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TL1 2015-2016 Désir et raison s'excluent-ils nécessairement ?

Publié le 23/01/2016

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TL1 2015-2016 Désir et raison s'excluent-ils nécessairement ? Rappel des questions : Qu'est-ce que le désir ? Est-il (peut-il être) rationnel ? Peut-il l'emporter sur la morale ? Est-il inconscient ? Introduction Désir et raison sont deux tendances présentes en l'homme, et qui souvent semblent s'affronter : le désir présente le pôle de la tentation, de la séduction, du plaisir ; la raison celui de la modération, de la sagesse, voire de la morale. Désir et raison s'excluent-ils nécessairement? Si c'est le cas, cela revient à dire qu'il faudrait donner la préférence à l'un ou à l'autre. Or, privilégier exclusivement le désir, c'est risquer de se laisser emporter et renoncer à diriger soi-même son existence ; à l'inverse, privilégier exclusivement la raison reviendrait à se couper de la source d'énergie que constitue le désir. L'homme est-il irrémédiablement divisé, tiraillé entre ce qu'exige de lui le désir et ce que lui demande la raison ? Ou bien est-il possible de concilier désir et raison ? I- Le désir est irrationnel. 1- Désir et raison diffèrent fondamentalement. Partons de la définition du désir : c'est une « attraction affective visant à une relation de possession ». Le désir est un affect, qui en cela peut être lié au corps même s'il a toujours une dimension psychique (se manifeste à nous sous la forme d'une idée) ; la raison une faculté de l'esprit humain. Si l'on définit maintenant ce qu'est la raison, on distinguera trois sens : 1- fondement objectif, soit d'une déduction (sens logique), soit d'une chose : sa raison d'être. Ainsi, le besoin a une raison d'être, il renvoie à un manque, une nécessité objective ; tandis que le désir est sans raison. Ce que nous désirons, nous n'avons pas de raison de le désirer. D'ailleurs, on peut ne pas satisfaire un désir (il est contingent) tandis qu'il est nécessaire de satisfaire un besoin. Pourtant, malgré son manque de fondement, le désir se manifeste à nous de manière impérieuse ; il envahit le champ de la conscience, et peut devenir quasiment obsessionnel (le désir de Phèdre pour Hippolyte) 2- Faculté humaine de former des idées, de discerner le vrai, de comprendre des liens de cause à effets ou des enchaînements logiques d'idées (des raisonnements). Ce qui est rationnel, c'est ce qui est conforme aux exigences de la raison. D'une part le désir est un affect, et non ce qui nous permet de connaître ; d'autre part, il semble amener la raison à déraisonner, nous entraîner loin du vrai : il produit des illusions (« confondre ses désirs avec la réalité ») ; il peut altérer le jugement de la raison (« L'amour – qui est une forme de désir, le désir amoureux - rend aveugle ») 3- Faculté de discerner le vrai du faux et le bien du mal en tant qu'elle dirige l'action humaine : nous indique la voie à suivre. Est raisonnable celui qui est guidé par sa raison, qui suit la voie que lui indique la raison, qui agit avec sagesse et discernement. Elle désigne également le pouvoir de se gouverner. Ici, c'est la volonté que l'on distinguera du désir : la volonté est la cause de nos actes réfléchis, elle est éclairée par la raison, et elle peut s'opposer au désir. « Faire preuve de volonté ». Il semble donc qu'il y ait bien deux tendances en l'homme, et le désir n'est pas du côté de la rationalité. Il nous donne d'autres raisons d'agir que celles que nous donne la raison. Mais essayons d'aller plus loin dans la compréhension de ce qu'est le désir pour voir en quoi il s'oppose à la raison. 2- Le désir est irrationnel par son origine. a- Il prend sa source dans la partie irrationnelle de l'âme. Platon présente dans le Livre IV de la République une conception de l'âme humaine qui permet de rendre compte des tendances parfois inconciliable que nous expérimentons en nous, et de la diversité des caractères humains. Selon lui, l’âme est divisée en trois parties  : la raison, partie rationnelle (nous); le cœur (thumos, cf. enthousiasme), qui donne énergie ; et les désirs (épithumiai), parties irrationnelles de l’âme, qu’il compare ailleurs à des chevaux fougueux qu’il faut contenir, brider, faute d’en perdre le contrôle. Platon pointe ici à la fois la force du désir, mais aussi son caractère incontrôlable lorsqu’on lui laisse libre cours. Suivre le désir, c'est renoncer à se gouverner soi-même, c'est laisser non pas