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avons pris le dessert et le café, il a commencé à me parler depuis l'autre bout de la table, pendant que Klara et Ewa conversaient en polonais.

Publié le 06/01/2014

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avons pris le dessert et le café, il a commencé à me parler depuis l'autre bout de la table, pendant que Klara et Ewa conversaient en polonais. Il était clair qu'il avait quelque chose en tête et je voyais bien à quel point il était frustré de ne pas parler plus couramment ma langue. Mais je l'ai aidé et encouragé, et au bout du compte, j'ai compris tout ce qu'il m'a dit. Je lui ai demandé s'il connaissait déjà ce qu'il venait d'entendre. Pas vraiment, a-t-il dit. J'ai surtout parlé avec mon père. Ma mère m'en a parlé quelquefois. Maintenant je lui pose plus de questions parce que je veux savoir pour le transmettre à mes enfants. Marek m'a dit qu'il avait deux enfants, Jonathan et Sarah, respectivement âgés de dixhuit et douze ans. Sont-ils un peu conscients de tout ça ? ai-je demandé. Il a secoué la tête. Ils ne savent pas un dixième de ce qui s'est passé, a-t-il répondu. Ils savent que leurs grandsparents sont des survivants, qu'ils sont restés cachés sous un plancher chez un fermier pendant onze mois, et c'est tout. Je l'ai écouté et j'ai décidé qu'il m'était sympathique : son intérêt franc et intense, l'ouverture avec laquelle il discutait de choses difficiles avec un parfait inconnu. Il ressemblait, je m'en suis soudain rendu compte, à l'acteur Bob Hoskins, en plus beau, et cette libre association a renforcé l'impression que j'avais d'avoir affaire à quelqu'un de très honnête. Nous avons parlé pendant un bon moment du fait que, plus nous vieillissions et nous éloignions du passé, plus ce passé, paradoxalement, devenait important. II a dit, Mon père, pour lui c'était capital d'être juif, mais il ne nous a jamais appris à être juif. Je n'ai jamais eu d'amis juifs en Pologne, mais il insistait sur le fait que j'étais juif - qu'il fallait que je sois fort, qu'il fallait que je sois le meilleur. J'ai hoché la tête en signe de sympathie. C'est pour cette raison que je voulais que mes enfants viennent aujourd'hui, m'a dit Marek. Il a ajouté que son père avait très rarement parlé du passé, seulement à l'occasion de Yom Kippour, et « en quelques mots » seulement. Mais rien de profond. Je voulais parler à mon fils de ma famille, a continué Marek, pas seulement de la famille de ma femme... (sa femme était polonaise, m'a-t-il dit) ... mais c'est tellement difficile. Lorsque vous êtes arrivés ici aujourd'hui, ma mère voulait se souvenir des dates. J'ai essayé de lui faire comprendre que les dates ne sont pas importantes, ce ne sont pas les dates, mais ce que c'était que d'être là, comment les choses se passaient, qui était mon grand-père - pas sa profession, mais sa personnalité. Elle n'arrive pas à comprendre que vous vouliez connaître des choses triviales, du genre à quoi ressemblait 1'école, comment étaient les professeurs. C'est tellement difficile à expliquer. J'ai été très ému par ce qu'il venait de dire. Après tout, ce qu'il disait rejoignait complètement ce que j'avais désiré apprendre, depuis tant d'années, sur les petites choses, les détails minuscules qui, me disais-je, pouvaient ramener les morts à la vie. À ce moment précis, Matt, qui tenait souvent, lorsque nous étions jeunes, des propos enflammés, passionnés, lesquels me mettaient  à l'époque dans l'embarras parce que les sentiments qui les avaient inspirés étaient tellement écorchés - des propos du genre, Les racistes devraient tout simplement crever ! ou, Les gens qui font des trucs pareils aux animaux devraient être tués ! -, Matt a dit sur un ton véhément, Beaucoup de gens veulent savoir comment ils sont morts, mais pas comment ils ont vécu ! Suivant le fil de sa pensée, Marek a hoché la tête et dit, Les gens pensent qu'il n'est pas important de savoir si un homme était heureux ou s'il était malheureux. Mais c'est très important. Parce que, après l'Holocauste, ces choses ont disparu. Peu après, nous nous sommes levés pour partir. Comme je le faisais de temps en temps à la fin de ces interviews, j'ai demandé à Ewa de demander à Klara quels étaient ses meilleurs souvenirs de Bolechow. Ewa a adressé ma question à Klara, qui a écouté et pris un air mélancolique. Puis elle a dit quelque chose de très bref à Ewa. Ce que Klara a dit, c'était, Les mauvais souvenirs ont effacé les bons.     Nous avons parlé avec Klara le lendemain aussi, après que Matt a pris quelques photos d'elle sur une petite place pavée. Il faut que ça fasse « Stockholm », m'avait-il dit la nuit précédente, alors que nous étions allongés sur nos lits jumeaux, discutant à voix basse de notre longue interview - curieusement contrariée, j'avais trouvé - avec Klara. Elle nous avait dit beaucoup, je le savais, mais j'avais l'impression, curieusement, qu'elle avait gardé quelque chose par-devers elle, et je n'avais pas eu cette impression avec les autres, à l'exception de Meg peut-être, au début. En entendant Matt dire qu'il fallait que sa photo fasse Stockholm, j'ai souri, mais je me suis bien gardé de le laisser voir. N'ayant pas eu le temps d'explorer Stockholm - notre journée de tourisme avait fondu pendant que nous attendions sur la piste de décollage de JFK -, ni lui ni moi ne pouvions savoir vraiment ce