Devoir de Philosophie

2 novembre 1892

Publié le 17/11/2013

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LA LOI DU 2 NOVEMBRE 1892  SUR LE TRAVAIL DES FEMMES ET SON APPLICATION A NANCY A LA FIN DU XIX ème SIECLE Mémoire présenté par Brigitte VENADE, sous la direction de M. le Professeur DUGAS de la BOISSONNY, en vue de l'obtention du D.E.A. d'Histoire du Droit et des Institutions en France et en Europe. REMERCIEMENTS : Je tiens à remercier en premier lieu Monsieur le Professeur Hugues Richard pour m'avoir acceptée au sein de ce D.E.A. pour ses précieux conseils de recherche et de rédaction, pour son soutien tout au long de l'année. Merci ! Merci à Monsieur le Professeur Christian Dugas de la Boissonny, lui qui ne s'est pas lassé de mes e-mails, m'a toujours soutenue et comme d'habitude a fait preuve d'une extrême et inlassable disponibilité pour ses étudiants. Merci à Monsieur Daniel Berni pour sa gentillesse, son dévouement et son aide lorsque nos recherches ne sont pas si fructueuses que ce que l'on espère. Enfin, merci à Melle Aline Dupré pour son soutien continu et fidèle, ses remarques et conseils avisés. INTRODUCTION Le travail féminin n'est pas un phénomène nouveau, agricultrices, travailleuses à domicile, nourrices, domestiques, commerçantes ou mères au foyer, les femmes ont toujours travaillé. Mais l'apparition de l'industrie au XIX ème siècle a considérablement modifié les conditions de la division sexuelle du travail et a, par conséquent, posé des problèmes nouveaux : promiscuité des usines, danger sanitaire, risque d'indépendance de la femme par rapport à son mari, difficultés pour assurer activité salariée et activité reproductive, risque de corruption morale. Une femme doit-elle travailler pour de l'argent ? Quelle sera l'influence de ce travail sur son corps et sur son rôle de mère ? Quelle sorte de travail est convenable pour une femme ? D'abord en Angleterre, puis en Belgique et en France, les femmes vivent plus dramatiquement la fin du travail industriel à domicile. Saint-Simon développe au XIX ème siècle ses idées sur ce cas particulier de milliers d'êtres que constitue le travail des femmes. A l'image du rapport de force existant dans la lutte des classes, il envisage, à travers son manuscrit de 1848, les relations de l'homme à la femme comme le rapport type de l'exploiteur à l'exploité. Le mouvement féministe en particulier viendra apporter des solutions pour que la femme puisse se délivrer de ce rapport de force (chapitre préliminaire). Le Code Civil napoléonien de 1804 formalise la société post-révolutionnaire mais ne connaît pas la notion de femme à proprement parler mais uniquement de femmes classée selon leurs rapports institutionnels aux hommes et leur éventuelle maternité, elles sont ainsi des filles majeures - autrement dit des femmes célibataires - des femmes mariées ou des veuves. Sans époux, la femme majeure et la veuve sans enfant sont les plus autonomes. Mariées, les femmes sont simplement estimées incapables d'exercer leurs droits individuels, ce qu'énonce l'article 1124 du Code Civil : « Les personnes privées de droits sont les enfants mineurs, les femmes mariées, les criminels et les débiles mentaux ». Qui plus est le régime matrimonial légal rend difficile l'accès des femmes à un métier. L'autorisation du mari est requise pour que son épouse puisse travailler, disposer de son salaire et de ses biens propres. La première loi réglementant le travail a été votée en 1841 mais ne concerne que les enfants. Elle est suivie en 1848 d'une éphémère limitation de la durée du travail de tous les travailleurs. La loi de 1874 traite pour la première fois les femmes comme des individus spécifiques, les travaux souterrains et le travail de nuit leur sont interdits. Après débat, ont été exclues les femmes mariées mais incluses les filles mineures c'est-à-dire les jeunes femmes de 16 à 21 ans. En tant qu'être inférieur et frêle, privé de droit de vote, passant de la protection paternelle à la domination maritale, les femmes doivent être protégées à l'usine où ne règne plus que l'autorité de l'industriel. La véritable loi innovante sur le travail des femmes est celle du 2 novembre 1892 (première partie) , fruit de l'Etat-Providence, elle n'est cependant venue réglementer qu'une faible partie du travail féminin en excluant le travail à domicile, une partie des ateliers