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CHAPITRE QUATRE LE SIÈGE DE GONDOR

Publié le 29/03/2014

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CHAPITRE QUATRE LE SIÈGE DE GONDOR

Pippin fut réveillé par Gandalf. Des chandelles étaient allumées dans leur chambre, car il ne venait par les fenêtres qu’un pâle crépuscule : l’air était lourd comme à l’approche du tonnerre.

« Quelle heure est-il ? « demanda Pippin dans un bâillement.

« La deuxième heure passée, répondit Gandalf. Il est temps de vous lever et de vous rendre présentable. Vous êtes convoqué devant de la Cité pour apprendre vos nouveaux devoirs. «

« Et me fournira-t-il le petit déjeuner ? «

« Non ! Je m’en suis occupé : c’est tout ce que vous aurez jusqu’à midi. La nourriture est maintenant rationnée par ordre. «

Pippin regarda tristement la petite miche et la rondelle de beurre toute à fait insuffisante (à son avis) qui avaient été posées à son intention sur le côté d’une tasse de lait clair. « Pourquoi m’avez-vous amené ici ? « demanda-t-il.

« Vous le savez fort bien, dit Gandalf. Pour vous protéger du mal, et s’il ne vous plaît pas d’être ici, rappelez-vous que vous ne le devez qu’a vous-même. « Pippin ne dit plus rien.

Peu après, il parcourait une fois de plus avec Gandalf le froid corridor menant à la porte de la Salle de la Tour. Denethor y était assis dans une obscurité grise, comme une vieille et patiente araignée, pensa Pippin, il semblait n’avoir pas bougé depuis la veille. Il fit signe Gandalf de prendre un siège, mais Pippin fut laissé un moment debout sans qu’on lui prêtât aucune attention. Après un moment, le vieillard se tourna vers lui.

« Alors, Maître Peregrïn, j’espère que vous avez profité de la journée d’hier et que vous l’avez employée à votre goût ? Bien que la nourriture soit, dans cette cité, plus congrue que vous ne le désireriez, je le crains. «

Pippin eut l’impression désagréable que la plupart de ce qu’il avait dit ou fait était connu, d’une façon ou d’une autre, du Seigneur de la Cité, et que celui-ci avait deviné aussi une bonne partie de ses pensées : Il ne répondit pas.

Que voudriez-vous faire à mon service ?

« Je pensais que vous m’indiqueriez mes devoirs, Seigneur. «

« Je le ferai quand je saurai quelles sont vos aptitudes, dit Denethor. Mais cela, je l’apprendrai peut-être plus vite en vous gardant à côté de moi. L’écuyer de ma chambre a sollicité la permission de rejoindre la garnison extérieure, vous prendrez donc sa place pour un temps. Vous me servirez, porterez des messages et me parlerez, si la guerre et les conseils me laissent quelque loisir. Savez-vous chanter ? «

« Oui, dit Pippin. Enfin… oui, assez bien pour les miens. Mais nous n’avons pas de chansons qui conviennent aux grandes salles et aux temps de malheur, seigneur. Nous chantons rarement des choses plus terribles que le vent ou la pluie. Et la plupart de mes chansons sont sur des choses qui nous font rire, ou sur le manger et le boire, bien sûr. «

« Et pourquoi pareilles chansons ne conviendraient-elles pas à mes salles ou à des heures comme celles-ci ? Nous qui avons longtemps vécu sous l’Ombre, nous pouvons sûrement écouter des échos d’une terre qu’elle n’a pas troublée. Nous pourrons alors sentir que notre veille n’a pas été vaine, encore qu’il n’y en ait eu aucune reconnaissance. «

Le coeur de Pippin se serra. Il n’aimait guère l’idée de chanter aucune chanson de la Comté au Seigneur de Minas Tirith, et certainement pas les comiques qu’il connaissait le mieux, et puis, elles étaient, enfin… rustiques pour une pareille occasion. L’épreuve lui fut toutefois épargnée pour le moment. Il ne lui fut pas commandé de chanter. Denethor se tourna vers Gandalf pour lui poser des questions sur les Rohirrim et leur politique, et sur la position d’Eomer, le neveu du roi. Pippin s’émerveilla des connaissances que le Seigneur paraissait avoir sur un peuple lointain, bien qu’il dût y avoir de nombreuses années que Denethor n’avait pas été au loin, pensa-t-il.

