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BALZAC (Honoré, dit de)

Publié le 16/02/2019

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balzac

BALZAC (Honoré, dit de), écrivain français (Tours 1799-Paris 1850). L'auteur de la Comédie humaine est l'un des initiateurs, théorique et pratique, du réalisme en littérature à l'époque romantique. L’ambiguïté de son œuvre, cependant, interdit de l'enfermer dans cette catégorie, quelque peu figée après lui, tant par les écrivains naturalistes que par une critique se réclamant du matérialisme historique (Lukâcs). En fait, l'ensemble romanesque balzacien est une excellente base de départ pour réexaminer les rapports de la littérature et de la réalité. L'ardeur des querelles à son sujet, notamment dans les années 1950 1970 (Picon, Béguin, Wurmser, Barbéris), montre bien son importance stratégique au moment même où, parmi les formes romanesques récusées par le Nouveau Roman, figurait en première ligne celle qu'avait illustrée Balzac.

 

L'œuvre balzacienne est celle d'un homme qui n'a rêvé littérature qu'en plus de ses autres rêves. Comme tous ses contemporains, Balzac voulait d'abord le pouvoir, du pouvoir ; politique, mariage, journalisme, entreprise industrielle et commerciale (qu'elle tienne directement à la littérature, comme la direction d'une revue, ou qu’elle lui soit radicalement étrangère, comme ces mines antiques de plomb argentifère de Sardaigne qu'il rêva de rouvrir), la littérature n'était dans tout cela que moyen, supplément ou pis-aller. Jamais Balzac, à la différence de ce qui se passera dans la génération de Flaubert et de Baudelaire, puis dans celle de Mallarmé, ne rêva d'un magistère exclusivement littéraire. L'explication est simple : on est encore tout près des origines du volontarisme bourgeois, et l'Histoire est encore ouverte au lieu d'être compromise, vidée de toute promesse. Lorsque le jeune Honoré Balzac, fils d'un fonctionnaire impérial (qui avait été berger dans l'Albigeois, qui avait cru dur comme fer aux Lumières et avait achevé après 1789 une ascension sociale commencée sous

 

Louis XVI), entre dans la vie, il est porté par la vague encore fortement ascendante des couches bourgeoises non définitivement pourvues. La différence est saisissante sur ce point avec Stendhal, issu, lui, d'une bourgeoisie déjà nantie, conservatrice, crispée, et à laquelle, précisément, il devait si fortement opposer la Révolution. Honoré Balzac veut être quelqu'un, le bonheur pour lui passant exclusivement par l’affirmation de soi, et non, comme chez Stendhal, par le plaisir et la jouissance. Son père le nourrit d'optimisme, d'anticléricalisme, de foi en la culture. Du côté de sa mère, par contre, ce sont très vite les stigmates de la vie privée, la solitude de l'enfant, l'exemple d'une vie gâchée par un mariage précoce et les illusions de l’adultère. Si plus d'un bourgeois conquérant du romancier ressemble à Bernard-François Balzac, la première femme de trente ans est certainement Mme Balzac, à qui très vite s'ajoutent les deux sœurs, Laure et Laurence, la première qui vivra tout au long un mariage bourgeois avec un mari faux grand homme et polytechnicien, la seconde qui mourra abandonnée à vingt-cinq ans après avoir cru que le mariage et l'amour lui apporteraient la liberté. Le romanesque balzacien naîtra d'abord du spectacle de cette famille exemplaire, déchirée entre les souvenirs du xviiie s. et les fatalités du xixe.

 