de famille, l'agriculture, le commerce, et enfin le secteur tertiaire (deuxième partie). CHAPITRE PRELIMINAIRE : Les courants de pensée au XIX ème siècle Le travail féminin et les problèmes qui en découlent, font couler beaucoup d'encre au XIX ème siècle : existe-t-il pour les femmes un droit au travail ? Section 1 : La liberté du travail, un droit de l'homme Au lendemain de la Révolution française et de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789, il paraît difficile de nier toute liberté au risque de retomber dans l'arbitraire, fondé non pas sur le pouvoir politique mais sur la simple sociologie. I - La doctrine des droits de l'homme A l'origine, les droits de l'homme sont ceux de l'Homme en tant qu'entité, il s'agit de tout être humain qui est visé. Toutefois, plusieurs auteurs ont cantonné la notion à l'individu sexuellement homme (le mâle). Les droits de l'homme regroupent l'ensemble des droits qui ne peuvent être ôtés légitimement aux êtres humains et qui sont les mêmes pour tous : ils sont ainsi fondés sur la naissance même (droit naturel). Cependant, l'idée de droits de l'homme n'est pas une notion universellement adoptée. Ainsi, dans les systèmes patriarcaux, les femmes ont le devoir d'obéir à leur père, puis à leur mari, elles ne sont jamais considérées comme des personnes majeures. Depuis la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, les droits de l'homme aspirent à s'imposer contre des idéologies qui prônent la discrimination, que cela soit du racisme (discrimination suivant la nationalité), du sexisme (ségrégation en fonction d'exclusions des êtres prétendument inférieurs) ou du fanatisme (ceux qui ne partagent pas les mêmes opinions sont mis à part). L'idée de droit naturel a été mise en exergue par les croyances de l'homme en la création de tous à l'image d'un même Dieu. Au XVII ème et XVIII ème siècles, les droits de l'homme ont trouvé leur formulation et leurs fondements philosophiques auprès de Locke, Rousseau, Kant, Descartes. Mais le principe même de l'existence de ces droits est contesté par des contre-révolutionnaires (de Maistre, Burke) qui affirment que l'homme est une abstraction, l'individu lui appartient à une région, une religion ou une profession. Selon Marx, les classes sociales ont des intérêts inconciliables : pour le bourgeois, la liberté c'est la liberté d'exploiter et celle du prolétaire est la liberté d'être exploitée. Au XIX ème siècle, apparaît la notion de droits sociaux parmi lequel se trouve le droit, non restrictif ou conditionné, au travail. II - La liberté du travail Les nouvelles formes de travail et surtout sa féminisation posent de nombreux problèmes au XIX ème siècle ; les structures essentiellement corporatistes ne conviennent plus. Les idées de liberté l'emportant à l'image de l'Angleterre, Turgot, par un édit de février 1776 décide l'abolition des jurandes, maîtrises et corporations. L'opposition privée entraîne la chute du ministre et son édit avec lui. En effet , un nouvel édit d'août 1776 rétablit le système corporatif (six corps de métiers). La révolution abolit ces réglementations. Le décret d'Allarde établit alors une liberté complète du travail. La suppression des réglementations n'est qu'illusion en ce sens que la liberté n'est pas totale à travers des dispositifs tels que le livret d'ouvrier, crée en 1746, supprimé en 1791, et rétabli par une loi du 12 avril 1803. Ce mécanisme vise à effectuer un contrôle de police et à prémunir les patrons des impayés des ouvriers par une rétention du livret. L'institution tombe en décadence sous la Restauration et la Monarchie de juillet puis remise au goût du jour par Napoléon (loi du 22 juin 1854). L'utilitarisme coïncidant avec le passage de l'économie familiale à la société industrielle, joue un rôle prépondérant dans le développement d'un mouvement féministe organisé. Section 2 : Le féminisme Cette philosophie s'est fait l'échos de plusieurs personnalités qui ont marqué l'Histoire. I - Les pensées féministes Le féminisme est une doctrine favorable à l'extension des droits des femmes dans la société jusqu'à une parfaite égalité avec ceux des hommes. Depuis le début du XIX ème siècle, des efforts sont faits pour donner aux femmes un statut identique à celui des hommes au triple point de vue juridique, économique et social. Dès le XV ème siècle, Christine de Pisan (1365-1431) relève