la raison, mais le corps, les appétits, prendre le contrôle. b- Nous ne savons pas pourquoi ni ce que nous désirons. Il y a une part d'obscurité dans le désir, la psychanalyse le montrera. Mais l'on trouve déjà cette idée dans le récit que Platon donne de l'origine du désir amoureux, dans son ouvrage le Banquet. PLATON, Banquet, 189d-193d. Présentation : chaque convive prononce un discours sur l’amour. Ici : celui d’Aristophane. Méditation sur le désir qui prend la forme d’un mythe (discours sur l’origine, se distingue du discours scientifique : pour comprendre ce que sont les choses, on se demande comment elles sont apparues, d’où elles viennent. ) NB : mythe inventé par Platon. Aristophane (Platon par sa bouche) propose une anthropologie du désir : pour comprendre le nature et l’origine du désir, on s’interroge sur la nature et l’origine de l’homme. Récit : humanité primitive : êtres sphériques, pourvus de quatre bras, quatre jambes, deux sexes. Trois genres et non deux : masculin, féminin, androgyne (ho-ho ; fe-fe ; ho-fe). Ont provoqué la colère des dieux en tentant de se mesurer à eux (escalader le ciel pour les égaler). Punition de Zeus : les coupe en deux. C’est de cette séparation originaire, de cette coupure, que résulte le désir : état de tension, crée par le manque pour chacun de sa moitié originaire. L’expérience humaine de la quête perpétuelle, de l’inquiétude, de l’insatisfaction, se trouve ainsi expliquée par cette perte. Nature humaine dès lors : incomplétude, séparation. Le désir est donc manque et recherche se sa moitié perdue, désir de ne former plus qu’un et de se fondre, de disparaître dans l’autre. Or : cette coupure originelle a été oubliée. Ignorants de notre condition première, nous désirons sans savoir pourquoi, ni précisément ce que nous désirons. Le mythe indique donc qu’il y a quelque chose dans le désir qui nous dépasse, quelque chose d’inconscient. Voir Manuel, texte 9 p. 87 du Bordas (J. Russ). Explication de ce que l’on appelle aujourd’hui le « coup de foudre » : rencontre fortuite de sa moitié perdue. Les amants dans ce cas ne savent pas, mais pressentent confusément ce qu’ils désirent : se fondre l’un dans l’autre (d’où l’allusion à Héphaïstos, le dieu forgeron, qui peut réunir les moitiés séparées). Le mythe rend compte également de la diversité des expériences humaines en terme de sexualité. En effet : ceux étaient originellement androgyne désirent des individus de l’autre sexe ; ainsi se trouve expliqué l’adultère (thème comique) ; mais ceux qui étaient masculins ou féminins recherchent un autre du même sexe qu’eux. Il est à remarquer que l’hétérosexualité et l’homosexualité se trouvent ainsi mises sur le même plan, et donc possèdent une même légitimité. Discours qui se distingue de nombre de discours bien pensants qui ont pu suivre, qui posent l’hétérosexualité comme norme en se fondant sur la nature, et l’homosexualité comme déviance « contre-nature ». NB : en matière de sexualité humaine, la nature ne fait pas norme. Danger au contraire, caractère biaisé du discours « naturaliste », qui ne véhicule rien d’autre qu’une norme sociale ou morale (voir interdiction et répression dans nos sociétés jusque récemment), et se prétend fondé. Voir certaines recherches aux Etats-Unis qui ambitionnent de mettre en évidence un « gène de l’homosexualité », et donc de lui trouver un fondement biologique. Méconnaissent que la sexualité humaine ne relève pas de la seule biologie, ou nature, mais aussi de la culture. Conclusion : profondeur de l’analyse d’Aristophane, qui rend compte du fait humain du désir et de la diversité des pratiques sexuelles humaines. Toutefois, ce que nous dit Aristophane vaut pour le désir amoureux (qui apparaît ici comme désir de fusion, d'abolition de l'autre, mais aussi comme désir narcissique... or ce mythe des androgynes a nourri en grande partie la conception romantique de l'amour en occident), ce à quoi le désir ne se réduit pas. 3- Irrationnel par ses objets L'objet du désir : ce sur quoi se porte le désir, ce qui est désiré. Voir l’étymologie : Desideratio, en latin ; sidus désigne la constellation, et le « de » est privatif. Le terme aurait signifié cesser de contempler le ciel étoilé, avec une nuance de nostalgie. Le désir aurait alors à voir avec l’inaccessible, voire l’impossible : en cela il se distingue du souhait, ou de l'envie. L'envie est passagère, elle porte sur ce que l'on peut obtenir facilement ; le désir dure. Le souhait est réalisable. Le désir semble impossible à satisfaire. C'est à se demander si le désir porte sur des objets réels : lorsqu'un désir est satisfait, lorsque nous obtenons l'objet désiré (Dom Juan dans sa quête), le désir pour l'objet disparaît et un autre désir surgit. Il semble donc aussi insatiable, impossible à satisfaire totalement. Dom Juan, l'homme du désir, semble voué à une quête sans fin, et finalement au malheur. Le désir apparaît comme une force qui, en l'homme, s'oppose à la raison ; il semble donc raisonnable de lutter contre lui pour ne pas se laisser emporter ni aveugler par lui. II- La raison doit s'opposer au désir. 