Les deux premières expériences de la vie ont été l'exil chez une nourrice et l'enfermement au collège de Vendôme. Expériences utilisées dans Louis Lambert (1832) et le Lys dans la vallée (1836). Élève médiocre pour l'extérieur, le jeune Balzac se livra à une débauche de lecture et commença certainement à réfléchir et à écrire sur les problèmes philosophiques ; on sait aujourd'hui que le Traité [ou la Théorie] de la volonté, dont il est question dans la Peau de chagrin (1831) et Louis Lambert (1832), n'est pas simplement invention du romancier. Ces efforts continueront lorsque Honoré, après 1814, suivra sa famille à Paris, où il sera élève du lycée Charlemagne, et lorsque, en 1819, il obtiendra de pouvoir s'enfermer dans la fameuse mansarde de la rue Lesdiguières pour tenter de devenir écrivain. Dans la préface à la première édition de la Peau de chagrin, Balzac fera de l'observation et de l'expression les deux éléments constitutifs de l'art d'écrire, « une vue et un toucher littéraires » : la réunion de ces deux facultés fait « l'homme complet », mais non le génie, apanage des écrivains « réellement philosophes » qui doivent posséder « une sorte de seconde vue qui leur permet de deviner la vérité dans toutes les situations possibles ». Le vieux matérialisme de Locke et la découverte des mystiques modernes le conduisent ainsi à une philosophie à la fois fortement déterministe et très ouverte aux problèmes des faits de conscience et du dynamisme complexe de la vie psychique et sociale. Il ne faut jamais oublier que là se trouve le premier effort intellectuel de Balzac — Cousin et Cuvier, autour de sa vingtième année, venant renforcer et relancer la profonde influence de Locke. Politiquement, le jeune Balzac est nettement de gauche. On connaît de lui, en 1819, une lettre dans laquelle il se réjouit bruyamment de l'élection du régicide abbé Grégoire à la Chambre des députés.

 

Dans sa mansarde, Balzac entreprend, pour réussir dans ce qu'on appelle alors « littérature » (poésie lyrique, histoire, philosophie, théâtre), d'écrire une tragédie, Cromwell. La lecture devant l'académicien Andrieux est une catastrophe, et Honoré se voit conseiller de faire de tout « sauf de la littérature », dont le roman alors ne fait nullement partie. Pour vivre, Balzac va se faire romancier mercenaire il travaille pour des officines qui ravitaillent en romans les cabinets de lecture. L'histoire de cette première production, parue sous les pseudonymes de lord R'Hoone et Horace de Saint-Aubin, est aujourd'hui bien connue. Balzac y exploite la tradition ironique du roman gai et de la satire parodique (l'Héritière de Biraque et Jean Louis, 1822), mais il aborde aussi les thèmes de la vie privée et met en place ses premières figures de jeunes filles : Annette et le Criminel (1823, réédité en 1836 sous le titre plus connu à'Argow le pirate} et surtout Wann Chlore,

 

commencé en 1822 et publié seulement en 1825, qui s'inspire directement du couple Mme Balzac-Laurence. Le Vicaire des Ardennes et le Centenaire (fin 1822) se réclament, eux, du roman philosophique et du roman sentimental. Baptisés par leur auteur lui-même de « cochonneries littéraires », ces romans sont en fait une sérieuse mise au travail ; ils sont à lire aujourd'hui au second degré, non comme des chefs-d'œuvre à retrouver, mais comme les premiers essais d'une écriture. De plus, dans les préfaces, Balzac y ébauche la vie imaginaire de leur auteur pseudonyme, Horace de Saint-Aubin, qui en devient ainsi le héros commun inattendu, ancêtre de Lambert et de Rubempré.

 

La fortune ne venant pas, les journaux ne s'ouvrant pas, Balzac, après 1825, se lance dans les affaires : imprimerie, fonderie. Il trouve une aide financière auprès de Mme de Bemy (la Dilecta), femme mûrissante qui lui tient lieu à la fois de mère et d'initiatrice amoureuse et mondaine. La catastrophe survient en 1827. Balzac s'endette auprès de sa mère, qu'il ne pourra jamais rembourser et qui le lui rappellera toute sa vie. Il décide alors de tenter à nouveau sa chance avec sa plume. Il écrit un roman sur les guerres civiles de l'Ouest : le Gars, titre remplacé par le Dernier Chouan et que Balzac publie, après avoir pensé à un dernier pseudonyme, Victor Morillon, sous son nom en 1828. Le modèle est évidemment Walter Scott, mais Balzac, alors encore profondément libéral et de plus admirateur récent des saint-simo-niens, nourrit son roman historique de deux thématiques nouvelles : celle de la vie privée (la femme abandonnée, la femme dans la Révolution) et celle de la critique antilibérale (le roman prend le contre-pied des théories libérales courantes sur la nature profonde des guerres de l'Ouest). Le succès est très moyen, mais Balzac ne quittera plus jamais la littérature. Il entre de manière plus sérieuse dans les milieux de la presse et de la librairie. Il devient l'ami de Latou-che, fait sans doute la connaissance personnelle de Stendhal (dont il admire vivement De l'amour}. Ses activités se développent dans deux directions : l'un des animateurs du Feuilleton des journaux politiques, feuille saint-simo-nienne, et collaborateur de la première Presse de Girardin, ayant ses entrées à la Silhouette et à la Caricature, Balzac connaît alors l'expérience qu'il prêtera plus tard à Lucien de Rubempré dans les Illusions perdues; par ailleurs, il écrit une Physiologie du mariage (commencée vers 1825, mais qui n'est achevée que fin 1829) et entreprend une série de Scènes de la vie privée, dont les premières paraissent en mars 1830. C'est en février 1830 qu'il utilise pour la première fois la particule devant son nom dans une publication en revue. Il paraît dans des salons prestigieux, comme l'Abbaye-aux-Bois, chez Mme Récamier.

