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Bernard Manin - Principes Du Gouvernement Représentatif

Publié le 22/03/2014

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Fiche de lecture : 

Présentation de l’auteur et contexte de la publication Né en 1951 à Marseille, Bernard Manin intègre l’Ecole normale supérieure en 1970 et est reçu à l’agrégation de philosophie en 1973. Il obtient un an plus tard une maîtrise de science politique à l’Université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne. Après avoir enseigné en khâgne, avoir été chargé de recherche au CNRS puis associate professor à l’Université de Chicago il obtient en 1995 (année de la publication de Principes du gouvernement représentatif) un doctorat à l’Institut d’étude politique et l’habilitation à diriger des recherches en science politique. Un an plus tard, il devient professeur de politique à la New York University et directeur de recherche à l’école des Hautes études en sciences sociales. La même année il obtient un poste à l’Institut d’études politiques de Paris avant d’y devenir professeur des universités en 2000. 

Les travaux de Bernard Manin sont surtout connus concernant le libéralisme et la démocratie représentative. Parmi ses ouvrages on peut citer La Social-démocratie ou le compromis(1979) ainsi que Le Régime social-démocrate(1989), tous les deux coécrits avec Alain Bergounioux. Mais également Democracy, Accountability and Representation en codirection avec Adam Przeworski et Susan Stokes publié en 1999. 

Publié en 1995 puis réédité en 1996, Principes du gouvernement représentatif présente une analyse pertinente de la démocratie représentative, de sa mise en place, ses contradictions et évolutions. 

Son année de publication correspond à une période d’élection présidentielle au cours de laquelle Jacques Chirac (qui est élu) se démarque en mettant en avant le point clé de sa campagne : « combattre la fracture sociale «. Il s’agit de résorber le fossé qui s’est installé entre les citoyens intégrés à la société et les exclus sociaux. Cette publication a donc lieu dans un contexte où la société est divisée et une partie de celle-ci se sent rejetée, mise à l’écart. 

Un autre point important doit être ajouté, point extrait d’une lettre de Jacques Chirac, peu après son élection, qui s’adresse à L’Assemblée nationale. Jacques Chirac affirme en effet : « Au cours du grand débat national qui vient d’avoir lieu, nous avons tous constaté qu’à la fracture sociale s’ajoute aujourd’hui une distance croissante entre le peuple et ceux qui ont vocation à le représenter « et ajoute plus loin « Cette distance entre le peuple et ses représentants doit impérativement être réduite. Il en va de notre cohésion nationale et de notre capacité à réformer la société. « 

Le livre de Bernard Manin théorise cette distance entre les représentants et les représentés comme une des contradictions inhérentes à la démocratie. L’ouvrage est donc en totale adéquation avec l’état de la société et les défis que doit relever le gouvernement lors de sa parution. 

La thèse du livre Selon Bernard Manin, le gouvernement représentatif est « le système institutionnel, aboutissant à des décisions politiques, dans lequel des individus acquièrent le pouvoir de statuer sur ces décisions à l’issue d’une lutte concurrentielle portant sur les votes des peuples « (p.208) 

Bernard Manin interroge dans son livre ses fondements historiques, ses principes ainsi que ses évolutions. 

L’ouvrage peut se décomposer en trois parties : une première traitant de l’abandon progressif de la démocratie directe au profit de la démocratie représentative (ce que Bernard Manin appellera « le triomphe de l’élection «), viennent ensuite les principes et contradictions inhérentes à ce type de gouvernement qui pourtant s’est imposé comme la norme des gouvernements contemporains, enfin une troisième partie interroge les métamorphoses de la démocratie représentative. 

Démocratie directe et démocratie représentative Dès les premières pages, l’auteur établit une différence entre la démocratie directe et la démocratie représentative. La première repose sur le tirage au sort alors que la deuxième se base sur l’élection. 

Bernard Manin présente ensuite une analyse de la démocratie antique à travers laquelle il démontre que le principe de la démocratie athénienne était que tout citoyen devait pouvoir occuper successivement la place de gouverné et de gouvernant. Le principe du tirage au sort permettait l’égale probabilité de gouverner et donc assurait que tout gouvernant n’était pas choisi pour ses talents ou son statut social. Il est donc l’instrument d’une justice démocratique. 