qui « faisait » Stockholm. Des pavés, avec de l'eau à l'arrière-plan, cela paraissait raisonnable. Donc, le lendemain, le deuxième jour, nous avons retrouvé Klara, Marek et Ewa dans un endroit qu'avait suggéré Marek, et nous avons marché un peu ensemble. Pour sa photo officielle, Klara avait mis une veste en serpent très chic, aux épaules rembourrées. Elle avait l'air plus heureuse que la veille au moment où elle a pris la pose devant le petit obélisque au centre de la place pavée et s'est mise à flirter avec l'appareil photo. Il faisait un froid de canard, l'atmosphère était humide et le ciel gris ; de temps à autre, le soleil semblait vouloir percer la fine couche de nuages à l'allure lasse, renonçant au bout de quelques minutes. Au bout d'une vingtaine de minutes de pose et de prise de vues, nous nous sommes précipités dans un café, à deux pas de la petite place. Il était agréablement sombre et bien chauffé, un feu flambait dans une cheminée. Nous avons tous commandé des cappuccinos. Marek avait voulu parler de son père, la veille, et c'est ce qu'il faisait à présent. Mon père était originaire de l'autre côté de Bolechow, a-t-il expliqué, le côté pauvre. Il n'est allé à l'école que jusqu'en troisième. Il a dû commencer à travailler très jeune. Avant de partir pour la Suède, j'avais consulté une fois encore l'Annuaire professionnel de Galicie de 1891 sur le site www.jewish-gen.org. A efraim freilich, j'avais lu : hadern- und knocheshandler. Chiffonnier. En effet : l'autre côté de Bolechow. Avec un air affable sur son large visage, Marek a continué à parler de son père, qui était mort bien avant que je commence à rêver de découvrir ce qui était arrivé à Oncle Shmiel. Marek a dit, Il était... il était très spécial. Très, très spécial. Il a aidé beaucoup de Juifs après la guerre. Tous les Juifs le connaissent ici ! Il a donné de l'argent à beaucoup de gens. C'était étonnant : lorsqu'il est mort - et il n'est venu ici, en Suède, qu'un temps très bref, parce que je l'avais amené à l'hôpital depuis la Pologne -, lorsqu'il est mort, il y avait cent personnes ici. J'ai compris qu'il voulait dire aux funérailles. Il a dit, C'était étonnant. Depuis le comptoir du café nous est parvenu le bruit du lait qu'on ébouillantait. Klara et Ewa parlaient tout doucement, et Ewa a fini par se tourner vers Matt et moi pour expliquer qu'elles discutaient d'un reportage sur la montée récente des sentiments d'hostilité vis-à-vis d'Israël en Suède. Elle a raconté qu'une librairie qui vendait des pamphlets, des journaux et des livres ouvertement antisémites venait d'ouvrir près d'une église où avaient été hébergés, pendant la guerre, des réfugiés juifs. Klara secouait la tête et elle a dit, Skandal ! La mention des journaux m'a fait penser à une question concernant la vie quotidienne que j'avais voulu poser à Klara. Les journaux, à Bolechow, étaient-ils pour la plupart en polonais ? Pour la plupart, a-t-elle répondu. Ses parents parlaient yiddish et polonais à la maison. Et un peu l'ukrainien aussi. Ukrainien m'a fait penser à une autre question : lorsque les Juifs avaient des domestiques, estce que les bonnes étaient habituellement ukrainiennes ? La bonne les a dénoncés, avais-je entendu dire, il y a des siècles, avant que je sache quoi que ce fût. Oui, a dit Klara, des Ukrainiennes. J'ai soudain pensé à mon grand-père provoquant la corpulente femme de ménage de ma mère, Mme Wilk, avec ses plaisanteries cochonnes en polonais, ce qui m'a fait penser à autre chose encore. Y avait-il une sorte de castel près de Bolechow, ai-je demandé, qui aurait appartenu autrefois à un comte polonais ? Non, a-t-elle répondu, elle ne se souvenait pas d'un tel endroit. J'entendais la voix de mon grand-père dire, Ils se cachaient dans un kessle. Puis : Avait-elle entendu parler du Graf Potocki ? Oui ! a dit Klara. Mais il n'était pas de Bolechow ! J'ai souri et j'ai raconté l'histoire que j'avais entendue à Vilna à propos du Potocki qui avait été condamné au bûcher par l'Église après qu'il se fut converti au judaïsme. A Bolechow, a dit Klara sur un ton solennel, un Juif qui se convertissait au christianisme était exclu de la communauté ! Elle s'est tournée vers Ewa et a raconté une histoire un peu longue. Ewa écoutait en hochant la tête et elle a enfin dit, Il y avait une famille qu'elle connaissait, une famille juive qui vivait soit à Gerynia, soit ailleurs, pas dans une ville, mais dans un village. Dans cette famille, il y avait deux fils. Un des deux est tombé amoureux d'une fille ukrainienne et la mère de ce garçon a voulu -- bien évidemment ! - qu'il quitte cette fille, et donc la famille a déménagé à Bolechow. Mais l'amour a triomphé de tout ! Il est resté et s'est converti dans l'Église orthodoxe ukrainienne. Et il a été chassé de sa famille et de la communauté - la communauté juive -, et tout le monde à Bolechow pointait la mère du doigt en disant : « C'est la mère du converti ! » Elle a raconté cette histoire et pendant qu'elle la racontait, je me suis aperçu que j'étais extrêmement tendu parce que je me faisais du souci pour Matt en me demandant, au moment où Klara disait la mère de ce garçon a voulu qu'il quitte cette fille -- bien évidemment !, ce que mon frère, qui était tombé amoureux et avait épousé une Grecque orthodoxe, pouvait bien penser en l'écoutant. J'ai pensé à mon grand-père qui, dans de nombreuses lettres et ensuite