l'importance de l'éducation des femmes. Elle s'insurge dans La cité des Dames (1405) tant contre les écrits misogynes qui fleurissent au XV ème siècle, que contre ceux de l'Antiquité. Instruite, elle ne remet pas en cause le rôle de la femme qu'elle juge assignée par Dieu mais, la vision typiquement masculine qui se complet à considérer la femme comme inapte aux mêmes fonctions que ces derniers. Ce sera la Révolution française qui permettra à ces militantes d'affirmer le droit à un statut social et politique équitable dans le cadre de la société en gestation : en 1791, Olympe de Gouges publie la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne. Malgré cette ferveur, le code napoléonien de 1804 consacre l'incapacité juridique de la femme. Ce mouvement se poursuit sur instigation du français Saint-Simon et l'anglais Stuart Mill. Le passage de l'économie familiale à la société industrielle a joué un rôle décisif dans le développement féministe organisé. L'industrie décharge les femmes d'une partie de leurs tâches domestiques et leur crée, en même temps, des possibilités de travail en dehors de chez elles. Les femmes acquièrent ainsi une situation plus indépendante. Le XIX ème siècle connaît la poursuite discontinue de ce mouvement d'émancipation de la femme, au rythme des événements politiques. L'émergence des doctrines utopistes en 1830, saint-simonienne et fouriériste tendent à faire ressortir le rôle déterminant des femmes dans les progrès social et donne un nouvel essor au mouvement. C'est dans ce contexte que des ouvrières (lingères et brodeuses) créent en 1832 La Femme libre (qui deviendra La Tribune des femmes), revue qui plaide pour l'éducation des femmes, la formation professionnelle, l'égalité des salaires, la révision du Code Civil. Le relais est pris en 1836 par La Gazette des femmes, en 1848, La Voix des femmes, en 1851, L'Opinion des femmes, en 1869, Le Droit des femmes, et enfin en 1879, La Fronde. Pour Marx comme pour Saint-Simon, quand ils disent l'homme, cela veut dire l'homme ou la femme. Fourier affirme que l'homme ne travaille que par misère, avarice ou contrainte sociale voire religieuse. Il envisage pour les femmes, la liberté du choix de leur profession et une rémunération équivalente pour le même travail à celle des hommes. Certaines femmes qui s'instituèrent ses disciples s'élèvent contre une opinion unanime qui plaint celles qui sont contraintes à travailler et souhaitent à plus ou moins brève échéance que ce travail des femmes disparaisse, sans qu'aucun droit au travail ne soit reconnu. Dans les années 1830, les femmes touchées par ces mouvements ont compris que le travail est seul à conférer la dignité. Elles le proposent alors comme solution à la prostitution. Le travail permettant l'indépendance économique, il favorise la dignité. Un contre-courant est pourtant venu limiter l'évolution potentielle du féminisme. Une étude sérieuse du féminisme ne serait complète sans l'examen de sa principale opposante que l'on nommera ici l'antiféminisme. Cet adversaire de la femme s'incarne dans Pierre Joseph Proudhon dont les idées inspirèrent les syndicats masculins et bien des hommes politiques. II - Proudhon, l'anti-femme Proudhon est un antiféministe pathologique, narcissique. Selon lui, la femme est une inférieure congénitale incurable, aucune évolution n'étant possible. Il la craint toutefois notamment lorsqu'il pressent tout signe de développement intellectuel, menacé dans sa pensée, il injurie celles qui chercheraient à penser, discuter ou poser des questions. Il exprime « scientifiquement » le calcul de l'infériorité de la femme par une fraction qui donne la valeur de la femme par rapport à la valeur de l'homme, soit 8/27. D'après lui, le seul destin de la femme doit être le service de son époux, le ménage, la procréation. Surtout pas de plaisir physique, ni d'éducation, encore moins d'instruction et comme travail, rien qui ne puisse ressembler à un métier (lequel serait synonyme de salaire et par conséquent d'indépendance). La femme ne doit pas pouvoir subvenir à ses propres besoins. Elles ne peuvent donc aspirer qu'à être courtisanes ou bonnes, dans le meilleur des cas. Sa pensée va même jusqu'à désirer une sélection génétique permettant d'éliminer les mauvaises épouses et former ainsi une race de bonnes épouses disciplinées. Il voit en la femme qui travaille une