 

Le Balzac de la veille de juillet 1830 est surtout l'homme du mariage et de la femme. La Physiologie aborde hardiment le problème en termes statistiques (l'adultère résulte des structures sociales) et tourne le dos à la lecture moraliste traditionnelle. Le De l'amour stendhalien est souvent là derrière, avec son goût de l'analyse, de l'aphorisme, un scientisme élégamment provocateur, mais Balzac va beaucoup plus loin que Beyle : homme de trente ans dont la vie est encore assez vide de souvenirs et qui n'en est pas encore à l'autobiographie, il systématise davantage dans une perspective sociologique. Le livre fit scandale et fut souvent lu de travers. On ne vit pas, derrière les sarcasmes et les statistiques, la saisie directe d’un phénomène dans sa dimension vraie et l'effort pour unir une réflexion théorique de portée générale et l'analyse de cas particuliers. En somme, la Physiologie (dont les Scènes de la vie privée étaient supposées être des illustrations) annonçait déjà le projet d'une œuvre romanesque fortement articulée sur une théorisation philosophique. Balzac venait cependant trop tôt sur le marché littéraire : on ne pensait alors qu'à la « bataille » à’Her-nani et à la lutte contre le ministère Polignac. Cet « échec » explique en partie son nouveau changement de cap.

 

En juillet 1830, Balzac est en Touraine

 

avec Mme de Bemy. Lorsqu'il rentre à Paris en septembre, il commence par tenir une chronique régulière des événements politiques dans le Voleur de Girardin : ce sont les Lettres sur Paris, qui analysent, au fil des semaines, la retombée de l'enthousiasme et le début de la réaction après la chute de Charles X. Balzac est toujours de gauche, mais il tend à devenir féroce pour l'illusionnisme du parti démocratique, pour la phraséologie qui envahit la politique, en même temps qu'il souhaite que la révolution continue et aille au bout de ses conséquences (notamment par une guerre à l'Europe réactionnaire). Dans le même temps, il fortifie ses positions parisiennes : il signe un très riche contrat avec la Revue de Paris, pour laquelle il va écrire une quantité considérable de nouvelles. Il devient une figure de la vie un peu folle de la capitale, surtout après le foudroyant succès, au mois d'août 1831, de la Peau de chagrin. Ce conte fantastique qui est aussi, de manière inséparable, un bilan idéologique de l'après-Juillet, a été écrit de l'automne 1830 à l'été 1831. Balzac y utilise à fond ses souvenirs de jeune intellectuel pauvre ; il y aristocratise (sous le nom de Raphaël de Valentin) son opposition à l'univers de l'argent-roi ; il y fustige une société qui, sous la Restauration, est déjà celle qui se révèle sous la monarchie nouvelle ; il met en place deux personnages clés : Foedora, « la femme sans cœur », incarnation de la société, et Rastignac, qui n'est alors qu'un viveur et un proxénète littéraire, mais qui permettra, en 1835 dans le Père Goriot, la mise en place de l'un des maîtres-mythes de l'œuvre en train de trouver sa voie. De plus, la Peau de chagrin entend se structurer autour d'une théorie, celle de l'usure vitale : l'individu, comme les sociétés, dispose d'une quantité limitée d'énergie, et il faut trouver le système régulateur qui concilie l'expansion et la durée ; faute de quoi, c'est la mort, soit par immobilité et sous-vie, soit par dépense folle et autoconsommation de soi. Derrière ces idées, il y a les propositions du philosophe Azaïs — la théorie des compensations — et les retombées inconscientes et incontrôlées de la thermodynamique. Ainsi se renforce cette tendance d'une œuvre de fiction à la fois engendrant et illustrant une grave théorisation. Enfin, œuvre d'actualité, la Peau de chagrin devait séduire le public par la synthèse du genre journalistique et des plus hautes ambitions culturelles. Dès lors, c’est l'explosion. Balzac gagne de l'argent et dépense cet argent comme un fou. Une vieille amie, Zulma Carraud, lui demande un jour s'il a mesuré sa peau de chagrin depuis qu'il a changé de cabriolet. Est-ce la gloire et le pouvoir ? Est-ce la mort? Balzac, s'il « réussit », travaille aussi comme un damné, ce qui le conduira, en juin 1832, au bord de la folie. En même temps, à la fois pour des raisons théoriques (il s'éloigne de plus en plus du libéralisme, mais refuse de se laisser séduire par les nostalgies républicaines) et pour des raisons pratiques (il se cherche une base sociale, un milieu porteur), il vire au carlisme, comme on dit alors, c'est-à-dire au légitimisme. Ses anciennes sympathies saint-simoniennes (autorité, centralisme, intégration, condamnation du désordre et du laisser-faire affairiste) débouchent sur un néoroyalisme curieux qu'il expose dans des articles pédants, mais précis. C'est pour lui le moyen qu'il juge le plus efficace de récuser le Juste-Milieu, l'opportunisme d'une bourgeoisie en train de devenir répressive, mais qui tient à « sa » révolution. Balzac, dont le snobisme et l'arrivisme sont incontestables, mais qui aussi se cherche toujours une mère, entre alors dans les milieux aristocratiques. Il milite auprès du duc de Fitz-James, prépare une candidature aux élections, collabore au Rénovateur, à l'Écho de la Jeune France. Du même mouvement, il se met en tête d'être aimé de la marquise de Castries, qui se moque de lui et le conduit au bord du désespoir. Foedora s'incarne, et bientôt Balzac le racontera dans la Duchesse de Langeais.

