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Amiel : « L’homme n’est que ce qu’il devient, vérité profonde; l’homme ne devient que ce qu’il est, vérité plus profonde encore »

Publié le 17/09/2015

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On pourrait d’abord comprendre que l’homme ne devient que ce qu’il est par naissance, ou par cette naissance spirituelle qu’est la première éducation. Il est certains traits de caractère que le milieu physique ou le milieu social peuvent bien atténuer, mais qu’ils n’effaceront jamais. Ces tendances fondamentales détermineront toujours les réactions particulières de chacun : un sanguin entré dans la diplomatie parviendra à se maîtriser lui-même, mais il se maîtrisera en sanguin, qui toujours bouillonne. Le fonctionnaire, sans doute, s’adaptera à ea fonction; mais, plue encore, il adapte la fonction à ce qu’il est par nature, et sa nouvelle fonction devient en lui ce qu'il est.

 

De même un enfant élevé dans un milieu vulgaire et dont le tempérament n'implique rien de particulièrement délicat restera toujours vulgaire. Sans doute, si les circonstances ou sa valeur personnelle le font parvenir à une situation élevée qui le fera vivre dans un milieu choisi, il s’adaptera, il changera ses manières et son langage, prendra un air nouveau, deviendra distingué. Mais jusque dans sa distinction il restera quelque chose de rude et de grossier; son effort même pour être ce qu’il est devenu montre qu'il ne l'est pas encore et il ne le sera jamais. On ne devient que ce qu’on est. Distingué, il ne le sera jamais qu’à la façon d'un parvenu, et, en prenant des manières distinguées, il les vulgarisera en quelque sorte, les amenant à son niveau : il devient ce qu'il est.

 

Cette interprétation est bien pessimiste et semble couper les ailes à tout espoir de progrès. Est-elle confirmée par les faits ? Il semble bien que non. Si souvent l'homme nous donne des déceptions et des surprises ! Tel, médiocre dans les études, se révèle, au cours de la vie, ouvert et réfléchi; tel autre, apathique et terne, se montre, au cours d’une guerre, entreprenant et finit en héros. L’homme ne devient pas ce qu’il est par une sorte d évolution mécanique sur laquelle il ne peut rien. Il est capable, dans une certaine mesure, de diriger celte évolution.

« cs t réfléchi, de faire une synthèse logique : ce sera lui, le terme d'une longue évolution partie de quelque chose qui, en somme, n'était pas luL Ainsi comprise, la pensée d'Amie! est évidente : c'est une vérité de bon .sen~.

Mais précisément, il n'est pas vraisemblable qu'un esprit de la finesse de ce contemplatif se Süit arrêté à une pensée si banale et surtout l'ait trouvée profonde.

Sous les mots, il doit donc y avoir autre chose.

L'homme n'est que ce qu'il devient, ne signifierait-il pas que l'homme n'est que ce qu'il se fait, ce qu'il devient par lui-même : en définitive, l'homme serait quelqu'un dans la mesure où il eot - en enlevant à cc mot tout ce qu'il a de péjoratif - un parvenu; il n'y aurait en nous de vraiment à nous que ce qui est notre œuvre.

" Ne t'enorgueillis d'aucun avantage étranger, dit Epictète.

Si le cheval s'enorgueillissant disait : " Je suis beau n, ce serait supportable; mais toi, quand tu dis avec orgueil : « J'ai un beau cheval n, sache que c'est des qualités du cheval que tu t'enorgueillis.

Qu'y a-t-il donc là de tien ? n JI faut aller plus loin.

Il n'y a pas lieu d'être fier de sa beauté, de sa naissance, de son intelligence : ces dons, ainsi que le mot l'indique, nous les ·avons reçus; ils ne sont point notre œn\Te.

Il en est de même de ce que nous sommes par suite de tout le système d'éducation et d'instruction dont nous avons bénéficié; nos idées religieuses, morales, sociales, ne .sont pas nôtres : ce sont celles de nos éducateurs.

Pour deve­ nir quelqu'un, nous devons faire d'une certaine manière la conquête per­ sonnelle de ce que nous avons reçu sans effort, ct, mieux encore, nous approprier de nouveaux royaumes à la pointe de l'épée : nous sommes ce que nous devenons, ce que nous nous faisons.

Cette ambition de devenir quelque chose par soi-même, Cyrano l'exprimait bien par le vers CO!lllll .Ye pas monte1· bien haut, peut-être, mais tout seul.

Voici enfin un LI·oisième ~ens ([lÜ uous parait conforme, lui aus3i, à la pensée d' :\.miel : l'homme n'est que cc qu'il de ien t, c 'est-à-1ire ce qu'il réalise au cours de sa vie.

L'être viYant, el surtout l'homme, n'est pas une réalité statique et inerte.

Il est essentiellement dynamisme, et sa valeur dépend de ce dynamisme même.

Celui qui ne produit rien n'avait rien en lui, n'était rien : on n'est que ce qu'on devient.

" Le génie latent, dit Amiel, n'est qu'une présomption.

Tout cc qui peut être doit devenir, et ce LJUi ne devient pas n'était Pieu.

n En portant cc jugement sévère sur ces hommes qui se sont arrêtés aux espoirs et aux ambitions et n'ont jamais rien réalisé, Amiel songeait dou­ loureusement à lui-même : « La virtualité pure, écrivait-il le 8 mars 1868, est mon refuge de prédilection.

n Et en 1&'i8 : « Dès le commen­ cement, j'ai été un rêveur, craignant cl 'agir, amoureux du parfait, et aussi incapable de renoncer à ses exigences que de les satisfaire, bref, un esprit étendu et un caractère faible; curieux de tout re;ssentir et impro­ pre à rien exl'rul. »

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