1- Pour des raisons morales. a- Désir et tentation. Dans la pensée judéo-chrétienne, le désir est coupable dès son origine : le premier désir est désir de transgression dans le jardin d’Éden (voir le long extrait de la Genèse, texte 2 p. 64). Ce premier désir n'est pas un désir charnel, notons-le : il est désir de connaissance. Dom Juan est précipité dans les Enfers à la fin de la pièce de Molière pour son comportement de libertin : son désir des femmes, mais aussi l'usage qu'il fait de sa raison ; c'est un libre penseur. Il y a donc un usage de la raison qui est condamné. Cette assimilation du désir au péché originel nourrit toute la morale chrétienne : l'homme doit lutter contre ses désirs pour gagner la vertu ; le désir est en nous tendance à suivre la pente naturelle du mal et du péché, il est signe de la faiblesse humaine. Il est évident que notre culture, dans le culte du désir qu'elle propose, a pris des distances relativement à cette condamnation morale du désir. Toutefois, on trouve aussi dans l'Antiquité, autrement dit dans une culture qui n'est pas marquée par le christianisme, une condamnation du désir. Voyons pourquoi. b- La tempérance comme idéal moral. L'idéal moral, dans l'Antiquité, est celui de la tempérance. Il nous est présenté par Platon qui compare l'homme tempérant, celui qui vit sous la conduite de la raison, à l'homme intempérant, immoral, celui qui donne libre cours à ses désirs. Voir le Gorgias, et le texte 14 p. 92. Position de Calliclès : elle a été donnée dans le passage qui précède immédiatement le nôtre. Voir le texte. Eloge d'une liberté totale : il s'agit de libérer le désir. Parvenir au bonheur suppose de laisser libre cours à tous les désirs, quel que soit leur objet, et de veiller à leur satisfaction. Immoralisme (pas de désirs non recevables ou dont la satisfaction soit condamnable). Nul obstacle ne saurait être opposé au désir. Cette possibilité n’est pas donnée à tous : ce sont des hommes possédant supérieurs, et finalement des êtres disposant de pouvoir, et non la multitude, qui peuvent ainsi donner satisfaction à tous leurs désirs. C’est l’éloge du tyran que fait ici Calliclès, celui qui possède le pouvoir de satisfaire ses moindres caprices. Tyran : homme du désir, dont le désir n’est contenu par aucune loi. A partir du moment où un homme a la « puissance » de satisfaire ses désirs, nulle règle morale, sociale ne saurait s’y opposer. Voir les deux sens de « tyran » : politique, et psychologique. Or, selon Platon, un tel homme se condamne au malheur : à la manière des Danaïdes condamnées à remplir indéfiniment des tonneaux percés (c'est l'image qu'il donne), il ne parvient jamais à un état de satisfaction durable et pleine. La raison est que lorsque l'on libère le désir, tel un cheval auquel on a lâché à la bride, il devient incontrôlable. Le tempérant est gouverné par sa raison et non par son désir. Cet idéal moral est aussi un idéal de liberté : l'intempérant est esclave de son désir, et donc finalement de son corps. Chez Platon, on peut penser que ce qui rend le désir suspect, c'est qu'il vient du corps : les appétits bas sont ceux du corps. Le sage ne doit donc pas être asservi à son corps ; il doit même s'en libérer (la mort est présentée par Platon dans le Phédon comme une délivrance : âme et corps se trouvent enfin déliés, et le corps, « tombeau de l'âme », disparaît.) Il est évident que le christianisme a hérité de cette dévalorisation du corps : le désir charnel, ou concupiscence, est condamné ; c'est un péché. 