 

L'été 1832 voit l'une des grandes crises de la vie de Balzac. Au bord de l'écroulement nerveux, il part pour son havre de Saché (chez M. de Margonne, un ancien amant de sa mère) et il écrit

 

Louis Lambert, en quelques nuits. Puis il file vers la Savoie où l'attend Mmc de Castries. Pour avoir l'argent du voyage, il vend à Marne un roman à écrire, le Médecin de campagne, centré sur deux éléments contradictoires : le salut d'un homme, que la passion a failli détruire, par l'œuvre sociale de transformation d'un village des Alpes ; la confession du médecin de campagne, qui utilise la catastrophe Castries (à Aix, la marquise s'est définitivement refusée). Le Médecin de campagne est ainsi une suite et un prolongement de Louis Lambert : Louis Lambert est mort fou, tué par les idées, tué par le désir, mais le docteur Benassis échappe à cet enfer par la création et l'organisation d'une utopie. Quel psychodrame s'est alors joué pour Balzac, il est facile de s'en rendre compte. Désirer ou créer, intégrer le désir à la création, dépasser le « romantisme » par l'action. Mais aussi découvrir que l'action ne résout jamais tout et que tout est toujours précaire, que la folie et la mort sont toujours là, alors même que le monde peut être changé et que le changement passe, très précisément, par des techniques économiques, par une réorganisation non libérale de la société. Univers du faire et vertige du moi, colonies dans un ailleurs et pour autre chose, langage imprescriptible et rupteur de la passion comme signe et comme preuve à la fois de la valeur et du péril de la vie : Balzac n'a encore écrit ni Eugénie Grandet, ni le Père Goriot, ni aucun des textes qui le feront « balzacien » et pourtant une impressionnante cosmogonie s'est mise en place, toute proche de celle des « romantiques » : qu'on lise les Feuilles d’automne de Hugo (contemporaines par leur publication de la Peau de chagrin}, l'interrogation est la même (« Ce qu'on entend sur la montagne » demande avec angoisse « lequel vaut mieux d'être ou de vivre »), le vertige identique devant une modernité-piège, mais qui ne peut pas ne pas être le champ d'action des hommes. Au moment où Michelet {Introduction à l’histoire universelle, mars 1831) veut voir la modernité, depuis Juillet, comme transparente promesse, le texte balzacien en dit le caractère profondément problématique et truqué. Si l'on ajoute que c'est parallèlement à cette carrière d'écrivain fantastique et philosophique que Balzac s'est remis aux Scènes de la vie privée (une nouvelle série paraît en 1832, avec le centrage sur une double figure désormais clairement nommée : la femme abandonnée, la femme de trente ans) et qu'il greffe ainsi son écriture de l'intense sur une grande maîtrise de l'intimisme réaliste, on comprendra que l'on soit alors au seuil de quelque chose de capital. Le maillon intermédiaire va être, en 1833, dans le cadre d'un contrat passé avec la veuve Béchet, l'idée des Études de mœurs, puis bientôt (dans le cadre d'un autre contrat avec Werdet) celle des Études philosophiques : le polygraphe brillant et pathétique se mue en organisateur de son écriture et de sa vision des choses. Des préfaces retentissantes (Félix Davin, Philarète Chasles) soulignent l'ambition de l'entreprise. Une cathédrale est en train de naître. C'est ce que, à l'orée de l'époque décisive qui s'ouvre, signale le roman-carrefour qu'est la Recherche de l'absolu, à la fois étude philosophique et scène de la vie privée, ravage de la passion dans le quotidien, vision de l'unité ascendante et fascinante de la réalité. Nul n'a raison ni tort, de Claës qui ruine sa famille pour l'Absolu, et de sa fille qui entend vivre et faire vivre la vie. Et les descriptions de maisons et d'intérieurs sont là comme éléments décisifs d'un nouveau type de narration. À la fin de cette année 1834 se produit l'événement décisif, la grande cristallisation.

