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BEAU, BEAUTÉ - Voltaire, Dictionnaire philosophique.

Publié le 26/03/2011

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Demandez à un crapaud ce que c'est que la Beauté, le grand beau, le to kalon ! Il vous répondra que c'est sa femelle avec deux gros yeux ronds sortant de sa petite tête, une gueule large et plate, un ventre jaune, un dos brun. Interrogez un nègre de Guinée ; le beau est pour lui une peau noire, huileuse, des yeux enfoncés, un nez épaté. Interrogez le diable ; il vous dira que le beau est une paire de cornes, quatre griffes, et une queue. Consultez enfin les philosophes, ils vous répondront par du galimatias; il leur faut quelque chose de conforme à l'archétype du beau en essence, au to kalon (le beau). J'assistais un jour à une tragédie auprès d'un philosophe. « Que cela est beau ! disait-il. — Que trouvez-vous là de beau ? lui dis-je. — C'est, dit-il, que l'auteur a atteint son but «. Le lendemain il prit une médecine qui lui fit du bien. «Elle a atteint son but, lui dis-je; voilà une belle médecine«! Il comprit qu'on ne peut dire qu'une médecine est belle, et que pour donner à quelque chose le nom de beauté, il faut qu'elle vous cause de l'admiration et du plaisir. Il convint que cette tragédie lui avait inspiré ces deux sentiments, et que c'était là le to kalon, le beau.

Nous fîmes un voyage en Angleterre : on y joua la même pièce parfaitement traduite; elle fit bâiller tous les spectateurs. «Oh! oh, dit-il, le to ka/on n'est pas le même pour les Anglais et pour les Français. « Il conclut, après bien des réflexions, que le beau est très relatif, comme ce qui est décent au Japon est indécent à Rome, et ce qui est de mode à Paris ne l'est pas à Pékin ; et il s'épargna la peine de composer un long traité sur le beau. Voltaire, Dictionnaire philosophique. Par une étude attentive de l'écriture, vous ferez de cette page un commentaire composé que vous organiserez à votre gré. Vous pourrez, par exemple, examiner la manière dont Voltaire fait apparaître « que le beau est très relatif«. Corrigé INDICATIONS Le fil conducteur de ce texte est évidemment la notion de relativité du Beau. Ce n'est pas une réflexion isolée chez les philosophes du XVIIIe siècle. Voltaire lui-même y revient à plusieurs reprises dans ses contes {cf. par exemple l'épisode des Oreillons dans Candide, tout à fait parallèle à la remarque sur la beauté féminine aux yeux d'un «nègre de Guinée«. Mais la relativité du Beau s'inscrit, plus généralement, dans une spéculation sur la relativité de la coutume, d'ailleurs abordée très différemment selon les cas : le même Montesquieu peut passer de la grave théorie des climats à l'homme mordant des Lettres Persanes. Il faut noter que : • Le relativité de la coutume est largement inspirée de Montaigne (cf. le chapitre sur les Cannibales dans les Essais) : « Chacun appelle barbarie ce qui n'est pas de son usage ; comme de vrai il semble que nous n'avons autre mire de la vérité et de la raison que l'exemple et idée des opinions et usances du pays où nous sommes. «   

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« le comportement amoureux du Français, de l'Italien, de l'Espagnol, de l'Anglais (Voltaire lui-même, dans La princessede Babylone; Goldoni, dans La Veuve rusée ; Rameau, dans Les Indes Galantes ...).

Généralement, le Français estséduisant, beau parleur, narcissique, inconstant.

L'espagnol passionné, exclusif et jaloux ; l'Anglais froid etindifférent (mais pas les Anglaises !); l'Italien emporté, mais franc, sincère et naturel (du moins lorsque c'est unItalien qui écrit...).

Voltaire conclut par une « pointe » à l'égard des philosophes (« il s'épargna la peine de composerun long traité sur le beau »). II.

En effet, Voltaire reprend ici une critique pragmatique de la recherche par la philosophie des essences et dessystèmes.

Dans la partie centrale du texte — la discussion avec le philosophe — il se plaît à opposer le « galimatias» de celui-ci et son goût de l'abstraction (la beauté consiste dans l'adéquation entre le résultat et le but cherchépar le créateur ; en d'autres termes, la conscience croit faire l'économie de la séduction et du plaisir) à son propre«réalisme».

A côté d'un certain narcissisme (Voltaire se donne le beau rôle...), il faut reconnaître ici une constantede sa démarche, des Lettres Anglaises à L 'homme aux quarante écus, en passant par Candide (Pangloss et Martinenfermés dans leur optimisme ou leur pessimisme dogmatiques, et incapables de voir que « l'essentiel » est decultiver notre jardin) ou Micromégas.

Ce que Voltaire, lui-même figure marquante du « parti philosophique », vise,sous le nom de philosophe, c'est en fait le métaphysicien, celui qui spécule sur l'essence de la condition humaine etcherche à en rendre compte par un système abstrait (que ce soit Pascal ou Leibniz...) au lieu de se fier àl'expérience et de chercher concrètement à quelles conditions cette Condition est aménageable (Voltaire ne cachepas sa sympathie pour l'empirisme de Locke, de beaucoup le plus modeste et le plus sage parmi les faiseurs degalimatias...).

Ici, composer un long traité sur le beau est moins utile (et moins agréable !) que de se rapporter auplaisir qu'on éprouve. III.

Voltaire fait en effet, de l'apparente digression centrale, une charnière de la réflexion.

Le comique mécanique detransposition (la tragédie est belle car l'auteur a atteint son but — sous entendu : démonstratif // Le malade estguéri ; voilà une belle médecine — sous entendu : puisque le médecin a atteint son but) permet, en fait, de mettreen valeur l'importance, non point du sentiment et de l'émotion (Rousseau, et, dans une certaine mesure Diderot),mais bien de l'admission (sensible, sensuelle) et du plaisir; c'est-à-dire, en l'occurrence la jouissance d'un monde«policé» (entendez : civilisé), aménagé par les lumières et les arts.

Voltaire consent volontiers à laisser « le nègrede Guinée » admirer sa Guinéenne : son point de vue, très négatif et mordant, dans le débat sur le «bon sauvage»et la vertu de « l'état de Nature », nous enseigne qu'à côté d'un anti-dogmatisme et d'une tolérance très réels, ilthéorise également le bien-être d'une classe de loisir, certes intelligente et raffinée.

C'est une nouvelle lumière sur larelativité de la Beauté qu'apporte la phrase du Mondain : « Le Paradis terrestre est où je suis.

». »

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