L’élection s’oppose donc au tirage au sort puisqu’elle repose sur la distinction. En effet tout citoyen aspirant à être élu devra se distinguer des autres candidats pour être élu : par son talent d’orateur, son statut social, ses études… autant de facteurs qui sont profondément inégalitaires. Bernard Manin affirme : « Ce qui définit la représentation, ce n’est pas qu’un petit nombre d’individus gouvernent à la place du peuple, mais qu’ils soient désignés par l’élection exclusivement « (p.61). Par cette phrase il fait le lien avec les conclusions de Harrington, Guicciardini, Montesquieu et Rousseau : le suffrage par le sort est attaché à la démocratie, l’élection à l’aristocratie. L’élection, par ce principe de distinction, amène à choisir une élite qui gouvernera le peuple. Et l’auteur de souligner : « Ce n’est pas sans raison que les termes d’élection et d’élite ont la même étymologie et que, dans plusieurs langues, le même adjectif désigne à la fois un individu distingué et celui qui est choisi. « 

On se pose alors la question suivante: pourquoi l’élection s’est-elle imposée aux gouvernements modernes alors même que le tirage au sort, mode de suffrage qui avait fait ses preuves aussi bien dans les démocraties antiques que dans les républiques italiennes ou à Florence, semblait parfaitement s’accorder aux principes d’équité de la démocratie ? 

L’élection est devenue le trait caractéristique de nos gouvernements actuels car, comme tous les théoriciens de l’Ecole du droit naturel, les révolutionnaires français et américains pensaient que le consentement devait être à la source de l’autorité légitime. Ainsi face au tirage au sort qui apparaissait comme un mécanisme de répartition des tâches, l’élection légitimait l’accession au pouvoir. Toute accession au pouvoir devait s’accorder avec le consentement et la volonté générale des autres citoyens. 

Pourtant Bernard Manin affirme que la démocratie représentative a un double visage : elle est « à la fois indissociablement égalitaire et inégalitaire, aristocratique et démocratique «(p.191). Précisons que par le terme d’aristocratique, il ne parle pas d’une société d’ordre mais d’une sorte de cercle fermé que représentent les gouvernants, ayant tous une influence sociale due ou non à leur richesse. 

Parce que chaque citoyen a le droit de vote, que chaque voix a le même poids, que chaque citoyen a la possibilité de se proposer pour être gouvernant et que tout élu est dans une situation de dépendance par rapport à l’électeur, le gouvernement représentatif est égalitaire et démocratique. Mais cependant ces mêmes élus ne sont pas liés à leurs électeurs par des instructions impératives (ils ne sont donc pas obligés d’un point de vue législatif de respecter leurs promesses faites pendant leur campagne électorale). De plus, la pratique montre que seuls ceux qui ont les meilleures compétences sont sélectionnés : « Toute élection comporte forcément un élément non démocratique dans la mesure où elle ne peut conduire à la sélection du semblable « (p.195) 

Les 4 principes de la démocratie représentative Malgré cette contradiction la représentation reste un système de gouvernement extrêmement stable et relativement efficace. Cela est dû à ces quatre principes que Bernard Manin exprime : 

« Quatre principes ont toujours été observés dans les régimes représentatifs depuis que cette forme de gouvernement a été inventée : 

Les gouvernants sont désignés par élection à intervalles réguliers ; 

Les gouvernants conservent, dans leur décision, une certaine indépendance vis-à-vis des volontés des électeurs ; 

Les gouvernés peuvent exprimer leurs opinions et leur volonté politique sans que celles-ci soient soumises au contrôle des gouvernants ; 

Les décisions publiques sont soumises à l’épreuve de la discussion. « (p.252) 

Les gouvernants, comme on l’a vu plus tôt, n’ont aucune obligation formelle de se soumettre à la volonté du peuple. Deux institutions sont explicitement interdites par les régimes représentatifs : les mandats impératifs et la révocabilité permanente des élus. L’idée tient au fait que les députés sont censés représenter l’ensemble de la population et non pas la circonscription particulière qui les a élu, les électeurs de chaque circonscription ne sont donc pas habilités à leur donner des « instructions «. Parallèlement à cela, les gouvernés disposent d’une des libertés fondamentales qu’est la liberté d’expression. Elle semble être une contrepartie à leur impossibilité de donner des instructions aux élus. Ainsi, bien qu’aucune loi, aucun traité ne les obligent à mettre en œuvre ce que les gouvernés veulent, les gouvernants ne peuvent l’ignorer. A cela s’ajoute le fait que la durée des mandats des gouvernés est limitée. Parce qu’ils seront de nouveau soumis à l’élection à la fin de leur mandat, les gouvernés ont tout intérêt à prendre en compte l’opinion publique. Ils vont être incités à « anticiper le jugement rétrospectif des électeurs sur la politique qu’ils mènent « (p.228). Cependant, ajoute Manin, ce pouvoir est limité puisque rien ne garantit que les prochains élus respecteront davantage leurs engagements vis-à-vis des citoyens. 