 

Balzac écrit, pour la Revue de Paris, le Père Goriot, scène de la vie privée, scène de la vie parisienne, roman d'éducation, roman de ce qu'on pourrait appeler le folklore d'une modernité oubliée par la littérature élégante. Balzac, dans les premières pages, provoque la « lectrice à la blanche main » qui s'attend à s'amuser. Mais « ail is true », et ce livre est un acte ; il se veut pédagogique et effracteur ; il met au centre de la réalité parisienne l'extraordinaire personnage de Vautrin, l'homme

 

qui connaît les secrets du monde et qui sait coudre ensemble deux idées ; il montre un vieux trafiquant riche devenant le martyr d'une paternité non tant « morale » que sociale : Goriot entendait que ses filles accomplissent la réussite qu'il avait commencée ; il en meurt, comme semblent devoir en mourir tous ceux qui s'embarquent dans la course au pouvoir et à l'argent ; seul survit, figure discrète dont le sens ne peut encore apparaître au lecteur, Bianchon, l'homme de science non compromis, le témoin en réserve de toute une Comédie humaine à écrire. Et, pour envelopper le tout, Balzac applique pour la première fois un système appelé à devenir fameux, celui du retour des personnages : on retrouve le Rastignac de la Peau de chagrin, mais à vingt ans, lors de son arrivée à Paris. Balzac, par ce moyen technique, découvre un moyen d'unifier son œuvre à écrire et constate l'unité profonde de son œuvre déjà écrite ; il n'y a plus qu'à débaptiser quelques personnages, qu’à arranger quelques dates (ce sera souvent du bricolage, et les invraisemblances ne disparaîtront jamais toutes) pour que les récits sortent de leur isolement et tendent à constituer les fragments d’une fresque. Conquête suprême : grâce à ce système, on s’affranchit même du fameux dénouement, héritage du théâtre bien fait, et Rastignac peut conclure par son « À nous deux maintenant !» : on attend la suite, que d’ailleurs on connaît déjà un peu, puisqu'il y a la Peau de chagrin. Le roman balzacien est vraiment né, non par miracle et génération spontanée, mais dans le mouvement d'un travail, d'une recherche infiniment plus novatrice que les minirévolutions du drame romantique. Si l'on ajoute que c'est en 1834 qu'un article (désagréable) de Sainte-Beuve consacre (quand même) Balzac comme écrivain important, on verra que c'est bien en cette année charnière que Balzac est définitivement sorti d'apprentissage. Et comme rien ne va jamais sans rien, de Bemy va bientôt mourir. Il est vrai aussi que, depuis 1832, elle est remplacée dans les préoccupations de Balzac par une

balzac

« guières pour tenter de devenir écrivain.

