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Bergson, Les Deux Sources de la morale et de la religion, éd. du Centenaire, P.U.F., Paris, 1970, p. 1204.

Publié le 23/03/2015

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bergson
« Il y a une morale statique, qui existe en fait, à un moment donné, dans une société donnée, elle s'est fixée dans les moeurs, les idées, les institutions ; son caractère obligatoire se ramène, en dernière analyse, à l'exigence, par la nature, de la vie en commun. Il y a d'autre part une morale dynamique, qui est élan, et qui se rattache à la vie en général, créatrice de la nature qui a crée l'exigence sociale. La première obligation, en tant que pression, est infra-rationnelle. La seconde, en tant qu'aspiration, est supra-rationnelle. Mais l'intelligence survient. Elle cherche le motif de chacune des prescriptions, c'est-à-dire son contenu intellectuel ; et comme elle est systématique, elle croit que le problème est de ramener tous les motifs moraux à un seul. Elle n'a d'ailleurs que l'embarras du choix. Intérêt général, intérêt personnel, amour-propre, sympathie, pitié, cohérence rationnelle, etc., il n'est aucun principe d'action dont on ne puisse déduire à peu près la morale généralement admise. Il est vrai que la facilité de l'opération, et le caractère simplement approximatif du résultat qu'elle donne, devraient nous mettre en garde contre elle. Si des règles de conduite presque identiques se tirent tant bien que mal de principes aussi différents, c'est probablement qu'aucun des principes n'était pris dans ce qu'il avait de spécifique. Le philosophe était allé le cueillir dans le milieu social, où tout se compénètre, où l'égoïsme et la vanité sont lestés de sociabilité : rien d'étonnant alors à ce qu'il retrouve en chacun d'eux la morale qu'il y a mise ou laissée. Mais la morale elle-même reste inexpliquée, puisqu'il aurait fallu creuser la vie sociale en tant que discipline exigée par la nature, et creuser la nature elle-même en tant que créée par la vie en général. On serait ainsi arrivé à la racine même de la morale, que cherche vainement le pur intellectualisme. «
Bergson, Les Deux Sources de la morale et de la religion, éd. du Centenaire, P.U.F., Paris, 1970, p. 1204.
 


bergson

« Textes commentés Bergson distingue ici deux types de morales : la morale « statique » correspond à la société « close », dans laquelle l'obligation représente la pression que la société, qui ne vise qu'à se conserver, exerce sur l'individu au moyen d'un système d'habitudes plus ou moins assimilable à l'instinct.

Cette pression s'exprime à travers un ensemble de prescriptions sociales impersonnelles que Bergson appelle le « tout de l'obligation ».

D'autre part, la morale « dynamique », qui renvoie à la société « ouverte », se caractérise par l'aspiration et l'élan : c'est celle des grandes individualités morales, les saints, les sages et les héros, qui, se portant vers l'humanité en général dans un élan d'amour, lancent un appel à la conscience de chacun et mobilisent les foules, non par référence à une doctrine mais par l'efficace propre d'une émotion.

Si la morale statique est « infra-rationnelle » c'est qu'elle s'impose à l'individu, du fait de la pression de la société, avant toute réflexion.

La morale « dynamique », quant à elle, est « supra-rationnelle», au sens où l'émotion qu'elle propage peut se traduire en un très grand nombre d'idées ou de théories rationnelles.

Dans les deux cas, une explication purement « intellectualiste » de la morale, c'est-à-dire prétendant fonder l'obligation sur une prescription de l'intelligence ou de la raison (à la manière de Kant, par exemple) se trouve récusée.

Certes, la nature a doté l'homme de l'intelligence, comme l'animal de l'instinct.

D'où l'illusion, relayée par la plupart des philosophies morales, que la source de l'obligation se trouve dans la raison et que toute conduite morale doit pouvoir être ramenée à un motif premier entièrement rationnel.

Mais cette tentative est vouée à l'échec : l'action ne relève pas tant, en effet, de l'intelligence que de la volonté.

Aucun idéal, quel qu'il soit, ne saurait, à lui seul, créer une obligation impérieuse.

Seule, une émotion, se prolongeant en élan du côté de la volonté, constitue une force créatrice capable de nous faire agir : il y aura toujours loin, estime Bergson, de l'adhésion de l'intelligence à une doctrine ou à des principes rationnels à une conversion de la volonté.

C'est pourquoi le « pur intellectualisme » se condamne à ignorer l'essence de l'obligation et à en méconnaître la dualité d'origine dans la pression sociale et l'élan d'amour, comme deux manifestations complémentaires de la vie.

Toute morale, pression ou aspiration, est ainsi d'essence biologique et non rationnelle.

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