Le quatrième principe traite du fait que toutes les décisions adoptées par le gouvernement sont d’abord soumise à l’épreuve de la discussion, discussion qui a lieu dans les assemblées. Le gouvernement représentatif a toujours été pensé avec des assemblées qui devaient représenter l’ensemble de la population et qui devaient statuer dans le but que l’ensemble des citoyens aille le mieux possible. Ainsi, selon Schmitt la vérité devant être à l’origine de la loi et émergeant toujours de la discussion, l’instance politique centrale doit être un lieu de discussion : une assemblée. Les structures du gouvernement représentatif sont une conséquence des croyances des citoyens. A l’inverse, Locke, Montesquieu, Burke, Madison ou Sieyès pensent que l’apparition des assemblées est due aux évolutions historiques et qu’ainsi assemblées et représentation sont liés. Par sa nature, l’assemblée entraîne des discussions puisqu’elle est constituée d’éléments hétérogènes (chaque classe sociale devant être représentée). Le rôle conféré à la discussion s’explique donc par ces facteurs historiques et structurels plutôt qu’à partir d’une croyance préétablie. 

L’assemblée doit donc statuer sur des points et parvenir à un consentement général alors même qu’elle est composée d’un ensemble d’individus d’opinions différentes et au poids politique égal. L’assemblée est donc le lieu de persuasion, chacun essayant de rallier une majorité de personnes à sa cause. Sieyès consacre un passage sur la discussion dans son livre « Vues sur les moyens d’exécution dont les représentants de la France pourront disposer en 1789 « : il y explique que la disparité des assemblées amène forcément une discordance au début des discussions, d’autant plus que le gouvernement représentatif refuse d’accorder plus de poids à une partie de l’assemblée. Mais ce qui confère à la discussion sa valeur de décision n’est pas le fait qu’elle permette qu’une proposition soit discutée mais qu’elle aboutisse à un consentement d’une majorité de personne sur l’intérêt de cette proposition. Bernard Manin définit ce principe de la façon suivante : « Une mesure quelconque ne peut acquérir une valeur de décision que si elle a emporté le consentement de la majorité à l’issue d’une discussion. Le consentement de la majorité, et non la discussion elle-même, constitue ainsi la procédure de décision « (p.243) A cela, l’auteur ajoute que ce principe n’est absolument pas à l’origine des propositions soumises à la discussion. N’importe qu’elle proposition peut être soumise à l’assemblée, la discussion joue juste le rôle de filtre : « le gouvernement représentatif n’est pas un régime où tout doit naître de la discussion, mais où tout doit être justifié par la discussion « (p.244) 

Bernard Manin distingue trois phases successives : le parlementarisme, la démocratie des partis puis la démocratie du public. Il analyse chacune d’elle selon les 4 principes du gouvernement représentatif (l’élection des gouvernants, leur indépendance relative, la liberté de l’opinion politique, l’épreuve de la discussion). Si le gouvernement représentatif subit de nombreux changements il faut souligner que ceux-ci s’accompagnent de l’élargissement progressif de l’électorat : le suffrage universel est établi. 

Le parlementarisme est la forme originelle du gouvernement représentatif et atteint son apogée au XIXème siècle. L’élection des gouvernants consiste alors à choisir une personne de confiance avec qui des liens locaux et/ou personnels ont été établis. L’élu type est alors symbolisé par la classe notariale. Les élus venant d’une élite éclairé sont entièrement libre de leur décision et n’ont aucun lien d’obligation lors de leur choix. L’expression électorale ne coïncide pas avec l’opinion publique c’est pourquoi cette dernière s’exprime hors de la relation électorale : des mouvements protestataires viennent exprimer leur mécontentement « aux portes du Parlement «. Les discussions ont lieu au sein du Parlement, chaque représentant étant libre de changer d’avis au cours de la discussion. Le parlementarisme du XIXème siècle est considéré à l’origine comme le modèle type du gouvernement représentatif, ses inventeurs voient même la division en partis comme une menace à ce système gouvernemental. 