Denethor fit bientôt signe à Pippin et le congédia de nouveau pour un moment. « Allez au magasin d’armes de la Citadelle, dit-il, et prenez-y la livrée et l’équipement de la Tour. Ils seront prêts. Ils ont été commandés hier. Revenez quand vous serez habillé ! «

Il en fut comme il avait dit, et Pippin se vit bientôt revêtu d’étranges habits, tout de noir et d’argent. Il avait un petit haubert, dont les anneaux étaient forgés d’acier peut-être, mais noir comme le jais, et un casque à haut cimier avec de petites ailes de corbeau de chaque côté, portant une étoile d’argent au centre du bandeau. Par-dessus la cotte de mailles, il y avait un court surcot noir, mais brodé sur la poitrine de l’emblème de l’Arbre en argent. Les vieux habits de Pippin furent pliés et mis de côté, il fut toutefois autorisé à garder le manteau gris

de Lorien, mais non à le porter en service. Il avait à présent sans le savoir l’aspect parfait de l’Ernil i Pheriannath, le Prince des Semi-Hommes, comme on l’avait appelé, mais il ne se sentait pas du tout à l’aise. Et l’obscurité commençait à lui peser.

Il fit sombre et terne toute la journée. De l’aube sans soleil jusqu’au soir, la lourde ombre s’était épaissie et tous les coeurs dans la Cité étaient oppressés. Loin en dessus, un grand nuage porté par un vent de guerre flottait lentement vers l’ouest de la Terre Noire, dévorant la lumière, mais en dessous l’air était immobile, sans un souffle, comme si toute la Vallée de l’Anduin attendait l’assaut d’une tempête dévastatrice.

Vers la onzième heure, Pippin, enfin libéré pour un moment, sortit pour aller à la recherche de quelque chose à manger et à boire pour réconforter son coeur lourd et rendre plus supportable la tâche de son service. Au réfectoire, il retrouva Beregond, qui venait de rentrer d’une mission au-delà du Pelennor aux Tours de la garde sur la Chaussée. Ils se promenèrent ensemble du côté des murs, car Pippin se sentait prisonnier à l’intérieur, et il étouffait même dans la haute citadelle. Ils s’assirent de nouveau côte à côte dans l’embrasure donnant sur l’est, où ils avaient mangé et s’étaient entretenu la veille.

C’était l’heure du coucher du soleil, mais le grand voile s’étendait à présent loin dans l’ouest, et ce ne fut qu’en finissant par sombrer dans la Mer que le Soleil s’échappa pour lancer avant la nuit un bref rayon d’adieu, tout semblable à celui que Frodon avait vu à la Croisée des Chemins touchant la tête du roi tombé. Mais aux champs du Pelennor, sous l’ombre du Mindolluin, ne vint aucune filtrée de lumière : ils étaient bruns et lugubres :

Il semblait déjà à Pippin que des années s’étaient écoulées depuis la dernière fois qu’il s’était assis là, en quelque temps à demi oublié où il était encore un hobbit, un voyageur au coeur léger, peu préoccupé des périls qu’il avait traversés. Maintenant, il était un petit soldat parmi les autres, vêtu à la fière mais sombre manière de la Tour de Garde, dans une ville qui se préparait en vue d’un grand assaut.

En un autre temps et un autre lieu, Pippin aurait peut-être été content de son nouvel accoutrement, mais il savait à présent qu’il ne jouait pas un rôle dans une pièce, il était bel et bien au service d’un maître sévère dans le plus grand péril. Le haubert était incommode, et le casque pesait sur sa tête. Il avait rejeté son manteau sur son siège. Il détourna son regard fatigué des champs sombres en contrebas, et il bâilla, puis soupira.

« Vous êtes las de cette, journée ? « demanda Beregond.