voleuse (elle prend le travail d'un homme) bien que certaines tâches leur soient spécialement affectées mais dans ce cas là, il préconise une différence de salaire entre hommes et femmes. Ce courant de pensée a notamment pour conséquence l'emploi massif de femmes lorsque l'employeur cherche à payer le salaire le plus bas possible et donc à long terme, une concurrence entre les sexes qui empêchent tout relèvement de salaire. C'est la guerre des sexes. Sous l'influence proudhonienne, les premiers de L'International ouvrière en 1867 à Paris revendiquent : « Au nom de la liberté de conscience, au nom de l'initiative individuelle, au nom de la liberté de la mère, laissez-nous arracher à l'atelier qui la démoralise, et la tue, cette femme que vous rêvez libre. La femme a pour but essentiel d'être mère de famille, la femme doit rester au foyer, le travail doit lui être interdit. » De ce contre-courant il ressort trois postulats : - La femme est une mineure (« l'homme est à la femme ce que le femme est à l'enfant). Une sorte de père en quelque sorte. La liberté du choix du travail, la liberté de gagner sa vie ne doit donc pas être donnée à la femme. - L'unité de base de la société est la famille et l'homme est le seul composant de cette cellule qui doive avoir contact avec la société, la représenter, la faire vivre. - Le travail féminin crée une concurrence préjudiciable au travail masculin et déprécie les salaires, incidemment il favorise le chômage. Répondant à Proudhon, Jeanne Deroin, ancienne ouvrière lingère devenue institutrice de façon autodidacte argue du fait qu'il « ne faut pas comme vous le dites, sortir la femme de l'atelier, mais il faut transformer l'atelier, cette source d'activité et d'indépendance ». Cette préeminance de l'être social de la femme sur son être naturel se traduit par le droit au travail, qui leur semble aussi sacré pour la femme que pour l'homme. Puis les discours évoluent et d'une incapacité simplement juridique ou sociologique, il apparaîtrait des arguments médicaux justifiant la différence entre les sexes et le rapport de domination. Dès 1816, un médecin déclare que les femmes « doivent leur manière d'être aux organes de la génération, en particulier à l'utérus ». Par ailleurs, le catholicisme est actif. Officiellement, les catholiques font partie des premiers militants contre le travail des femmes et réclament les femmes mères au foyer. En 1898, plusieurs arguments sont avancés pour démontrer la nocivité du travail des femmes : le travail « démoralise » la femme et ne lui permet pas d'acquérir une morale prolétarienne, il dévalorise le travail des hommes. L'opposition se matérialise alors dans l'interdiction de certains emplois aux femmes et dans le cas contraire, l'organisation de grèves. Pour autant, le prêtre Poullain de la Barre devenu protestant et philosophe genevois établit selon un raisonnement cartésien (L'Egalité des deux sexes, 1673) que l'éducation, plus que la nature commande la condition subordonnée de la femme. Il demande la liberté totale d'accès des femmes à toutes les carrières. TITRE I : Un carcan législatif La réglementation légale du travail apparaît inéluctable au lendemain de la révolution industrielle réalisée par l'apport d'un outillage mécanique. Cette législation à vocation sociale visait les enfants dans un premier temps puis les femmes qui, au même titre que les premiers sont qualifiées d'êtres sensibles, faibles, vulnérables et dépendants voir inférieurs nécessitant dès lors une protection particulière. Qui plus est, le législateur n'a pas le souci d'attenter à la liberté individuelle des citoyens puisque, s'agissant de femmes et d'enfants, ceux-ci ne disposent pas du pouvoir politique. La loi du 19 mai 1874 ne vise que les enfants au dessous de seize ans et les filles mineures, celle du 2 novembre 1892 s'applique aux enfants jusqu'à dix-huit ans et aux femmes de tout âge. L'étude particulière du travail de la femme s'étendra législativement parlant, sur cette loi pionnière et à ses applications fort éloignées de la volonté du législateur. Le contexte économique, politique et social est difficile au XIX ème siècle ce qui ne facilite guère les travaux préparatoires. Déposée par le gouvernement le 13 décembre 1886, elle n'a été définitivement votée que le 29 octobre 1892 : «  Alors - dit l'honorable M. Tallon dans son rapport à l'Assemblée