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Article de presse: Le Maghreb face au péril vert

Publié le 02/08/2010

Extrait du document

30 juin 1991 -   Comment les accommoder à la sauce démocratique ? Grands perturbateurs du jeu politique local, les islamistes font passer des nuits blanches aux dirigeants maghrébins, qui, de Tunis à Rabat en passant par Alger, hésitent entre la fermeté et la mansuétude, sans jamais être sûrs d'avoir fait le bon choix, une fois prise leur décision d'user du bâton ou de la carotte.

   Ignorer les intégristes, les traiter par le mépris n'est plus guère possible au Maghreb, sauf à pratiquer la politique de l'autruche.

   L'utopie islamique se nourrit, sur place, de trop de frustrations politiques, économiques et sociales pour qu'on la voie s'évanouir de sitôt, même si, ici et là, elle a déjà atteint son zénith. Que soit ébranlé leur pouvoir de séduction, voire de conviction, il restera toujours aux " Verts " un pouvoir de nuire non négligeable. On vient de s'en apercevoir en Algérie. C'est, peut-être, parce que les dirigeants maghrébins ont trop attendu pour traiter avec sérieux cette menace qu'ils payent, aujourd'hui, très cher le prix de leurs atermoiements, et doivent, dans la précipitation, imaginer des parades, parfois maladroites et souvent dangereuses contre le " péril vert ".

   Ne sont-ils pas aussi un peu les artisans de leur propre malheur dans la mesure où il leur est arrivé de jouer la carte intégriste pour se sortir d'un mauvais pas ? On l'a vu pendant la guerre du Golfe lorsqu'il s'est agi pour eux-instinct de conservation oblige-de " caresser " les islamistes dans le sens du poil...

   Si préoccupés soient-ils, aujourd'hui, de se saisir de cet épineux dossier, les dirigeants maghrébins sont partis à la bataille en ordre dispersé. La décision du président algérien, en septembre 1989, de légaliser le Front islamique du salut ( FIS) prit par surprise le roi du Maroc et le chef de l'Etat tunisien, qui, quelques mois plus tôt, lors du premier sommet de l'Union du Maghreb arabe ( UMA), à Marrakech, avaient été dissuadés d'agir ainsi à l'égard de leurs propres intégristes par ce même... président algérien.

Calculs politiciens

   En légalisant le FIS, le président Chadli comptait bien voir, dans l'immédiat, les disciples de Abassi Madani et Ali Benhadj s'assagir au contact des dures réalités politiques. Il nourrissait aussi le secret espoir de réussir, à terme, à neutraliser ces empêcheurs de gouverner en rond. C'est probablement, aujourd'hui encore, l'objectif de Sid Ahmed Ghozali, le nouveau premier ministre, même si, pour y parvenir, ses manoeuvres paraissent plus subtiles, au point d'en être déroutantes.

   Un mode de scrutin et des circonscriptions taillées sur mesure : tout avait été " bricolé " pour que, le jeu des alliances et des désistements aidant, le " FLN réformateur " -mais le FLN quand même-sauve sa mise aux élections législatives du 27 juin. La ficelle utilisée par le pouvoir pour marginaliser le FIS était si grosse que celui-ci s'en est saisi pour descendre dans la rue et a obtenu le report de cet appel aux urnes.

   Hassan II use et abuse, quant à lui, de son titre de " Commandeur des croyants " pour rester maître du jeu face aux islamistes, qui n'ont jamais obtenu le droit de s'organiser au grand jour, sauf à faire allégeance au roi et à servir ses desseins. Tous les membres du conseil de direction du mouvement intégriste El Adl Wa Ihsane ( Justice et Bienfaisance) sont, aujourd'hui, sous les verrous, tandis que leur chef, Abdessalam Yacine, vit à Salé, en résidence surveillée.

   Les mosquées sont fermées entre les heures de prières et les prêches soumis à la censure du ministère de l'intérieur.

   Il n'empêche que les intégristes marocains commencent à sortir de l'ombre. L'an dernier, l'université de Fès a été, à plusieurs reprises, le théâtre de violents affrontements entre jeunes intégristes et " progressistes ". Le 3 février, à Rabat, lors de la manifestation monstre en faveur de l'Irak, les " barbus " défilaient, Coran en main, au nez des forces de l'ordre. Le 18 avril, des troubles à l'université Hassan II de Casablanca se sont soldés par la mort d'un étudiant, le premier " martyr " de la cause islamique. Conséquences de cette agitation : des arrestations, des procès et de sévères condamnations, qui ne semblent pas avoir fait sensiblement retomber cette " fièvre verte ".

