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LIRE LES FLEURS BLEUES AUJOURD'HUI ?

Publié le 14/08/2014

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Faisons un rêve... le rêve que tout ce qui s'apprend à l'école devienne soudain un grand jeu pour tous.

On s'amuserait à manipuler les mots français de toutes les époques, de toutes les origines ; on s'amuse­rait à chahuter la syntaxe, à mettre un bonnet bouffon au vieux dictionnaire, à faire un pied de nez à l'ortho­graphe, à affranchir l'argot : « Encore un de foutu ! «

On s'amuserait à mêler les langues, l'anglais, l'alle­mand, l'italien — et cela devient l'Europe carnavalesque pour tous : « Wie sind arrivati «, « Sri hundred yards ? Andiamo. « Ce qui est bien, avec ce sabir-là, c'est qu'on n'est pas prêt d'arriver.

On s'amuserait à refaire du latin sur un mode scolastique et ricanant : « Tu m'as posé une première ques­tion ; j'y ai répondu... « ; « Ad primam respondi. « Et l'on ressuscite par le rire une langue morte.

On s'amuserait à faire des combinaisons arithmé­tiques en traçant des ellipses dans le temps de trente-cinq lustres, selon la logique des intervalles ; un segment, puis cent soixante-quinze ans plus tard. Calculez à partir de 1264. Si vous avez bien compté, 4 fois 175, cela fait 700, et 1264 plus 700, cela fait 1964... On pourrait continuer en remontant au Déluge ou en se projetant à la fin des temps...

 

On s'amuserait à retracer ainsi l'histoire des hommes en général et l'histoire de France en particulier : Saint Louis, son chêne et les Croisades ; Louis XI, sa cage de fer et les instruments de torture ou d'artillerie ; Louis XIII, les mousquetaires et les duels ; Louis XVI, la guillotine et la Révolution française... En accéléré comme dans un livre feuilleté à toute allure, ou comme ...

« dans un rêve, ou comme devant la « tévé » : zappons, zappons ...

Le temps presse.

On s'amuserait ainsi à circuler entre les époques, de l'aventure d'un chevalier héros qui ne tient pas en place à l'inertie d'un anti héros moderne incapable de bouger de sa chaise longue et qui va de sieste en sieste, au gré de sa consommation d'alcool : « Tu bois trop ! » Et puis on ne sait pas lequel rêve l'autre : le passé rêve-t-il le présent ou le présent rêve-t-il le passé ? D'ailleurs, l'argument du rêve fait partie des premiers questionnements philosophiques.

Cette première page que j'ai là à cette minute sous les yeux, qu'est-ce qui me garantit que je ne suis pas en train de la voir en rêve -et que je ne vais pas me réveiller ; alors, le travail que je crois faire ne me concernera plus ...

Et ce rêve fait un livre.

Ce livre s'appelle Les Fleurs bleues de Raymond Queneau.

Réconcilier la culture populaire et la culture savante, réhabiliter à la fois le corps et l'intelligence des hommes, la connaissance et le rire, la joie de vivre et la joie de comprendre - ou de ne plus rien comprendre -, voilà qui nous ramène à un humanisme fondateur, celui du xv1< siècle et de Rabelais, dont Queneau ne cesse de se réclamer.

Le roman Les Fleurs bleues arrive en outre, en 1965, au terme de l'œuvre éclectique d'un écrivain, en réunis­ sant tous les éléments qui l'ont rendu célèbre : l'art de la variation des Exercices de style, la verve insolente de Zazie dans le métro, la liberté de poèmes qui n'hésitent pas à prendre la forme de chansons, désormais sur toutes les lèvres : (( Si tu t'imagines, fillette, fillette ...

» Pourquoi lire Les Fleurs bleues aujourd'hui ? Pour voir qu'il n'y a pas toujours contradiction entre la réflexion et le divertissement : un chevalier d'une autre époque peut se mêler à nos repères contemporains pour nous faire sourire et nous plonger dans les vertiges du temps et du langage.

Le passé n'est pas mort, nous dit Queneau ici, il peut bouger et nous faire bouger.

Et cela s'appelle une culture vivante.. »

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