Nationale sur le projet qui devint plus tard la loi du 19 mai 1874 - un danger imprévu jusque là a sollicité l'attention et la prévoyance du législateur. L'enfant et la femme, placés jadis en dehors de toutes prévisions des lois industrielles qui n'attachaient de prix qu'à la force, ont pu trouver dans une infinie variété de travaux un emploi auquel s'était refusée jusque là leur faiblesse naturelle. Puis les charges croissantes de la fabrication, les vicissitudes de la concurrence, l'infatigable et incessante activité des agents mécaniques, ont conduit l'industrie à mettre, parfois, de frêles créatures à son service au delà du temps que permettent leurs forces, jour et nuit, dans des ateliers dont l'atmosphère peut altérer leur délicate organisation. » Section 1 : Les établissements soumis à la loi du 2 novembre 1892 Ladite loi ne s'applique pas à tous les employeurs embauchant les femmes et enfants mais est limitée à un secteur particulier d'activité. I - Les établissements visés Sont régis par la loi de 1892, les activités rémunérées ou non du secteur industriel. A - L'établissement industriel L'article 1er de ladite loi dispose : « Le travail des enfants, des filles mineures et des femmes dans les usines, manufactures, mines, minières et carrières, chantiers, ateliers et leurs dépendances, de quelque nature que ce soit, publics ou privés, laïques ou religieux, même lorsque ces établissements ont un caractère d'enseignement professionnel ou de bienfaisance, est soumis aux obligations déterminées par la loi. Toutes les dispositions de la présente loi s'appliquent aux étrangers travaillant dans les établissements ci-dessus désignés. Sont exceptés les travaux effectués dans les établissements où ne sont employés que les membres de la famille sous l'autorité soit du père, soit de la mère, soit du tuteur. Néanmoins, si le travail s'y fait à l'aide de chaudière à vapeur ou de moteur mécanique, ou si l'industrie exercée est classée au nombre des établissements dangereux ou insalubres, l'inspecteur aura le droit de prescrire les mesures de sécurité et de salubrité à prendre, conformément aux articles 12, 13 et 14. » De l'examen de cet article premier, il ressort que tous les établissements dans lesquels des enfants, des filles mineures ou des femmes sont occupés à un travail industriel sont soumis à la loi du 2 novembre 1892. Cette volonté d'application générale de la loi existe déjà au moment des travaux préparatoires comme le révèle le rapport de Richard Waddington à la chambre des députés le 10 juin 1890. Les premières lacunes de la loi s'aperçoivent d'ores et déjà puisqu'en s'appliquant aux établissements industriels, elle exclue corrélativement les travaux agricoles et le commerce, sans oublier le travail à domicile, le service domestique, les boutiques familiales et ateliers domestiques, pourtant quantitativement non négligeables. Malgré ce critère distinctif a priori aisé quant à son application, la pratique a révélé des problèmes de qualification des établissements agricoles ou commerciaux : sont-ils des industries ou non ? Partant de là sont-ils soumis à la loi ou non ? Une première réponse peut être apportée dans une démarche d'interprétation théologique du droit. La loi nouvelle ayant été édictée dans le but d'étendre les prescriptions de la loi du 19 mai 1874, elle ne peut avoir pour effet de soustraire à la réglementation des établissements qui y était soumis avant sa promulgation (la loi du 2 novembre 1892 est entrée en vigueur le 1er janvier 1893). D'ailleurs, c'est surtout la nature du travail bien plus que le caractère de l'établissement qu'il convient d'appréhender dans l'opération de qualification. Eugène Tallon donne, dans son commentaire de la loi de 1874, dont il avait été le rapporteur, une définition du travail industriel qu'il convient de rappeler : « La nature du travail industriel peut être le plus souvent caractérisée par l'emploi ou la transformation des produits mis entre les mains de l'ouvrier. C'est principalement par cette transformation qu'il se différencie du travail commercial où le produit est l'objet d'une simple transmission sans qu'il soit dénaturé ou modifié ». Ainsi, un commerçant qui emploierait des femmes à la manipulation de ses produits, par exemple un épicier qui fait torréfier du café par grandes quantités, devrait respecter les prescriptions de la loi. Selon