2- La raison peut libérer l'homme du désir. Le désir est source de servitude : nous le subissons ; à l'inverse, la liberté consiste à agir en suivant sa volonté. C'est l'enseignement de la sagesse stoïcienne. Dans les sages antiques, le désir est perçu comme ce qui peut menacer la tranquillité de l'âme ; et donc comme un obstacle au bonheur. La réflexion sur le désir s'articule donc à une réflexion sur le bonheur. S'il faut se libérer du désir, c'est en tant qu'il peut être source de souffrance et de trouble. Il faut d’abord savoir ce qu’est le bonheur ; or, être heureux, c’est peut-être déjà éviter le malheur. Dès lors, on peut atteindre le bonheur en se libérant de ce qui peut menacer notre bonheur, mais aussi en ne désirant que ce qu’il est en notre pouvoir d’obtenir. Les Stoïciens (philosophie antique) définissent le bonheur comme absence de troubles : ataraxie. Epictète montre dans ses Entretiens que le sage est celui qui parvient à faire la différence entre deux types de choses : celles qui dépendent de nous, celles qui ne dépendent pas de nous. Nous ne pouvons intervenir que sur ce qui dépend de nous ; le reste, nous le subissons. Dès lors, il faut se détacher de ce qui ne dépend pas de nous, et s’attacher uniquement à ce qui dépend de nous. Or ce détachement est une opération de la volonté : dès lors, il dépend de nous d’être heureux, puisqu’il suffit pour cela de faire porter nos désirs sur ce qui dépend de nous, et de considérer comme indifférent ce qui ne dépend pas de nous. Ce qui dépend de nous : nos pensées, nos opinions, nos croyance, nos désirs : tout ce qui dépend de notre jugement et de notre volonté. Quand je porte mon désir sur une chose, c’est que je la juge bonne pour moi ; il ne tient qu’à moi de ne plus la juger bonne (par exemple si je ne peux pas l’obtenir). Ce qui ne dépend pas de nous : la santé, la richesse, l’opinion des autres, les honneurs, la vie des autres. Tout cela est le fruit des circonstances, ou alors entre les mains des autres hommes (être bien vu ne dépend pas seulement de moi ; par contre, agir conformément à ce qu’exige ma conscience, si. Je dois donc me satisfaire de cela pour mon bonheur et rester indifférent au jugement que les autres portent sur moi). L’idéal stoïcien est un idéal d’indépendance : il s’agit de compter sur soi et non sur les autres pour son bonheur ; mais cela ne veut pas dire se couper du monde : le détachement est une attitude morale, pas un mode de vie. Il ne s’agit pas de ne pas avoir d’amis, mais de rester détachés : ne de pas faire dépendre notre bonheur de leur présence. On voit toutefois qu'il ne s'agit pas de bannir tout désir : il y a des désirs qui conviennent parce que leur satisfaction est possible et dépend de nous. Désirer être quelqu'un de bien est un désir dont la satisfaction est à notre portée. Mais on peut remarquer que ce n'est pas un désir de possession, plutôt un désir d'être. Néanmoins, on a pu juger la morale stoïcienne un peu austère : la dimension du plaisir n’est pas prise en compte. 3- La raison permet un choix parmi les désirs. Nous nous réglerons cette fois sur EPICURE, notamment La lettre à Ménécée. La question d’EPICURE est : quelle est la méthode pour parvenir au bonheur ? Et sa réponse : la philosophie nous procure le bonheur. Vous trouverez dans le manuel des extraits de la Lettre à Ménécée, textes 3 à 6 pp. 120-123. Epicure est un philosophe du troisième siècle avant J.-C. (-341 -270). Fondateur de l’épicurisme ; il a un disciple illustre, Lucrèce (-98 environ -55), qui dans De la Nature présente et précise la doctrine d’Epicure. De cette dernière peu de choses nous sont restées : des maximes, des sentences, des lettres à ses disciples. Epicure se présente lui-même comme disciple du matérialiste ancien DEMOCRITE, contemporain de Platon curieusement ignoré dans les textes de ce dernier, qui ne se prive pourtant pas de faire dialoguer Socrate avec les philosophes et Sophistes les plus connus. La philosophie d’Epicure forme un système, dont les différentes parties (Logique : théorie de la connaissance ; Physique : connaissance de la nature) sont au service de la troisième, l’Ethique. L’éthique est précisément l’étude des moyens à mettre en œuvre pour parvenir au bonheur. a- La philosophie est la condition du bonheur. Pourquoi la philosophie est-elle la condition du bonheur ? Parce que notre âme est malade, dit Epicure. Elle se trompe sur le bonheur, sur ce qui permet d’y parvenir, et elle est sujette au troubles, à la peur, aux désirs, qui la condamnent au malheur. Seule la connaissance, la philosophie comprise comme une thérapeutique, peut la guérir. Remarquons que la philosophie n’est pas recherchée pour elle-même mais en tant qu’elle peut permettre de parvenir au bonheur : « la philosophie nous procure la vie bienheureuse ». Epicure condense l’essentiel de sa pensée dans ce qu’il appelle