte à la matière factuelle elle-même. Pour illustrer ce point, et nous excuser de ne pas pousser la question plus loin : durant les années vingt[2], peu avant sa mort, se trouvait engagé dans une conversation amicale avec un représentant de la République de Weimar[3] au sujet des responsabilités quant au déclenchement de la Première Guerre mondiale. On demanda à  : « À votre avis, qu’est-ce que les historiens futurs penseront de ce problème embarrassant et controversé ? » Il répondit : « Ça, je n’en sais rien, mais ce dont je suis sûr, c’est qu’ils ne diront pas que la Belgique a envahi l’Allemagne. »

Hannah ARENDT, « Vérité et politique », 1964.


[1] Inhérent : qui appartient essentiellement à quelque chose.

[2] Années vingt : période de 1920 à 1929.

[3] République de Weimar : régime politique de l’Allemagne de 1919 à 1933. 

Avertissement : il ne s’agit ici que de pistes de réflexion et non d’une copie type nécessairement attendue par vos correcteurs. D’autres approches, d’autres thèses et arguments sont possibles. 

Le totalitarisme vient bouleverser les catégories traditionnelles de la philosophie, de la morale, de la politique. La pensée, démunie, doit trouver de nouvelles ressources (combat). L’enjeu est de ne pas perdre sa qualité d’événement en tant qu’événement parce qu’il ne serait pas accompagné du processus de compréhension sinon il risque de perdre le sens qui aurait pu être le sien. L’impuissance de la tradition signifie l’impuissance de ce qui du passé nous est transmis et est censé faire autorité : manières déterminées de penser le pouvoir et la politique, la politique et ce qui s’en distingue, la politique et la philosophie. La tradition de Platon à Kierkegaard-Marx-Nietzsche offre de multiples visions du monde toujours plus ou moins inscrites dans un cadre plus ou moins dualiste et dans le conflit originel de la politique et de la philosophie. Si les renversements des trois visent à comprendre la modernité, ils restent inscrits dans le cadre traditionnel qu’ils rejettent, leurs renversements relèvent encore de la décision, de l’attitude de penser. La rupture ne peut être franche car elle n’a pas encore eu lieu dans le réel. Elle rejette l’idée d’une causalité spirituelle, la pensée à elle seule ne produit rien, il n’y a de vraie rupture qu’au sein de la réalité. La rupture avec la philosophie politique traditionnelle n’est pas une cause de l’événement totalitaire, mais l’attitude à laquelle l’événement totalitaire nous contraint. La crise manifestée dans le totalitarisme s’accompagne d’une possibilité pour la pensée, une chance (sans être dialectisation du mal), permet un regard neuf sur la tradition. La lutte d’Arendt est celle contre les tentatives de clôture du sens (qui est totalitaire : destruction du sens) : ouverture à la pluralité du sens, qui ne peut être trouvée dans a) les sciences humaines qui veulent un homme prévisible (critique de Arendt du concept de comportement) et qui en faisant de l’homme leur objet ne peuvent plus en faire leur centre b) la philosophie politique classique ou moderne car celle-ci vise toujours d’une certaine manière la domination ou au surplomb de l’activité par la raison avec pour conséquence une confusion entre les domaines de l’activité, la spécificité de l’action comme activité propre au domaine politique (comme action collective, capacité de commencer) se trouve perdue parce que calquée sur d’autres modèles : celui du travail ou de la fabrication (Condition de l’homme moderne) (travail, œuvre, action). C’est pourquoi l’ouverture à la pluralité du sens consiste dans la redécouverte de la distinction entre les formes de l’activité humaine. Chacune ne pourra prendre son sens que par leur mise en correspondance avec les conditions proprement humaines de l’existence : natalité, mortalité, être au monde, pluralité (I). La modernité exige de penser la condition humaine. Cette pensée doit se faire par la recherche d’expériences fondamentales et d’expériences authentiquement humaines dans son temps (analyste politique) et dans le rapport au passé philosophique (passéiste). La réappropriation des pensées du passé permet de mettre en route le processus de compréhension des événements présents comme mise en correspondance de l’expérience humaine avec les conditions proprement humaines d’existence. Cette réflexion sur les conditions est l’ancrage philosophique de sa pensée permet de comprendre : -a) pensée du langage : importance accordée aux distinctions notionnelles, étymologie (non pas uniquement érudition). Le langage philosophique contrairement au langage scientifique est un prolongement du sens commun et porte en lui les expériences qui lui ont donné son sens. Le langage est lieu privilégié pour le sens qu’il faut faire éclore. –b) quête des expériences appartient au processus indéfini de compréhension qui est le rôle de la pensée. Un événement ne prend pas sens si une pensée cherche à le réduire, à le soumettre en le rationnalisant mais si elle s’efforce de l’accompagner et le prolonger par le processus de compréhension. Les erreurs d’interprétation chez Arendt des auteurs ou des événements ont peu d’importance : la pensée ouverte, non systématique, ne constituant pas une vision du monde ne peut éviter les erreurs car elle ne peut se permettre de se fixer comme fin la vérité (contraire de l’erreur). L’erreur ne bloque pas le processus de compréhension contrairement au mensonge, à la fuite, manque d’audace : la pensée est prise de risque et n’a de respect absolu que pour les vérités de fait. Le choix du terme de « totalitarisme » pour désigner à ses yeux un régime inédit (X : réaction conceptuelle (bouclier et étendard, inflation) est morale pour distanciation, ne pas être associé, se reconnaître : démarche inactuelle). Le néologisme pour elle évite le discours des pseudos sciences et le poids de la tradition : concept non pas vide mais porteur de sens, de l’expérience fondamentale de la communauté humaine : expérience de la désolation. Volonté d’une pensée humaniste : anthropocentriste : pour elle, il n’y a rien à refaire : aucune solution ne vient de la pensée puisque la pensée ne doit pas vouloir réaliser une nature, mais exigence pour la pensée de se mettre au service du sens pour que l’homme trouve des repères afin de toujours commencer.

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