un avis du Conseil d'Etat, les professions qui se rattachent aux industries de l'alimentation, restaurateurs, cuisiniers, pâtissiers, charcutiers... n'auraient pas le caractère industriel au sens légal du mot et ne seraient pas soumises aux dispositions de la loi du 2 novembre 1892, ni à celles de la loi du 12 juin 1893 sur l'hygiène et la sécurité des travailleurs. S'agissant des travaux agricoles, ils ne sont pas soumis à la loi. Sur ce point, la déclaration opérée par Richard Waddington dans son rapport est très nette. A l'instar du commerce, existe un problème de délimitation de ce travail agricole. Selon Tallon, il faut envisager exclusivement la nature même du travail. Des interpénétrations peuvent exister créant ainsi une mixité de fait : un travail industriel peut être effectué dans un établissement strictement agricole et réciproquement. Son analyse coïncide avec le paragraphe additionnel introduit suite à l'amendement déposé par le député Thellier de Boncheville : « Sont également exceptés les travaux qui, bien qu'exécutés dans les dépendances de l'usine, de la manufacture ou de l'atelier, doivent néanmoins, par leur nature, être considérés comme travaux agricoles. Des règlements d'administration publique détermineront quels sont ces travaux. » B - Les dépendances L'article 1er de la loi de 1892 détermine son champ d'application, lequel s'étend aux établissements industriels « et leurs dépendances ». Par ce mot, le législateur a voulu viser jusqu'aux locaux très souvent exigus et insalubres où couchent les femmes qui sont logées par leurs patrons. Ces locaux, les inspecteurs ont désormais le droit de les visiter et d'exiger qu'ils remplissent, au même titre que les ateliers eux-mêmes, les conditions de salubrité et de sécurité imposées par l'article 14 de la loi. Au delà des commentaires des rapporteurs à la Chambre des députés et au Sénat, qui ne parlaient que de la question de la salubrité, il est évident que les inspecteurs peuvent également réprimer tout ce qui serait contraire à l'article 16 c'est-à-dire tout ce qui serait contraire aux bonnes m?urs. Ce droit de contrôle attribué aux inspecteurs doit se concilier avec le respect dû au domicile privé de l'industriel, qui la plupart du temps est le lieu où sont hébergées ces travailleuses. L'administration générale, par le biais d'instructions générales, recommande aux inspecteurs d'effectuer leur contrôle de jour afin d'éviter que les locaux ne soient occupés par le personnel. Une dérogation est alors possible selon ces instructions, mais uniquement dans des cas absolument exceptionnels. C - Les établissements de l'Etat Il existe un certain nombre d'établissements possédés et administrés par l'Etat et dont le caractère industriel ne saurait être contesté. Il s'agit des manufactures de tabacs, les fabriques d'armes et de munitions, les chantiers de la marine et les arsenaux, les ateliers d'équipements militaires, les manufactures de Sèvres et des Gobelins, l'Imprimerie Nationale? Ces établissements n'étaient pas visés par la loi du 19 mai 1874. Dans une première délibération du 16 juin 1876, la Commission supérieure émit l'avis que ces établissements devaient se soumettre aux règles imposées à tous les établissements industriels et demanda que le Ministre du commerce s'entendît avec ses collègues pour que chacun désignât le fonctionnaire avec lequel l'inspecteur divisionnaire pourrait se mettre en relation pour l'exécution de la loi de 1874. En ce qui concerne l'application des dispositions de la loi de 1874 dans les établissements de l'Etat, tous les départements ministériels, excepté celui de la marine, l'admirent sans difficultés. S'agissant du droit de visite des inspecteurs du travail, la discussion fût plus houleuse. Plusieurs ministres notamment celui de la guerre, déclarèrent qu'ils voyaient de sérieux inconvénients à laisser pénétrer des agents n'appartenant pas au département dont ils avaient la responsabilité. Ils s'engageaient en outre à donner des instructions formelles aux directeurs d'établissements publics en vue d'une parfaite application de la loi de 1874. Par circulaire du 20 mars 1877, le Ministre du commerce avertit les inspecteurs de l'inapplicabilité de leur droit de visite quant aux établissements publics. Plusieurs réclamations s'en suivirent. Certaines commissions locales, dans le départements de la Seine