quadruple remède (tetrapharmakon – NB ce terme grec qui signifie aussi bien poison que remède). On peut l’énoncer ainsi : les dieux sont indifférents aux hommes ; la mort n’est rien pour nous ; le plaisir peut être obtenu ; la douleur peut être évitée. En effet : qu’est-ce qui fait le malheur des hommes ? C’est d’une part le trouble de l’âme, d’autre part le trouble du corps. Le trouble est ce qui nous empêche d’être en paix. Sa cause est essentiellement la crainte, qui nous plonge dans des angoisses telles que pour y échapper les hommes s’adonnent aux plaisirs et divertissements les plus dérisoires. Que craignons-nous ? Les dieux (aujourd’hui, que craignons-nous ? l’incertitude liée à l’avenir ; bref nous sommes comme les hommes de l’antiquité sujets à des craintes irrationnelles ; même si ce ne sont plus les dieux qui nous plongent dans la terreur), et la mort. Les dieux parce que par leurs actions et leurs interventions dans le cours de la vie humaine ils sont une menace (crainte superstitieuse : celle de les mécontenter dans des manquements aux rituels ; celle de leurs interventions capricieuses dans le destin des hommes : cf. la tragédie grecque, qui montre les hommes impuissants, aux prises avec la volonté des dieux maîtres de leurs destins) Or la connaissance nous délivre de ces craintes. La connaissance vraie de la nature nous apprend que les dieux ne peuvent intervenir dans les affaires humaines ; et que la mort n’est rien : l’âme ne survit pas à la mort du corps ; dès lors, privée de sensation, elle ne peut plus rien sentir. Quand nous sommes morts nous ne sommes plus là. La connaissance enfin nous permet de connaître ce qui procure un véritable plaisir ; le plaisir réside dans la simple absence de trouble, ou dans la satisfaction d’un désir. Mais tous les désirs ne nous procurent pas à coup sûr du plaisir, ou du moins un plaisir pur, un plaisir aucun déplaisir, ou douleur, ne se mêlerait. Il convient donc d’opérer une distinction parmi les désirs, de manière à connaître ceux dont la satisfaction procure un vrai plaisir, et éviter les autres. b- Tri à opérer parmi les désirs. Voir le texte : parmi nos désirs, certains sont naturels, d’autres vains. Parmi les désirs naturels, certains sont en outre nécessaires. Seule la satisfaction des désirs naturels et nécessaires nous procure à coup sûr le bonheur. Voyons pourquoi, en examinant de plus près chacun de ces désirs. - Les désirs naturels distingués des désirs naturels et nécessaires : ils viennent de notre nature d’êtres vivants, soumis à la nécessité de la nutrition et à la reproduction, mais aussi pensants. Ils ne se réduisent donc pas aux besoins physiologiques : tous les désirs naturels ne sont pas nécessaires à la vie. Ainsi, certains désirs naturels ne sont pas nécessaires : le désir de telle nourriture est naturel, mais non nécessaire : toute nourriture, même la plus frugale, suffit à satisfaire le besoin de se nourrir. C’est le cas aussi du désir sexuel. Ne pas le satisfaire ne procure nulle douleur ; l’on peut se contenter de mettre le trop plein d’énergie dont il témoigne au service d’autre chose : le travail, une activité physique (c’est avant Freud la préfiguration de la sublimation…) ; à l’inverse choisir de le satisfaire est risqué, dans la mesure où l’on risque de s’attacher ; or l’amour est à éviter parce qu’il est source de tourments. NB : cette distinction entre désir et amour ; le désir sexuel est naturel, l’amour fait partie des désirs vains : il est désir de possession de l’être aimé, chose impossible à obtenir. Dès lors : c’est le raisonnement, le calcul des avantages et inconvénients, qui permet de décider si oui ou non il convient de satisfaire ces désirs. Les désirs naturels et nécessaires peuvent l’être pour la survie (nourriture et eau) ; pour le bien-être du corps (vêtement, feu, abri) : une vie simple suffit en cela au bonheur. Tout ce que le progrès matériel et technique amène en plus est superflu. Enfin ils peuvent être nécessaires au bonheur : c’est le cas du désir de philosophie, et du désir d’amitié (la philosophie qui permet de connaître ce qui procure le bonheur se pratique entre amis, dans le jardin d’Epicure se forme une forme de communauté restreinte, à l’abri des tourments de la période troublée qui est celle que connaît Epicure). - Les désirs non naturels. En tant que tels ils ne peuvent être satisfaits. Ce sont les désirs vains dont il faut impérativement se détourner si l’on veut parvenir au bonheur. Avec eux on risque