« Peu après, nousnoussommes levéspourpartir.

Comme jelefaisais detemps entemps àla fin de ces interviews, j'aidemandé àEwa dedemander àKlara quels étaient sesmeilleurs souvenirs deBolechow.

Ewaaadressé maquestion àKlara, quiaécouté etpris unair mélancolique.

Puiselleadit quelque chosedetrès bref àEwa. Ce que Klara adit, c'était, Les mauvais souvenirs onteffacé lesbons.     Nous avons parléavecKlara lelendemain aussi,aprèsqueMatt apris quelques photosd'elle sur une petite placepavée.

Ilfaut queçafasse « Stockholm », m'avait-ilditlanuit précédente, alors quenous étions allongés surnos litsjumeaux, discutant àvoix basse denotre longue interview – curieusement contrariée,j'avaistrouvé – avecKlara.Ellenous avait ditbeaucoup, je le savais, maisj'avais l'impression, curieusement, qu'elleavaitgardé quelque chosepar-devers elle, etjen'avais paseucette impression aveclesautres, àl'exception deMeg peut-être, au début.

Enentendant Mattdirequ'il fallait quesaphoto fasse Stockholm, j'ai souri, maisjeme suis bien gardé delelaisser voir.N'ayant paseuletemps d'explorer Stockholm – notrejournée de tourisme avaitfondu pendant quenous attendions surlapiste dedécollage deJFK –, nilui ni moi nepouvions savoirvraiment cequi « faisait » Stockholm.

Despavés, avecdel'eau à l'arrière-plan, celaparaissait raisonnable. Donc, lelendemain, ledeuxième jour,nous avons retrouvé Klara,Marek etEwa dans unendroit qu'avait suggéréMarek,etnous avons marché unpeu ensemble.

Poursaphoto officielle, Klara avait misune veste enserpent trèschic, auxépaules rembourrées.

Elleavait l'airplus heureuse que laveille aumoment oùelle apris lapose devant lepetit obélisque aucentre delaplace pavée ets'est mise àflirter avecl'appareil photo.Ilfaisait unfroid decanard, l'atmosphère était humide etleciel gris ;de temps àautre, lesoleil semblait vouloirpercerlafine couche de nuages àl'allure lasse,renonçant aubout dequelques minutes.Aubout d'une vingtaine de minutes depose etde prise devues, nousnoussommes précipités dansuncafé, àdeux pasde la petite place.Ilétait agréablement sombreetbien chauffé, unfeu flambait dansune cheminée.

Nousavons touscommandé descappuccinos. Marek avaitvoulu parler deson père, laveille, etc'est cequ'il faisait àprésent.

Monpèreétait originaire del'autre côtédeBolechow, a-t-ilexpliqué, lecôté pauvre.

Iln'est alléàl'école que jusqu'en troisième.

Iladû commencer àtravailler trèsjeune. Avant departir pourlaSuède, j'avaisconsulté unefoisencore l'Annuaire professionnel de Galicie de1891 surlesite www.jewish- gen.org.A efraim freilich, j'avaislu:hadern– und knocheshandler.

Chiffonnier.Eneffet :l'autre côtédeBolechow. Avec unair affable surson large visage, Marekacontinué àparler deson père, quiétait mort bien avant quejecommence àrêver dedécouvrir cequi était arrivé àOncle Shmiel.

Mareka dit, Ilétait...

ilétait trèsspécial.

Très,trèsspécial.

Ilaaidé beaucoup deJuifs après laguerre. Tous lesJuifs leconnaissent ici !Iladonné del'argent àbeaucoup degens.

C'était étonnant : lorsqu'il estmort – etiln'est venu ici,enSuède, qu'untemps trèsbref, parce quejel'avais amené àl'hôpital depuislaPologne –, lorsqu'ilestmort, ilyavait centpersonnes ici. J'ai compris qu'ilvoulait direauxfunérailles. Il adit, C'était étonnant.. »

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