notamment, se plaignirent du non respect de la loi dans divers ateliers dépendants de l'Etat. La Commission supérieure demanda formellement, dans son rapport annuel du 14 août 1884, que dans un souci d'exemplarité que lesdits établissements soient soumis au droit de visite des inspecteurs puisque le privilège exigé était difficilement explicable. Le Ministre de la guerre affligé par le souci d'assurer la défense nationale se vu répondre par la Commission supérieure que les inspecteurs du travail étaient des fonctionnaires assermentés d'une honorabilité et d'un patriotisme équivalents à ceux des agents employés dans des établissements d'Etat. Le problème est tranché par l'incorporation expresse des mots « publics et privés » dans l'article 1er de la loi de 1892. Désormais les établissements gérés par l'Etat, les départements ou les communes, quoiqu'on en dise, sont soumis à la loi de 1892 dès lors que ceux-ci emploient les personnes protégées par cette loi. Au delà de ces établissements purement industriels, la réglementation sus-visée s'applique à des espaces de travail plus restreints : en l'occurrence, les ateliers de famille. II - Les ateliers de famille Lors de la discussion devant l'Assemblée Nationale, tout comme dans le texte finalement adopté, il appert que les ateliers de famille sont exclus du champ d'application de la loi. Est considérée comme telle la structure productive qui n'emploie aucun ouvrier ou apprenti étranger. Toutefois, cette exclusion n'est pas absolue, dans des cas strictement prévus, l'inspection peut exercer un contrôle limité. Il s'agit de : 1°- ceux où le travail se fait à l'aide de chaudière à vapeur ou de moteur mécanique. 2°- ceux qui sont classés au nombre des établissements dangereux ou insalubres (sont ici exclus les établissements incommodes). Il en résulte donc que les prescriptions des articles 12, 13 et 14 de la loi ainsi que les règlements d'administration publique s'y référant sont applicables aux ateliers de famille au même titre que les établissements industriels. Les prescriptions relatives au repos hebdomadaire, à la durée du travail et au travail de nuit ne concernent dès lors pas les ateliers de famille. Une fois visés, les industries, dépendances et ateliers se voient contraints à un régime juridique spécial. Section 2 : les conditions légales du travail Cette durée légale est encadrée par un maximum auquel il est parfois possible de déroger sous certaines conditions. I - La durée du travail A - Le maximum légal L'article 3 alinéa 3 de la loi de 1892 est explicite à ce sujet : « Les filles au-dessus de 18 ans et les femmes ne peuvent être employées à un travail effectif de plus de onze heures par jour. » Dame Thiriot, constructeur à Nancy s'est vu dresser procès-verbaux suite à la violation de l'article 3 de la loi puisqu'elle faisait travailler ses ouvrières treize heures : le jugement du 23 mai 1900 la condamne à neuf contraventions à cinq francs d'amende chacune. Dame Picot et Casse, constructeur elle aussi à Nancy, s'est vu poursuivre du chef de seize contraventions à l'article 3 de la loi. La loi du 30 mars 1900 portant modification de la loi du 2 novembre 1892 sur le travail des enfants, des filles mineures et des femmes dans les établissements industriels prévoit que cette durée sera, dans les deux ans suivant la promulgation de ladite loi, portée à dix heures et demi. Des règles particulières ont cependant été édictées en faveur de certaines industries ou de certains travaux ( article 4 al. 2, 4 et 5). B - Les repos Il convient de préciser que le texte parle de durée effective de travail et donc la durée de présence des ouvrières à l'usine n'est pas intrinsèquement limitée. Les repos ne doivent pas non plus entrer dans le calcul des heures légales de travail.

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Merci ! Merci à Monsieur le Professeur Christian Dugas de la Boissonny, lui qui ne s’est pas lassé de mes e-mails, m’a toujours soutenue et comme d’habitude a fait preuve d’une extrême et inlassable disponibilité pour ses étudiants. Merci à Monsieur Daniel Berni pour sa gentillesse, son dévouement et son aide lorsque nos recherches ne sont pas si fructueuses que ce que l’on espère. Enfin, merci à Melle Aline Dupré pour son soutien continu et fidèle, ses remarques et conseils avisés.. »

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