Au début du XXème siècle, la démocratie des partis succède au parlementarisme. Certains analystes interprètent l’apparition des partis comme le signe d’une crise de la représentation.Ces partis rassemblent de manière pérenne et structurée des citoyens aux idéaux communs et ils transforment le paysage politique. La fidélité à un parti remplace la fidélité à un homme, chaque parti étant représentatif d’une classe sociale. Dès lors, voter est un acte d’affirmation de son appartenance à une classe sociale. Le citoyen vote donc pour un individu que son parti a choisi, cet individu ayant été choisi pour son militantisme au sein du parti et non pour son statut social. La liberté des dirigeants et celle des électeurs est limitée puisque désormais il s’agira de rentrer dans le cadre d’un parti et d’en suivre le programme. Les élus gardent cependant une indépendance relative puisqu’ils peuvent hiérarchiser les priorités au sein du programme. L’opinion publique quant à elle peut si elle le souhaite rejoindre l’opposition si elle estime qu’il n’y a pas de coïncidence entre ses souhaits et l’expression électorale. La discussion n’a plus lieu dans les parlements où chaque député reste fidèle aux positions de son parti. Les discussions ont lieu préalablement aux votes en assemblée, soit au sein des partis, soit entre partis afin de former des alliances en vue d’acquérir une majorité au parlement. Menaçant au début, ce type de gouvernement va ensuite être vu comme une nouvelle sorte de gouvernement représentatif dans laquelle le lien entre gouverné et gouvernant est renforcé puisque maintenant que l’avènement des partis signe la fin de l’élitisme gouvernemental et le début du militantisme politique, le programme politique étant l’instrument de base de tout homme politique. Les points de controverse tiennent au fait que les gouvernants semblent ne plus être indépendants puisqu’ils expriment la volonté de leur parti et qu’ainsi la discussion était absente des parlements. Or on l’a vu plus tôt tous les principes originels du gouvernement représentatif demeurait en vigueur, leur forme avait juste changée. Au final la démocratie des partis paraît être une avancée puisqu’elle rapproche les gouvernés et les gouvernants et est donc plus démocratique que le parlementarisme. 

Mais l’identification partisane laisse peu à peu place à une nouvelle forme de démocratie : la démocratie du public, dernière métamorphose contemporaine de la démocratie. Celle-ci se caractérise par le fait que l’électorat ne se focalise plus autour de députés mais d’un chef d’Etat.L’apparition de nouveaux moyens de communications (sondages, journaux indépendants des partis) permet à l’homme politique de véhiculer une image et donne lieu à une re-personnalisation du choix électoral. Tout aspirant à être élu doit maintenant être un expert en communication. Il peut donc jouer sur son image et garde ainsi une marge d’indépendance assez importante, d’autant plus que les promesses électorales restent floues. L’opinion publique forme maintenant sa pensée à partir de journaux indépendants, ses réflexions ne s’inscrivent plus dans la droite lignée d’un parti mais chaque citoyen se forme sa propre opinion. Les sondages tiennent quant à eux le rôle de catharsis, ils permettent aux citoyens de s’exprimer et les échanges entre gouvernants et gouvernés se pacifient. Les discussions ont lieu dans les médias et chaque parti se rallie à l’opinion de son leader. Le fait que ces discussions soient rendues publiques aux travers des médias et s’adressent à des électeurs informés par des sources neutres a pour conséquence un électorat flottant qui change de camp politique entre deux débats ou deux élections. 

Ce passage de la démocratie de partis à la démocratie d’opinion représente à nouveau une rupture : « Une curieuse symétrie apparaît ainsi entre la situation actuelle et celle de la fin du XIXème et du début du XXème. « (p.251) L’idée d’une crise de la représentation semble en effet d’actualité lors de la sortie du livre de Bernard Manin comme le montre le discours de Chirac cité précédemment. En mettant en parallèle ces deux crises, l’auteur suggère qu’il ne s’agit pas tant d’une crise de la représentation que celle d’une forme particulière du gouvernement représentatif. Ce qui est particulièrement reproché à ce que B.Manin appelle la démocratie du public c’est le caractère élitiste qui réapparaît quant aux choix des élus. Si certes la démocratie de partis à favoriser un rapprochement entre électeurs et élus, les dirigeants des partis s’assimilaient à une sorte d’élite qui menait un train de vie sensiblement différent des citoyens ordinaires. Le gouvernement d’élite semble donc être une des caractéristiques inhérente au gouvernement représentatif : la démocratie du public ne voit donc se dessiner que « l’ascension d’une élite d’un type nouveau et le déclin relatif d’une autre « (p.300). Un autre reproche consiste au fait que les élus sont maintenant amenés au pouvoir par leur personnalité médiatique et non plus en fonction du programme qu’il présente. Le pouvoir du peuple quant aux décisions qui vont être prises semble encore plus limité. A cela l’auteur répond que les institutions de la représentation visent à soumettre l’élu au jugement des gouvernés, quelles que soient les décisions prises, celle-ci seront prises en compte par les électeurs lors de la prochaine élection. En ceci, le gouvernement représentatif demeure démocratique de tout temps. 

La technique du vote est en fait un moyen d’équilibrer les souhaits des citoyens qui participent par ce biais à la vie publique et des élites traditionnelles qui tout en prenant en compte cette participation profite de la dimension aristocratique de l’élection. Après avoir dessiné les principes fondamentaux du gouvernement représentatif, l’auteur en dégage une grille d’analyse de son évolution. On perçoit alors, que loin d’être le gouvernement du peuple par le peuple lui-même, la démocratie n’est possible que quand un ensemble de facteurs sont mis en place et que le souhait originel des révolutionnaires n’a jamais été autre que de permettre à une élite éclairée de gouverner. 

La critique de l’ouvrage L’analyse de Bernard Manin est passionnante et donne un éclairage pertinent sur nos institutions. Cependant plusieurs points de critique peuvent être soulevés dans sa façon d’appréhender notre démocratie actuelle. Tout d’abord il réduit la parole de l’opinion publique aux sondages. Ensuite, il n’évoque à aucun moment la menace que représente la dépolitisation de la société pour la démocratie. Enfin il ne prend pas en compte la possibilité que l’électorat ne puisse s’identifier à aucun des potentiels élus et ne puisse donc pas exprimer son opinion par le biais du vote. 

Pour l’auteur, le seul moyen qu’a l’opinion public pour s’exprimer sont les sondages et ils n’accordent presque aucune importance aux mouvements sociaux. Or de mai 68 aux manifestations anti-CPE (Contrat de première embauche) en 2006 il est évident que notre société est marquée et accorde une grande importance aux mouvements sociaux comme arme face au pouvoir politique. 

Bernard Manin parle d’un électorat flottant mais s’arrête à cette vision des faits et ne parle en aucun cas d’un désintérêt de la politique qui pourrait menacer ce gouvernement représentatif. En effet, notre société est le lieu d’une désillusion politique en parti due à cet éloignement entre représentants et représentés et exacerbée par un individualisme grandissant. Tocqueville observait déjà ce phénomène au XIXème siècle dans son livre De la Démocratie en Amérique : la démocratie par définition respecte les libertés individuelles. Ainsi tout individu a le droit d’avoir une vie privée et une vie publique. Cependant, il arrive que la sphère privée l’emporte sur la sphère publique, l’individu n’arrivant pas à trouver sa place dans la sphère publique se détache complètement de celle-ci pour s’accomplir pleinement dans la sphère privée. Là est le plus grand danger de la démocratie. Cette montée d’individualisme entraîne une dépolitisation de la société. Or si celle-ci ne s’exprime pas, il devient impossible que le gouvernement en place réponde à ces attentes. Cet individualisme est d’autant plus important dans nos sociétés actuelles où le libéralisme est le modèle économique et politique le plus répandu. 

Comment réussir à faire en sorte que le peuple puisse s’accomplir pleinement dans la sphère publique ? Comment est-il possible que face à une pluralité de partis il ne puisse se forger son opinion politique ? Bernard Manin l’explique dans son livre, les sondages, les journaux apportant des points de vus objectifs obligent l’électorat à choisir par lui-même. Or confronté à toutes les informations auxquelles s’ajoutent actuellement une multiplication des partis politiques les citoyens semblent déboussolés. De plus l’opinion publique semble avoir perdu confiance dans les hommes politiques, tous apparaissant comme des personnages assoiffés de pouvoir. Il est donc tout à fait possible que l’électeur ne soit séduit par aucun des programmes électoraux proposés. 

Se dresse alors un problème : le fait que vote blanc et abstention soient comptabilisés au même titre. Ne pas voter revient légalement au même que voter blanc alors que les gestes ont des significations sensiblement différentes. Voter blanc est un acte politique, il exprime le souhait d’une amélioration, un attachement en tant que citoyen à la démocratie. Ne pas voter n’est pas un acte politique, c’est un acte de dépolitisation : cela montre un désintérêt de la politique. Si voter blanc revient au même que ne pas voter, toutes les personnes voulant voter blanc ne voteront pas, la dépolitisation de la société n’en sera que plus grande . Il faudrait alors que les électeurs puissent protester au travers du vote blanc, qui exprimerait leur mécontentement et leur déception de ne trouver aucun parti qui leur correspond. 

A aucun moment le caractère normatif de la démocratie représentatif n’est énoncé. En principe, toute la population doit pouvoir être représentée et doit pouvoir s’exprimer. Mais dans les faits, il existe une partie de la population qui semble ne pas pouvoir exprimer son opinion par le biais du vote, principe pourtant au fondement de la démocratie représentative.

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