« Oui, répondit Pippin, très : épuisé d’inaction et d’attente. J’ai fait le pied de grue à la porte de la chambre de mon maître pendant bien des longues heures, tandis qu’il discutait avec Gandalf, le Prince et d’autres grands. Et je n’ai pas l’habitude, Maître Beregond, de servir ayant faim d’autres personnes qui mangent. C’est une dure épreuve pour un hobbit, cela. Sans doute trouverez-vous que je devrais avoir une plus grande conscience de l’honneur. Mais à quoi bon pareil honneur ? En fait, à quoi bon même le manger et le boire sous cette ombre rampante ? Qu’est-ce que cela signifie ? L’air même paraît épais et brun ! Avez-vous souvent de tels obscurcissements quand le vent est à l’Est ? «

« Non, répondit Beregond, ce n’est pas un temps du monde. C’est quelque stratagème de sa malice, quelque concoctions de fumées de la Montagne de Feu qu’il envoie pour assombrir les cours et les délibérations. Et c’est bien l’effet que cela produit. Je voudrais bien que le Seigneur Faramir revienne. Il ne serait pas démonté. Mais à présent qui sait s’il retraversera jamais le Fleuve hors des Ténèbres ? «

« Oui, dit Pippin. Gandalf aussi est inquiet. Il a été déçu de ne pas trouver Faramir ici, je crois. Et où est-il lui-même ? Il a quitté le conseil du Seigneur avant le repas de midi, et pas de bonne humeur, j’ai eu l’impression. Peut-être a-t-il quelque pressentiment d’une mauvaise nouvelle. «

Soudain, tandis qu’ils parlaient, ils furent frappés de mutisme, figés, pour ainsi dire, en pierres à l’écoute. Pippin se recroquevilla, les mains sur les oreilles, mais Beregond, qui regardait du haut des remparts tout en parlant de Faramir, demeura là, raide, les yeux exorbités. Pippin reconnut le cri à faire frémir qu’il avait entendu longtemps auparavant dans le Maresque de la Comté, mais à présent ce cri avait gagné en puissance et en haine, perçant le coeur d’un désespoir empoisonné.

Beregond finit par parler avec effort. « Ils sont arrivés ! dit-il. Prenez courage et regardez ! Il y a des choses terribles en dessous. «

Pippin grimpa à contrecoeur sur la banquette et regarda par-dessus le mur. Le Pelennor s’étendait, obscur, en contrebas et allait se perdre dans la ligne à peine devinée du Grand Fleuve. Mais, à présent, tournoyant rapidement en travers comme des ombres d’une nuit intempestive, il vit à mi-hauteur sous lui cinq formes d’oiseaux, aussi horribles que des charognards, mais plus grands que des aigles, et cruels comme la mort. Tantôt ils fonçaient, s’aventurant presque à portée d’arc des murs, tantôt ils s’éloignaient en tournoyant.

« Des Cavaliers Noirs ! murmura Pippin. Des Cavaliers Noirs de l’air ! Mais voyez, Beregond ! s’écria-t-il. Ils cherchent quelque chose, assurément ? Voyez comme ils tournent et foncent, toujours sur ce même point, là-bas ! Et ne voyez-vous pas quelque chose qui bouge sur le sol ? Des petites choses noires. Oui, des hommes à cheval : quatre ou cinq. Ah ! je ne puis le supporter ! Gandalf ! Gandalf, au secours ! «

Un autre long cri rauque s’éleva et retomba, et Pippin sauta à bas du mur, haletant tel un animal pourchassé. Il entendit, s’élevant faiblement et apparemment de très loin à travers ce cri à faire frissonner, le son d’une trompette, qui s’acheva sur une note longue et haute.

« Faramir ! Le Seigneur Faramir ! C’est son appel ! s’écria Beregond. Vaillant coeur ! Mais comment

pourra-t-il parvenir jusqu’à la Porte, si ces immondes faucons de l’enfer ont d’autres armes que la peur ? Mais regardez ! Ils tiennent bon. Ils arrivent à la Porte. Non ! les chevaux deviennent fous. Regardez ! les hommes sont jetés à terre, ils courent à pied. Non, l’un est encore monté, mais il revient vers les autres. Ce doit être le Capitaine : il sait maîtriser bêtes et hommes. Ah ! voilà qu’une des immondes choses fonce sur lui. Au secours ! Ad secours ! Personne n’ira-t-il à son aide ? Faramir ! «

Sur quoi, Beregond s’élança dans l’obscurité. Honteux de sa terreur alors que Beregond pensait d’abord au capitaine qu’il aimait, Pippin se leva et regarda au-dehors. À ce moment, il aperçut un éclat blanc et argent venant du Nord, semblable à une petite étoile descendue dans les champs sombres. Il avançait comme une flèche et croissait à mesure de son approche, en convergence rapide avec la fuite des quatre hommes vers la Porte. Il sembla à Pippin qu’une pâle lumière se répandait alentour et que les lourdes ombres cédaient devant lui, et puis, comme cela approchait, il crut entendre, tel un écho sur les murs, une grande voix qui appelait.

