Devoir de Philosophie

Albert Cohen, Belle du Seigneur: Un soir, peu avant neuf heures...

Publié le 30/03/2011

Extrait du document

Un soir, peu avant neuf heures, elle décida que l'attendre dehors, sur le seuil, faisait obséquieux. Oui, aller simplement ouvrir la porte lorsqu'il arriverait, mais ne pas se précipiter, aller tranquillement en respirant largement, de manière à ne pas oublier qui elle était, de manière aussi à n'être pas essoufflée. Oui, très bien, maîtrise d'elle-même, le faire dignement entrer au salon. Là, 5 conversation, puis lui apporter une tasse de thé. Bonne idée d'avoir déjà tout apporté au salon pour n'être pas devant lui en posture de femme de chambre apportant un plateau. Oui, tout y était, théière avec couvre-théière, tasses, lait, citron. Donc, au moment opportun, se lever, verser le thé lentement, lui demander sans servilité s'il voulait du lait ou du citron. Elle essaya. Lait ou citron ? Non, l'interrogation était ratée, ça faisait trop énergique, cheftaine éclaireuse. Elle essaya de 10 nouveau. Lait ou citron ? Oui, ainsi c'était bien. Aimable, mais indépendante. Elle se précipita lorsque la sonnette retentit. Mais arrivée dans le vestibule, elle fit demi-tour. Avait-elle bien enlevé la poudre ? De retour au salon, elle resta devant la glace, sans s'y voir. Le sang battant à ses oreilles, elle se décida enfin, s'élança, faillit tomber, ouvrit la porte. Comment allez-vous ? lui demanda-t-elle avec le naturel d'un chanteur d'opérette faisant du parlé. 15 La respiration difficile, elle le précéda dans le salon. Un sourire immobile posé sur ses lèvres, elle lui indiqua un fauteuil, s'assit à son tour, tendit le bas de sa robe, attendit. Pourquoi ne lui parlait-il pas ? Lui avait-elle déplu ? Il restait peut-être de la poudre. Elle passa sa main sur son nez, se sentit dépourvue de charme. Parler ? Sa voix serait enrouée, et s'éclaircir la gorge ferait un bruit affreux. Elle ne se doutait pas qu'il était en train d'adorer sa gaucherie et qu'il gardait le 20 silence pour la faire durer. Lèvres tremblantes, elle lui proposa une tasse de thé. Il accepta avec impassibilité. Guindée, les joues enflammées, elle versa du thé sur le guéridon, dans les soucoupes, et même dans les tasses, demanda pardon, tendit ensuite d'une main le petit pot à lait et de l'autre les rondelles de citron. Laine ou coton ? demanda-t-elle. Il eut un rire, et elle osa le regarder. Il eut un sourire, et elle lui 25 tendit les mains. Il les prit, et il plia le genou devant elle. Inspirée, elle plia le genou devant lui, et si noblement qu'elle renversa la théière, les tasses, le pot à lait et toutes les rondelles de citron. Agenouillés, ils se souriaient, dents éclatantes, dents de jeunesse. Agenouillés, ils étaient ridicules, ils étaient fiers et beaux, et vivre était sublime. Albert Cohen, Belle du Seigneur, 1968.  

QUESTIONS

question 1 Étudiez la progression du passage et justifiez-la en vous appuyant par exemple sur les temps verbaux, les pronoms personnels... (3 points) question 2 Observez les phrases interrogatives du texte. En quoi diffèrent-elles les unes des autres ? (2 points) question 3 Dans un commentaire organisé, vous montrerez comment Albert Cohen nous présente cette rencontre de façon drôle et originale. (5 points)

« sans cesser d'aller et de venir, de s'agiter, de parler toujours, succombent aux charmes de l'amour et subissent lesaffres du tragique. Dans ces fresques de la déraison et de l'ivresse que sont les livres d'Albert Cohen, ni le temps, ni la mort nesemblent avoir de prise réelle sur les hommes auxquels l'exubérance tient lieu d'espoir. - Solal (1930); - Mangeclous (1938) ; - Belle du Seigneur (1968) ; question 1 Étudiez la progression du passage et justifiez-la en vous appuyant par exemple sur les temps verbaux, les pronomspersonnels...