l’illimitation, on risque donc de se condamner au malheur. Ces vanités proviennent des mirages de la vie en commun : le désir de gloire, le désir de richesse, en font partie. Rien ne peut les satisfaire ; leur objet est tel qu’il ne procure jamais une satisfaction totale, contrairement aux désirs naturels, qui viennent d’un déséquilibre : l’on désire ce qui permettra de rétablir l’équilibre. Le désir d’immortalité en fait partie. Il est par nature impossible à satisfaire. Enfin tout ce qui constitue une illimitation dans les désirs naturels et nécessaires en fait partie également : désir de telle boisson, de tels mets. On présente souvent la philosophie d’Epicure comme un hédonisme = une philosophie qui se donne comme fin la jouissance. On en est assez loin, du moins on est loin de l’image que l’on s’en fait communément. La vie heureuse telle qu’il l’entend est d’une grande simplicité. Cela ne signifie pas qu’il faille s’interdire tout plaisir lié à des raffinements de table, mais que leur privation ne doit pas causer le malheur ; le sage est donc celui qui sait se contenter de peu : là est la condition du bonheur. Voilà qui peut sembler bien loin de nos valeurs… c- Le plaisir véritable. Le plaisir véritable est celui que la satisfaction désir naturels et nécessaires permet d'obtenir. Tous les plaisirs en effet ne sont pas à rechercher (contrairement à l'hédonisme) Epicure distingue des plaisirs en mouvement (ceux des voluptueux, qui consistent à enchaîner et multiplier les sources de plaisir) et des plaisirs en repos – la simple absence de douleur du corps et de trouble de l’âme sont en eux-mêmes des plaisirs, il y a un bonheur d’exister pour qui sait le goûter. On a donc une conception négative du plaisir : ne pas souffrir n’est pas un état d’indifférence, mais un plaisir. Cette distinction ne recoupe pas la distinction plus classique (que l’on trouve par exemple chez Platon) entre les plaisirs du corps, qui seraient vils et qui ne procureraient pas un véritable bonheur, et les plaisirs de l’âme, seuls véritables plaisirs. Le bien être du corps procure un véritable plaisir, à condition que ce qui le procure soit un plaisir pur, un plaisir qui ne soit pas suivi d’un déplaisir, comme cela arrive par exemple lorsque des plaisirs de table excessifs causent une indigestion ou une impression pénible de lourdeur. La réalisation des seuls désirs naturels et nécessaires conduit au bonheur : c’en est la condition. Ils peuvent et doivent être pleinement satisfaits si l’on veut atteindre le bonheur. Intérêt de la position d’Epicure : nous dit quelque chose sur le bonheur. Le sage peut y parvenir. On a une position bien loin de celle du rigorisme moral d'un philosophe comme Kant (voir le chapitre à venir sur les questions morales) : bonheur et devoir ne s’opposent pas, au contraire, c’est l’objet de notre devoir de rechercher le bonheur. Transition : La raison s'oppose donc au désir en tant qu'il peut être source de souffrance et de servitude. Mais les désirs naturels et nécessaires sont acceptables parce qu'il est possible de les satisfaire totalement. Mais ce qu’Epicure nomme « désirs naturels et nécessaires », ce sont en fait des besoins. Présenter la distinction DESIR/ BESOIN. Le besoin correspond à un manque déterminé ; il peut donc être totalement satisfait. Dès lors : Epicure recommande comme règle de vie de renoncer au désir, assimilé aux désirs vains. Bref, l’idéal du sage est de ne plus désirer : le désir est source de tourments. Cela soulève une question : est-il possible, de ne plus désirer ? C'est ce que présupposent les sagesses antiques. Mais ont-elles vraiment compris ce qu'il en est du désir humain ? Les connaissances développées dans le domaine de la psychologie, et notamment la psychanalyse, apportent un tout autre regard sur le désir et la possibilité de sa maîtrise. Mais s'il faut admettre que la raison ne peut pas avoir une maîtrise du désir, cela ne condamne-t-il pas l'homme à une division tragique et irréductible entre désir et raison, comme l'illustre le roman de Stevenson Docteur Jeckyll et Mr Hyde ? III- Désir et raison ne s'excluent pas nécessairement. 