« Gandalf ! cria-t-il. Gandalf ! Il paraît toujours quand les choses vont le plus mal. Allez-y ! Allez-y, Cavalier Blanc ! Gandalf, Gandalf ! « cria-t-il éperdument, comme un spectateur d’une grande course exhortant un coureur qui est bien au-delà de tout encouragement.

Mais les ombres noires s’étaient maintenant avisées de la présence du nouvel arrivant. L’une d’elles vira vers lui, mais il sembla à Pippin qu’il levait la main, et il en jaillit un trait de lumière blanche. Le Nazgûl poussa un long cri plaintif et s’écarta, là-dessus, les quatre autres hésitèrent, puis, s’élevant en spirales rapides, ils s’évanouirent en direction de l’est dans les nuages bas, et, en dessous, sur le Pelennor, il sembla un moment faire moins noir.

Pippin observa la nuit, et il vit l’homme à cheval et le Cavalier Blanc se rejoindre et s’arrêter pour attendre ceux qui étaient à pied. Des hommes se précipitèrent alors vers eux de la Cité, et bientôt, tous disparurent à sa vue sous les murs extérieurs, et il sut qu’ils franchissaient la Porte. Devinant qu’ils viendraient aussitôt à la Tour vers l’Intendant, il se rendit en hâte à l’entrée de la citadelle. Il fut rejoint là par beaucoup d’autres qui avaient observé la course et le sauvetage du haut des murs.

Une clameur ne tarda pas à se faire entendre dans les rues qui montaient des cercles extérieurs, il y avait beaucoup d’acclamations, et l’on criait de tous côtés les noms de Faramir et de Mithrandir. Bientôt, Pippin vit des torches et, suivis par une foule de gens, deux cavaliers qui chevauchaient lentement, l’un était vêtu de blanc, mais il ne brillait plus, pâle dans le crépuscule comme si son feu fût épuisé ou voilé l’autre était sombre, et il tenait la tête baissée. Ils mirent pied à terre, et, tandis que des palefreniers prenaient Gripoil et l’autre cheval, ils s’avancèrent vers la sentinelle de la porte : Gandalf d’un pas ferme, son manteau gris rejeté en amère et un feu couvant encore dans ses yeux, l’autre, vêtu tout en vert, lentement, vacillant un peu comme un homme fatigué ou blessé.

Pippin se fraya un chemin comme ils passaient sous la lanterne qui pendait à la voûte de la porte, et, à la vue du pâle visage de Faramir, la respiration lui manqua. C’était celui d’un homme qui, saisi d’une grande peur ou d’une grande angoisse, l’a maîtrisée et est maintenant tranquillisé. Il se tint un moment, fier et grave, à parler avec le garde, et Pippin, qui l’observait, vit à quel point il ressemblait à son frère Boromir que le hobbit avait aimé dès l’abord, admirant la manière majestueuse, mais aimable du grand homme. Mais soudain, à l’égard de Faramir, son coeur fut étrangement touché d’un sentiment qu’il n’avait jamais connu jusque-là. Il voyait devant lui un homme doué d’un air de haute noblesse, telle qu’en montrait parfois Aragorn, moins haute peut-être, mais aussi moins imprévue et vague : un des Rois des Hommes né à une époque ultérieure, mais touché par la sagesse et la tristesse de la Race Ancienne. Il savait à présent pourquoi Beregond prononçait son nom avec amour. C’était un capitaine que les hommes suivaient volontiers, qu’il suivrait lui-même, fût-ce sous l’ombre des ailes noires.

« Faramir ! cria-t-il d’une voix forte avec les autres. Faramir ! « Et Faramir, percevant sa voix étrangère parmi la clameur des hommes de la Cité, se retourna pour abaisser son regard sur lui, et il fut stupéfait.