   Lune de miel sans lendemains entre le pouvoir et les islamistes tunisiens, qui, en novembre 1987, avaient applaudi très fort à la mise à l'écart du " Combattant suprême ", leur bête noire. Successeur de Habib Bourguiba, le président Ben Ali se définit alors comme " l'homme du changement ". Mais, après des hésitations, il s'interdit d'associer ouvertement au jeu politique les intégristes, dès lors contraints de se présenter, sous l'étiquette " indépendants ", au scrutin législatif d'avril 1989, qui aboutit à l'élection d'un Parlement paré des seules couleurs de l'ancien parti unique.

   Se présentant comme la " deuxième force du pays ", le mouvement Ennahdha s'impatienta de ne pas obtenir droit de cité et commença à verser dans la violence. La rupture est, aujourd'hui, consommée, et les hostilités sont ouvertes entre le pouvoir et les islamistes, pourchassés, depuis quelques semaines, pour avoir trempé dans une " abominable et diabolique conspiration ". Plusieurs centaines de " comploteurs " ont déjà été arrêtés, parmi lesquels-fait inquiétant-des militaires récidivistes.

Recherche du consensus

   En agitant ainsi, peut-être plus que de raison, l'épouvantail islamique, les dirigeants maghrébins cherchent, non sans calculs égoïstes, à discipliner le jeu politique autour d'une certaine idée du consensus. Mal à l'aise pour gouverner désormais sous un éclairage démocratique, les tenants des anciens partis uniques-comme on le voit en Tunisie-essayent de se présenter comme le meilleur rempart contre l'aventurisme, en appelant les formations concurrentes à resserrer les rangs autour d'eux, sur le thème mobilisateur de " la patrie en danger ".

   Paradoxalement, la reconnaissance du FIS n'était peut-être pas non plus, en son temps, une décision tout à fait innocente. N'était-il pas, en effet, dans l'intérêt bien compris du FLN, alors sur une très mauvaise pente, après la grande secousse d'octobre 1988, de légaliser une force qui n'allait pas manquer de brouiller la donne politique ?

   Comme le pouvoir, en France, " profite " de l'existence du Front national pour compliquer la tâche de l'opposition. Reste à savoir si les dirigeants algériens sauront se dépêtrer de cet imbroglio, éviter de tomber dans le piège qu'ils ont tendu à leurs adversaires démocrates. Si les responsables maghrébins brandissent si haut l'épouvantail vert, c'est, en outre, pour attirer l'attention des bailleurs de fonds, en particulier de la France. L'argument ressassé, non sans raison, de l'autre côté de la Méditerranée n'est-il pas que le mal intégriste, nourri de pauvreté et d'exclusion, n'est guérissable que par une grande et généreuse politique de développement économique ? Politique à laquelle doivent nécessairement être associés les pays riches, et singulièrement ceux de l'Europe du Sud, les plus proches et les premiers touchés si révolution islamique il y a, un jour, en Afrique du Nord.

JACQUES DE BARRIN Le Monde du 11 juin 1991

 

« Plusieurs centaines de " comploteurs " ont déjà été arrêtés, parmi lesquels-fait inquiétant-des militaires récidivistes. Recherche du consensus En agitant ainsi, peut-être plus que de raison, l'épouvantail islamique, les dirigeants maghrébins cherchent, non sans calculségoïstes, à discipliner le jeu politique autour d'une certaine idée du consensus.

Mal à l'aise pour gouverner désormais sous unéclairage démocratique, les tenants des anciens partis uniques-comme on le voit en Tunisie-essayent de se présenter comme lemeilleur rempart contre l'aventurisme, en appelant les formations concurrentes à resserrer les rangs autour d'eux, sur le thèmemobilisateur de " la patrie en danger ". Paradoxalement, la reconnaissance du FIS n'était peut-être pas non plus, en son temps, une décision tout à fait innocente.N'était-il pas, en effet, dans l'intérêt bien compris du FLN, alors sur une très mauvaise pente, après la grande secousse d'octobre1988, de légaliser une force qui n'allait pas manquer de brouiller la donne politique ? Comme le pouvoir, en France, " profite " de l'existence du Front national pour compliquer la tâche de l'opposition.

Reste àsavoir si les dirigeants algériens sauront se dépêtrer de cet imbroglio, éviter de tomber dans le piège qu'ils ont tendu à leursadversaires démocrates.

Si les responsables maghrébins brandissent si haut l'épouvantail vert, c'est, en outre, pour attirerl'attention des bailleurs de fonds, en particulier de la France.

L'argument ressassé, non sans raison, de l'autre côté de laMéditerranée n'est-il pas que le mal intégriste, nourri de pauvreté et d'exclusion, n'est guérissable que par une grande etgénéreuse politique de développement économique ? Politique à laquelle doivent nécessairement être associés les pays riches, etsingulièrement ceux de l'Europe du Sud, les plus proches et les premiers touchés si révolution islamique il y a, un jour, en Afriquedu Nord. JACQUES DE BARRINLe Monde du 11 juin 1991. »

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