1- Ce que la psychanalyse peut nous apprendre sur le désir. Freud, Malaise dans la culture. - Il y a de l'inconscient dans le désir : le sujet désirant ne connaît pas l'objet véritable de son désir. Le mythe raconté par Aristophane dans le Banquet suggérait déjà cela. Freud va systématiser cette idée en la fondant sur les découvertes de la psychanalyse (voir le cours consacré à cette question= Les désirs trouvent leur origine dans des pulsions a-morales et a-sociales, donc nécessairement refoulées sous l'effet des exigences de la culture (vie en société, éducation) Définition de la pulsion: une force qui nous pousse à agir. Cette force vient de l’enracinement de la pulsion dans notre corps. Mais ce qui la distingue de l'instinct, c'est qu'elle est associée à l'idée de ce qui pourrait la satisfaire : un objet déterminé. Voir l'ex du désir amoureux : le désir se fixe sur une personne précise, et c'est seulement cette personne qui peut nous donner satisfaction. Dualité des pulsions : d'une part des pulsions sexuelles – de vie - (le désir originel est incestueux, tout le travail de l'éducation et de la construction de la personnalité nous invite à y renoncer), d'autre part des pulsions d'agression et de destruction, pulsions de mort. Or : ces pulsions, refoulées, continuent à être actives : elles ne sont pas conscientes, mais elles s'imposent à nous. Le renoncement aux pulsions, lorsqu'elles sont trop fortes, peut conduire à la névrose. Définition : souffrance psychique qui vient de ce que certains désirs ne peuvent être satisfaits. Question de degré : elle devient pathologique – et donc exige des soins – lorsqu'elle empêche d'aimer et de travailler. Ex : phobie ; névrose obsessionnelle . Explication : le désir, ou la pulsion, trouvent une voie détournée pour parvenir à la satisfaction. Ils trouvent une voie de satisfaction sous la forme de la névrose : derrière la phobie, il y a par exemple une attirance inavouée, et que l'on ne veut pas reconnaître. La névrose résulte d'un conflit entre ce que veulent les pulsions, à savoir par principe la satisfaction, et ce qu'exige de nous la vie consciente, et sociale : le renoncement. Comme il est impossible d'y renoncer totalement, elles se manifestent à nous sous une autre forme, et nous font souffrir. Ainsi, la culture, en imposant un renoncement à la satisfaction du fait des exigences de la vie en société, s'oppose au bonheur individuel. On pourrait croire qu'il suffit d'adoucir les interdits, notamment ceux qui pèsent sur la vie amoureuse, pour permettre le bonheur. Mais Freud montre que la répression des pulsions est nécessaire du fait de la pulsion de mort. Enfin : les pulsions agressives ne disparaissent pas non plus, mais lorsqu'elles ne peuvent pas s'extérioriser – autrement dit lorsque les exigences de l’éducation sont les plus fortes, elles se retournent contre l'individu lui-même et lui procurent de l'angoisse. Conséquence : nécessité du désir ; impossibilité de la satisfaction. Freud montre finalement que la cause de la souffrance de l'homme est en lui, à savoir dans cette tendance à l'agression qui appartient à la nature de l'homme. Finalement, au regard de ce que nous avons appris sur le désir, il semble difficile de dire que le qu'il soit possible de maîtriser le désir, comme l'affirment les sagesses grecques. Elles n'ont pas pris la mesure de la nécessité du désir ; ni de son caractère contraignant et inconscient : il nous détermine sans que nous le sachions, ce qui rend difficile d'agir sur lui. L'intérêt de la position de Freud est de nous faire comprendre que le désir trouve son énergie dans le corps ; mais il fonde ses analyses sur une conception pessimiste (réaliste) de l'homme : les tendances à l'agression seraient inscrites dans la nature de l'homme. Or c'est une position philosophique et non un fait. Dès lors, ne peut-on pas penser à la fois la nécessité du désir et la possibilité de sa satisfaction ? 2- Le désir éclairé par la raison. On trouve chez un philosophe, bien avant les travaux de Freud, l'idée d'une nécessité du désir. Il s'agit de Spinoza, dans son ouvrage majeur, l’Éthique. Spinoza affirme que le désir est l'essence de l'homme : il n'est pas quelque chose qui lui arrive et que l'on peut déplorer, et qui pourrait ne pas être, mais ce qui le définit fondamentalement. ESSENCE / ACCIDENT : d'une part la propriété principale d'une chose et qui suffit à la définir ; de l'autre, des propriétés liées aux circonstances, ou qui n'ont pas la même importance. NB : en philosophie, le terme n'a pas le sens de quelque chose de fâcheux. Il est essentiel = il exprime notre nature. Le désir est à la fois de l’ordre du corps et de l’ordre de l’esprit, ou âme ; il est l’appétit du corps conscient de lui-même, ou encore l’effort de chaque individu pour persévérer dans son être, c'est-à-dire pour continuer à exister et pour