« D’où venez-vous ? demanda-t-il. Un Semi-Homme, et en livrée de la Tour. D’où…«

Mais, sur ces entrefaites, Gandalf s’avança à son côté et parla : « Il est venu avec moi du pays des Semi-Hommes, dit-il. Il est venu avec moi. Mais ne nous attardons pas ici. Il y a beaucoup à dire et à faire, et vous êtes las. Il nous accompagnera. Il le faut, en fait, car, s’il n’oublie pas plus que moi ses nouveaux devoirs, il doit être de nouveau de service auprès de son seigneur dans moins d’une heure. Venez, Pippin, suivez nous ! «

Ainsi arrivèrent-ils enfin à la chambre privée du Seigneur de la Cité. Là, des sièges profonds furent disposés autour d’un brasero à charbon de bois, et l’on apporta du vin, et là, Pippin, à peine remarqué, se tint derrière le fauteuil de Denethor, sentant peu sa fatigue tant il écoutait avidement tout ce qui se disait.

Quand Faramir eut pris du pain blanc et bu une gorgée de vin, il se tint sur un siège bas à la gauche de son père. Gandalf était assis de l’autre côté dans un fauteuil de bois sculpté, légèrement en retrait, et il sembla tout d’abord assoupi. Car Faramir ne parla au début que de la mission dont il avait été chargé dix jours auparavant, il apportait des nouvelles d’Ithilien et des mouvements de l’Ennemi et de ses alliés, et il raconta le combat sur la route, au cours duquel les hommes de Harad et leur grande bête avaient été défaits : un capitaine rapportant à son maître des événements d’un ordre assez habituel, petites escarmouches de guerre de frontière qui paraissaient à présent vaines et insignifiantes, dépouillées de leur renom.

Puis Faramir regarda soudain Pippin. « Mais nous en venons maintenant à d’étranges affaires, dit-il. Car ce

« de Lorien, mais non à le porter en service.

Il avait à présent sans le savoir l’aspect parfait de l’Ernil i Pheriannath , le Prince des Semi- Hommes, comme on l’avait appelé, mais il ne se sentait pas du tout à l’aise.

Et l’obscuri té commençait à lui peser.

Il fit sombre et terne toute la journée.

De l’aube sans soleil jusqu’au soir, la lourde ombre s’était épaissie et tous les cœurs dans la Cité étaient oppressés.

Loin en dessus, un grand nuage porté par un vent de guerre flottait lentement vers l’ouest de la Terre Noire, dévorant la lumière, mais en dessous l’air était immobile, sans un souffle, comme si toute la Vallée de l’Anduin attendait l’assaut d’une tempête dévastatrice. Vers la onzième heure, Pippin, enfin libéré pour un mo ment, sortit pour aller à la recherche de quelque chose à manger et à boire pour réconforter son cœur lourd et rendre plus supportable la tâche de son service.

Au réfectoire, il retrouva Beregond, qui venait de rentrer d’une mission au -delà du Pelennor aux Tours de la garde sur la Chaussée.

Ils se promenèrent ensemble du côté des murs, car Pippin se sentait prisonnier à l’intérieur, et il étouffait même dans la haute citadelle.

Ils s’assirent de nouveau côte à côte dans l’embrasure donnant sur l’est, où ils avaient mangé et s’étaient entretenu la veille.

C’était l’heure du coucher du soleil, mais le grand voile s’étendait à présent loin dans l’ouest, et ce ne fut qu’en finissant par sombrer dans la Mer que le Soleil s’échappa pour lancer avant la nuit un bre f rayon d’adieu, tout semblable à celui que Frodon avait vu à la Croisée des Chemins touchant la tête du roi tombé.

Mais aux champs du Pelennor, sous l’ombre du Mindolluin, ne vint aucune filtrée de lumière : ils étaient bruns et lugubres : Il semblait déj à à Pippin que des années s’étaient écoulées depuis la dernière fois qu’il s’était assis là, en quelque temps à demi oublié où il était encore un hobbit, un voyageur au cœur léger, peu préoccupé des périls qu’il avait traversés.

Maintenant, il était un pet it soldat parmi les autres, vêtu à la fière mais sombre manière de la Tour de Garde, dans une ville qui se préparait en vue d’un grand assaut. En un autre temps et un autre lieu, Pippin aurait peut- être été content de son nouvel accoutrement, mais il savai t à présent qu’il ne jouait pas un rôle dans une pièce, il était bel et bien au service d’un maître sévère dans le plus grand péril.

Le haubert était incommode, et le casque pesait sur sa tête.

Il avait rejeté son manteau sur son siège.

Il détourna son reg ard fatigué des champs sombres en contrebas, et il bâilla, puis soupira.

« Vous êtes las de cette, journée ? » demanda Beregond.

« Oui, répondit Pippin, très : épuisé d’inaction et d’attente.

J’ai fait le pied de grue à la porte de la chambre de mon maître pendant bien des longues heures, tandis qu’il discutait avec Gandalf, le Prince et d’autres grands.

Et je n’ai pas l’habitude, Maître Beregond, de servir ayant faim d’autres personnes qui mangent.

C’est une dure épreuve pour un hobbit, cela.

Sans doute tr ouverez - vous que je devrais avoir une plus grande conscience de l’honneur.

Mais à quoi bon pareil honneur ? En fait, à quoi bon même le manger et le boire sous cette ombre rampante ? Qu’est -ce que cela signifie ? L’air même paraît épais et brun ! Avez -vous souvent de tels obscurcissements quand le vent est à l’Est ? » « Non, répondit Beregond, ce n’est pas un temps du monde.

C’est quelque stratagème de sa malice, quelque concoctions de fumées de la Montagne de Feu qu’il envoie pour assombrir les cours et le s délibérations.

Et c’est bien l’effet que cela produit.

Je voudrais bien que le Seigneur Faramir revienne.

Il ne serait pas démonté.

Mais à présent qui sait s’il retraversera jamais le Fleuve hors des Ténèbres ? » « Oui, dit Pippin.

Gandalf aussi est inqu iet.

Il a été déçu de ne pas trouver Faramir ici, je crois.

Et où est - il lui -même ? Il a quitté le conseil du Seigneur avant le repas de midi, et pas de bonne humeur, j’ai eu l’impression.

Peut -être a -t- il quelque pressentiment d’une mauvaise nouvelle.

» Soudain, tandis qu’ils parlaient, ils furent frappés de mutisme, figés, pour ainsi dire, en pierres à l’écoute.

Pippin se recroquevilla, les mains sur les oreilles, mais Beregond, qui regardait du haut des remparts tout en parlant de Faramir, demeura là, ra ide, les yeux exorbités.

Pippin reconnut le cri à faire frémir qu’il avait entendu longtemps auparavant dans le Maresque de la Comté, mais à présent ce cri avait gagné en puissance et en haine, perçant le cœur d’un désespoir empoisonné. Beregond finit par parler avec effort.

« Ils sont arrivés ! dit -il.

Prenez courage et regardez ! Il y a des choses terribles en dessous. » Pippin grimpa à contrecœur sur la banquette et regarda par - dessus le mur.

Le Pelennor s’étendait, obscur, en contrebas et allait se perd re dans la ligne à peine devinée du Grand Fleuve.

Mais, à présent, tournoyant rapidement en travers comme des ombres d’une nuit intempestive, il vit à mi -hauteur sous lui cinq formes d’oiseaux, aussi horribles que des charognards, mais plus grands que des aigles, et cruels comme la mort.

Tantôt ils fonçaient, s’aventurant presque à portée d’arc des murs, tantôt ils s’éloignaient en tournoyant. « Des Cavaliers Noirs ! murmura Pippin.

Des Cavaliers Noirs de l’air ! Mais voyez, Beregond ! s’écria -t- il.

Ils che rchent quelque chose, assurément ? Voyez comme ils tournent et foncent, toujours sur ce même point, là-bas ! Et ne voyez -vous pas quelque chose qui bouge sur le sol ? Des petites choses noires.

Oui, des hommes à cheval : quatre ou cinq.

Ah ! je ne puis le supporter ! Gandalf ! Gandalf, au secours ! » Un autre long cri rauque s’éleva et retomba, et Pippin sauta à bas du mur, haletant tel un animal pourchassé.

Il entendit, s’élevant faiblement et apparemment de très loin à travers ce cri à faire frissonner, l e son d’une trompette, qui s’acheva sur une note longue et haute. « Faramir ! Le Seigneur Faramir ! C’est son appel ! s’écria Beregond.

Vaillant cœur ! Mais comment. »

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