Dans la préface à la première édition de la Peau de chagrin, Balzac fera de l'observation et de l'expression les deux éléments constitutifs de l'art d'écrire, « une vue et un toucher littéraires >> la réunion de ces deux facultés fait « l'homme complet >>,mais non le génie, apanage des écrivains « réellement phi­ losophes >> qui doivent posséder « une sorte de seconde vue qui leur permet de deviner la vérité dans toutes les situa­ tions possibles >>.

Le vieux matérialisme de Locke et la découvene des mystiques modernes le conduisent ainsi à une philosophie à la fois fortement détermi­ niste et trés ouverte aux problèmes des faits de conscience et du dynamisme complexe de la vie psychique et sociale.

Il ne faut jamais oublier que là se trouve le premier effort intellectuel de Balzac - Cousin et Cuvier, autour de sa ving­ tième année, venant renforcer et relan­ cer la profonde influence de Locke.

Politiquement, le jeune Balzac est nette­ ment de gauche.

On connalt de lui, en 1819, une lettre dans laquelle il se réjouit bruyamment de l'élection du régicide abbé Grégoire à la Chambre des députés.

Dans sa mansarde, Balzac entreprend, pour réussir dans ce qu'on appelle alors , dont le roman alors ne fait nullement partie.

Pour vivre, Balzac va se faire romancier mercenaire : il travaille pour des officines qui ravitaillent en romans les cabinets de lecture.

L'histoire de cette première production.

parue sous les pseudonymes de lord R'Hoone et Horace de Saint-Aubin, est aujourd'hui bien connue.

Balzac y exploite la tradition ironique du roman gai et de la satire p arodiq ue (l'Héritière de Biraque et Jean Louis, 1822), mais il aborde aussi les thèmes de la vie privée et met en place ses premières figures de jeunes filles : Annette et le Criminel (1823, réédité en 1836 sous le titre plus connu d'Argow le pirate) et surtout Wann Chlore, commencé en 1822 et publié seulement en 1825, qui s'inspire directement du couple M"'' Balzac-Laurence.

Le Vicaire des Ardennes et le Centenaire (fin 1822) se réclament, eux, du roman philosophi­ que et du roman sentimental.

Baptisés par leur auteur lui-même de >, ces romans sont en fait une sérieuse mise au travail ; ils sont à lire aujourd'hui au second degré, non comme des chefs-d'œuvre à retrouver, mais comme les premiers essais d'une écriture.

De plus, dans les préfaces, Balzac y ébauche la vie imaginaire de leur auteur pseudonyme, Horace de Saint-Aubin, qui en devient ainsi le héros commun inattendu, ancêtre de Lambert et de Rubempré.

La fortune ne venant pas, les journaux ne s'ouvrant pas, Balzac, après 1825, se lance dans les affaires : imprimerie, fonderie.

JI trouve une aide financière auprès de M ...

de Berny (la Dilecta), femme mûrissante qui lui tient lieu à la fois de mère et d'initiatrice amoureuse et mondaine.

La catastrophe survient en 1827.

Balzac s'endette auprès de sa mère, qu'il ne pourra jamais rembourser et qui le lui rappellera toute sa vie.

Il décide alors de tenter à nouveau sa chance avec sa plume.

ll écrit un roman sur les guerres civiles de l'Ouest : le Gars, titre remplacé par le Dernier Chouan et que Bal.za c publie, aprés avoir pensé à un dernier pseudonyme, Victor Morillon, sous son nom en 1828.

Le modèle est évidemment Walter Scott, mais Balzac, alors encore profondément libéral et de plus admirateur récent des saint-simo­ niens, nourrit son roman historique de deux thématiques nouvelles : celle de la vie privée (la femme abandonnée, la femme dans la Révolution) et celle de la critique antilibérale (le roman prend le contre-pied des théories libérales cou­ rantes sur la nature profonde des guer­ res de l'Ouest).

Le succès est très moyen, mais Balzac ne quittera plus jamais la littérature.

Il entre de manière plus sérieuse dans les milieux de la presse et de la librairie.

Il devient l'ami de Latou­ che, fait sans doute la connaissance personnelle de Stendhal (dont il admire vivement De l'amour).

Ses activités se. »

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