améliorer son existence. Spinoza considère que corps et esprit sont deux aspects d'une même chose, à savoir l'homme. Pas de dualisme âme / corps. En lui-même, le désir n'est ni bon ni mauvais ; c'est lui au contraire qui est au principe de nos valeurs : nous considérons comme bon ce que nous désirons. Mais ce que nous désirons n'est pas toujours effectivement bon pour nous : notre désir peut se porter sur des choses ou des actions qui nous apporteront de la tristesse (chez Spinoza, elle résulte d'une diminution de notre puissance d'agir et d'exister). Toutefois cela ne vient pas du désir lui-même, mais de notre ignorance, connaissance insuffisante ou illusion venant de l'imagination. Ainsi, en fonction de ses connaissances et de son niveau de réflexion, l'homme va porter son désir sur des objets qui vont effectivement l'amener à se réaliser lui-même et lui apporter d'authentiques joies (c'est-à-dire accroître sa puissance d'exister) ou qui vont lui nuire. Ex. de l'alcoolisme : l'alcoolique qui ne se sait pas malade désire boire ; mais si, aidé éventuellement, il prend conscience que dans son cas particulier, l'alcool est un poison – puisqu'il ne peut pas s'arrêter de boire, avec toutes les conséquences en matière de tristesse pour lui et pour son entourage ; alors son désir ne se portera plus sur la boisson. On s’éloigne de la perspective morale qui amenait à maîtriser ou régler les désirs, à opérer un choix parmi nos désirs. Nous sommes déterminés à désirer ce que nous désirons en vertu de ce que nous sommes (l’enfant à désirer le lait, la bavarde à bavarder, etc.) Il y a donc une multiplicité de désirs : le fait de désirer est l’essence de l’homme, mais ce qui est désiré varie d’un homme à l’autre en fonction de la constitution, des dispositions, de chacun ; chacun en fonction de ce qu’il est, est déterminé à désirer telle ou telle chose, nos désirs sont une conséquence nécessaire de ce que nous sommes. Nous croyons que ce que nous faisons est le résultat de notre volonté ou de notre choix, en fait, nous ne pouvons pas agir autrement. NB : pas de différence entre désir et volonté. Plus exactement, il n’y a que du désir. Il n’est pas « en notre pouvoir » de régler nos désirs, le désir est notre pouvoir, ce qui nous fait agir : dès lors il n'y a pas lieu de le maîtriser ou de le supprimer. On ne se libère pas du désir. En revanche, ce qui est en notre pouvoir, c’est d’accroître nos connaissances adéquates = vraies, et donc notre activité, pour accroître notre autonomie, et faire en sorte que notre désir soit de plus en plus actif, qu’il nous porte vers des passions joyeuses et non des passions tristes (la haine, la tristesse, l’angoisse…). La connaissance qui vient de la raison est libératrice, l’ignorance est servitude. Le désir n'est pas nécessairement source de souffrance ; au contraire, la satisfaction des désirs éclairés par la raison, et la libération progressive de tout ce qui peut asservir notre désir (notre désir est asservi lorsqu'il ne découle pas de notre nature mais ce choses extérieures : pensons à tout ce qui peut nous amener à désirer en fonction de ce qui est bon pour l'économie), peuvent nous procurer de la joie. L'ensemble des joies authentiques que nous pouvons connaître constitue le bonheur. On trouve également chez Spinoza l'idée que ce qui fait le bonheur d'un être éclairé par la raison, c'est la fréquentation d'autres êtres humains : un programme politique d'amélioration de la société dans le but d'en chasser tout ce qui peut accroître la tristesse et la servitude (l'ignorance, mais aussi les rivalités, la haine, la peur). Nous prolongerons cette idée quand nous aborderons les questions politiques. Conclusion. Si le désir est irrationnel par nature, cela ne signifie pas pour autant que désir et raison s'excluent irrémédiablement. En effet, penser que la raison doit s'opposer au désir renvoie à une conception du désir qui en fait la source de la souffrance et de la servitude humaines. Or c'est en rester à une conception négative du désir ; or le désir est aussi pour l'homme source d'activité et d'énergie, puissance d'exister. L'intérêt de la position de Spinoza est de nous faire comprendre que le désir en lui-même n'est pas mauvais ; mais il peut être passif, ou découler de passions tristes : se porter sur des objets qui ne nous apporteront pas une joie véritable. Il doit donc pour être bon et nous apporter de la joie être éclairé par la raison.

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