(3 points) Ce passage de Belle du Seigneur fait le récit de la préparation, puis de la rencontre d'un homme et d'une femme.Dans le premier paragraphe la jeune femme, qui attend le jeune homme pour prendre le thé, se prépare au face àface qui s'annonce en répétant mentalement les actions qu'elle va devoir effectuer devant lui.

Souvent employés aumode infinitif, les verbes insistent sur l'avalanche des actions (ligne 2 « aller » répété deux fois ; ligne 7l'accumulation : « se lever, verser, demander »).

Née de l'attente, l'anxiété de la jeune femme est à son comble etelle est persuadée que l'opinion du jeune homme tant attendu dépend avant tout des gestes qu'elle sera capable defaire devant lui. La fébrilité de l'attente est reprise aussi dans la composition des phrases elles-mêmes.

Très souvent, en effet, lajeune femme oublie l'emploi de l'article défini ou du verbe conjugué (ligne 4 « maîtrise d'elle-même » ; et «conversation » ; ligne 5 « Bonne idée » ; ligne 7 « théière...

tasses, lait citron » ; ligne 9 « cheftaine éclaireuse » ;et à la ligne 10 l'énonciation d'une phrase nominale). Dans la deuxième partie du passage la focalisation est centrée sur l'aspect physique de la jeune femme.

Elles'observe et elle s'interroge sur l'effet qu'elle va produire sur son prétendant.

Cette transition est parfaitementmarquée par l'abondance du pronom personnel de troisième personne « elle » employé 11 fois en 9 lignes, alors quedans les 10 lignes du premier paragraphe le pronom n'avait été utilisé que 3 fois.

Le récit reprend comme nousl'indique le retour des verbes conjugués au passé simple (préférés aux infinitifs de la ligne 11 à la ligne 18).

Unenouvelle transition est introduite par le passage brusque à l'imparfait dans la dernière phrase du troisièmeparagraphe. Si la dernière partie de ce passage remplit l'attente du lecteur, elle rassasie aussi celle de la jeune femme : il estenfin devant elle (le pronom personnel masculin de troisième personne du singulier « il » est repris 5 fois dans les 8lignes du quatrième paragraphe).

Comme toujours dans ce genre de situation le regard des amoureux passerapidement de l'un à l'autre.

L'auteur s'amuse à rendre compte de ce jeu, en faisant alterner tantôt le pronompersonnel de troisième personne du singulier masculin : « il », tantôt le même pronom féminin cette fois : « elle » (dela ligne 20 à la ligne 25).

Enfin, leur rencontre s'achève non seulement par l'union de leurs mains (ligne 25), mais plussymboliquement encore par le passage au pronom personnel de troisième personne du pluriel : « ils » repris 3 foisdans les trois dernières lignes. question 2 Observez les phrases interrogatives du texte.

En quoi diffèrent-elles les unes des autres ? (2 points) Les phrases interrogatives de ce texte sont là pour marquer rembarras du personnage féminin qui les formule.

Nousrelevons en premier lieu la présence de phrases simples, nominales ou verbales du type : « Lait ou citron ? » ouencore « Laine ou coton ? », mais aussi « Parler ? ».

Puis de phrases interrogatives introduites par un adverbe «pourquoi », « comment » accompagné de l'inversion complexe verbe-sujet (mot interrogatif + verbe + pronompersonnel) : « Comment allez-vous ? », « Pourquoi ne lui parlait-il pas ? ». Enfin, notons la présence de phrases interrogatives simples « Avait-elle bien enlevé la poudre ? », ou encore « Luiavait-elle déplu ? ». La diversité des constructions interrogatives permet au lecteur de compléter sa connaissance de la psychologie decette jeune femme, un peu naïve certes, mais surtout très spontanée, toujours prête à être aimable, ce qui la rendparticulièrement attachante. question 3 Dans un commentaire organisé, vous montrerez comment Albert Cohen nous présente cette rencontre de façon. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles