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Commentaire composé du texte Gargantua

Publié le 22/04/2014

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gargantua
LECTURE ANALYTIQUE 1 RABELAIS GARGANTUA Frère Jean des Entommeures Chapitre 25 : « Comment un moine de Seuillé sauva l'enclos de l'abbaye du saccage des ennemis » Introduction : ?EPOQUE   ? XVIème siècle, Renaissance ? Humanisme ? s'inspire des textes antiques ? place l'être humain au centre de la pensée FRANCOIS RABELAIS : - auteur humaniste 1484-1553. - parcours atypique : moine, juriste, médecin - publie ses deux romans Pantagruel  et Gargantua sous le pseudonyme anagramme d'Alcofribas Nasier - romans censurés par la Sorbonne  - Démêlés avec Sorbonne dès  Pantagruel 1532 GARGANTUA : - 1534 - 2ème roman de Rabelais - il conte les années d'apprentissage et les exploits guerriers du géant Gargantua. - CHAPITRE 25 - 3ème partie du roman - épisode de la guerre picrocholine: Picrochole, roi voisin de Grandgousier lui a déclaré la guerre sous de faux prétextes. Grandgousier trouve aide et réconfort auprès du frère Jean des Entommeures qui prend les armes... Problématique : Comment Rabelais procède-t-il pour dénoncer la guerre ? PLAN : I. Une parodie d'épopée              II. Un texte comique              III. Une satire de la guerre et de la religion I. Une parodie d'épopée   1.Un combat épique reprise des procédés caractéristiques du registre épique a le contexte : guerre (bataille entre 2 royaumes - Picrochole vs Grandgousier al'inspiration médiévale référence explicite à la chanson de geste de Maugis a le grandissement du héros qui se bat pour une cause noble: royauté et religion Son arme prend également un aspect sacré (Les chevaliers d'autrefois étaient des croyants exemplaires au service de dieu et du Roi) ? « bâton de la croix » l.1objet triplement symbolique : le bâton de la croix tient lieu d'arme («long comme une lance»), il est aussi le symbole de la chrétienté et de la royauté («parsemé de fleurs de lys?») en danger («? presque toutes effacées») qu'il va défendre contre l'ennemi. Homme de décision et d'action. Sujet de Vbes d'action au p.simple                                             Armement et préparation tel un chevalier, renforcé par la comparaison l.2 (« telle une lance » ; arme symbolisant la dureté, la maniabilité) et la référence à la royauté avec les fleurs de lys. La précision « presque toutes effacées » en fait véritablement un chevalier des temps anciens ; renforcé l.8-9 avec la référence à « l'ancienne escrime ». héros seul contre tous : caractéristique de l'épopée. opposition entre sujet des verbes d'action au passé simple (il, singulier) et objets de ces actions (aux uns, aux autres, 13 occurences) Dans l'extrait, double opposition singulier/pluriel et sujet/objet : « il »/ »les ». A aucun moment, les ennemis n'arrivent à devenir les sujets d'une action militaire, ils ne sont jamais que les objets du déchaînement de Frère Jean. Comportement héroïque : Frère Jean combat contre une multitude : « Et il sortit ainsi » l.3, « les ennemis » l.4, « aux uns » l.10, « aux autres » l.10 (construction antithétique renforçant l'impression de nombre), « Si quelqu'un » l.14, « Si un autre » l.16, « Si quelque autre » l.17, « Si quelqu'un de ses connaissances » l.19, « s'il y en avait d'assez téméraires » l.23, « A d'autres », l.24 et 26, « D'autres » l.25, « Les uns » l.28, 32, 36, « D'autres » l.29, 30, 31, 32,33, « les autres » l.34, 36. ? Termes volontairement flous et répétés, qui permettent d'insister sur le nombre, donc sur le courage et la vaillance du moine. Le texte insiste également sur la force du moine : « du bâton de la croix, il donna si brusquement » l.3-4, « il les chargea donc si rudement » l.7, « il démontrait là la force de ses muscles » l.22 un héros qui incarne  l'ordre : « du bâton de la croix il donna si brusquement sur les ennemis », face à une masse qui incarne le désordre : cf le procédé de l'énumération : « sans ordre ni enseigne ni trompette ni tambourin » un justicier implacable et impitoyable : nulle supplication ne le fait fléchir  (l.19-21), même ceux qu'il pouvait connaître auparavant ne trouvent pas grâce à ses yeux : c'est la colère divine qui semble tomber sur les ennemis impies (l.19) ! Frère Jean n'a aucune considération pour ses ennemis comme en témoigne la comparaison l.15 « comme un chien » a les étapes traditionnelles d'un récit épique de bataille les préparatifs du combat la harangue : premier topos du récit épique, l'exhortation du héros aux autres combattants pour les entraîner au combat. Toutes les formules usuelles du héros défenseur de la patrie sont reprises l'armement du héros le déroulement de la bataille   le premier assaut (l.14-31 la fuite des ennemis (l. 32-45) les combats singuliers (l.46-55)   gradation dans la violence :l'extrait s'achève sur un véritable massacre, dans lequel Rabelais rivalise avec les plus affreux récits de bataille épique (cf les exploits d'Achille ou d'Ajax dans l'Iliade). Il le dit d'ailleurs explicitement dans son dernier commentaire : « c'était le plus horrible spectacle qu'on ait jamais vu ». Transition : comment interpréter cette progression de la scène vers le massacre ? Frère Jean est-il un personnage entièrement du côté du désordre, un double de Picrochole aussi négatif que lui ? Pour ne pas faire de contresens, il faut prendre en compte le registre employé = un registre comique, qui déréalise la scène et empêche le lecteur de la prendre au sérieux. 2. la parodie : a le héros = un moine peu héroïque       personnage à la limite de l'anti-héros alcoolique violent : emporté par la fureur guerrière, il est l'auteur d'un véritable carnage (l.83 à 106) ; Immoral : Frère Jean ne respecte aucune des valeurs qui fondent le combat médiéval, ni celle de l'amitié, ni celle chevaleresque de la magnanimité, ci celle chrétienne du pardon (« tu rendras l'âme à tous les diables », parole étonnante dans la bouche d'un moine !) = une force de destruction, non seulement physique mais aussi morale. Une force de transgression qui bouscule toutes les valeurs établies. a Des ennemis ridiculisés Ceux-ci se comportent comme des pillards avides et sans scrupules. Ce ne sont plus des soldats, mais seulement des animaux goinfres  qui dépouillent le clos des moines. Désorganisation, renoncement à une apparence de combattants fiers (énumération l.4, démission l.5-6). Apparence résumée par le narrateur avec la comparaison « comme des  porcs » l.8. Cet aspect animalier est gardé au fil du texte « gueule » l.12, « comme un chien » l.15  ? Le fait que ces gens se comportent en détrousseurs, en voleurs de bas étage comptant sur l'aspect pacifiste des moines pour mieux les voler emporte l'adhésion du lecteur envers la colère du personnage. Son combat est justifié : on retrouve ici l'une des valeurs des écrivains humanistes dont Rabelais fait partie : les guerres défensives sont acceptables et justes. On note également la lâcheté totale des ennemis, totalement déconfits devant la force de Frère Jean : « voulait se cacher » l.14, « voulait se sauver » l.16, « grimpait dans un arbre, pensant y être en sûreté » l.17, « criait » l.19, « je me rends » l.19, « criaient » l.27, « se vouaient » l.31, « criaient à pleine voix » l.35. Cette lâcheté est d'ailleurs soulignée ironiquement dans le texte, les ennemis appelant « Sainte-Nitouche » à leur secours  l.29. a Un combat burlesque La plupart des verbes reposent sur le champ lexical de la violence : « chargea » l.7, « renversait » l.8, « frappant » l.8, énumération l.10-13 :« écrabouillait », « rompait », « démettait » l.10, « disloquait », « ravalait », « pochait », « fendait » l.11, « renfonçait », « défonçait », « brisait », « déboitait » l.12, « émiettait » l.13, « froissait », « éreintait » l.14, « réduisait la tête en miettes » l.16, « empalait » l.17, « étendait » l.21, « transperçait », « frappant » l.23, « frappait » l.24, « perçait » l.25. Action continue, violence constante et forcenée qui est nettement exagérée : le carnage est te l qu'il en devient comique. Ainsi pouvons-nous percevoir l'ironie du narrateur dans son adresse au lecteur l.25-26 : « Croyez bien que c'était le plus horrible spectacle qu'on ait jamais vu ». Alliance du superlatif et de l'adj fort « horrible » exprime une épouvante qui est aussi factice que l'héroïsme de ce combat.  Complicité entre lecteur et narrateur, qui s'amusent ensemble de la situation burlesque et rocambolesque. Violence burlesque encore renforcée par l'omniprésence du champ lexical du corps humain, qui montre qu'aucun endroit n'est épargné par les coups de Frère Jean. Enumération l.10-13 « cervelle », « bras et jambes » l.10, « vertèbres du cou », « rein », « nez », « yeux » l.11, « mâchoire », « dents », « omoplates », « jambes » l.13, « hanches », « tibias » l.13. « tête » l.16, « poitrine », « thorax », « c?ur », « côtes » l.23, « estomac », « nombril » l.24, « tripes » l.25. Le recours ponctuel au registre familier dans ses dénominations renforce l'aspect prosaïque du combat, montrant bien l'aspect fictif de la pseudo noblesse du combat : « gueule » l.12, « couilles » l.25. Ce recul, ce détachement face au combat est encore renforcé par la présence de termes scientifiques dans certaines dénominations, termes scientifiques semblant saugrenus dans une narration purement épiques : « épine dorsale » l.14, « suture lambdoïde » l.16, « boyau culier » l.25. Le combat est ridiculisé de par son exagération même. On note de nombreuses tournures hyperboliques à cet effet ; l'énumération l.10-13, mais aussi l.14 « lui froissait toute l'épine dorsale » (superlatif), « réduisait la tête en miettes » l.16, « l'empalait par le fondement » l.17-18 (avec un simple bâton !), « si férocement » l.24 (adv d'intensité + adv), « à travers les couilles il perçait le boyau culier » l.25, « Si forts étaient les cris » l.37, « tous ces pauvres gens », « blessés à mort » l.38. Les détails donnés sont qui plus est parfois si précis qu'ils en deviennent burlesques (l.16, l.24-25). Ce combat exagéré et burlesque constitue donc une parodie des combats héroïques des romans de chevalerie. Frère Jean est-il un personnage entièrement négatif, du côté du désordre? Pour ne pas faire de contresens, il faut prendre en compte le registre employé = un registre comique, qui déréalise la scène et empêche le lecteur de la prendre au sérieux. II) UN TEXTE COMIQUE Idée essentielle = Un ensemble de procédés littéraires qui installent définitivement l'extrait dans la farce 1)Les figures d'amplification comique a les différentes énumérations, qui structurent les trois principales étapes du massacre. l.25-31 : « aux uns/ aux autres/ à d'autres » l32-45 : « si quelqu'un/ si un autre/ si quelqu'autre/ si quelqu'un de ses connaissances l. 46-55 : « A d'autres/d'autres/ à d'autres ». = parallélismes de construction comiques. Caractéristique du style de Rabelais : accumulations de plus en plus délirantes. Car, à l'intérieur de ces parallélismes, on trouve souvent des énumérations secondaires. Par exemple, l'accumulation des 12 verbes des lignes 25-31, de « escarbouillait » à « débezillait ». a Les hyperboles dans les détails finaux . Ex : « mouraient aussitôt », « aux autres tant fièrement frappait par le nombril qu'il leur faisait sortir les tripes ». Ces hyperboles soulignent l'irréalité de ces blessures causées par un simple bâton. Ce que souligne ironiquement l'auteur dans la formule finale : « croyez que c'était le plus horrible spectacle qu'on vit oncques ». « Croyez » : antiphrase  Le lecteur sait que Rabelais ne lui demande de croire que les choses incroyables. «le plus horrible » : hyperbole. « Qu'on vit oncques » : insistance sur la réalité du massacre pour souligner par antiphrase son irréalité. 2)L'évocation farcesque des blessures physiques a L'utilisation parodique du langage médical . Accumulation de noms et de verbes, fondés souvent sur des racines grecques, et appartenant à la langue technique de l'anatomie : «spondyles, mandibules, omoplates, grèves, ischies, faucilles », « deslochait, descroulait, sphacelait, desgondait, débezillait » lignes 25-31, « la commissure lambdoïde »  (36), la médiastine » (48), « subvertissait » (50) Jubilation dans l'emploi du lexique anatomique : le médecin Rabelais s'amuse à donner une fausse objectivité scientifique à ce massacre délirant pour mieux en souligner l'irréalité. a Le goût du détail scabreux l.40 : « icellui de son bâton empalait par le fondement » et le détail final : « aux autres parmi les couillons perçait le boyau culier. ». Caractéristique du style carnavalesque : la grossièreté et la scatologie. Les blessures ici touchent toutes les parties du corps, des plus nobles aux  plus basses. Scatologie évidemment impossible dans épopée sérieuse. Noter l'audace du rapprochement burlesque entre « bâton de croix » et « empaler par le fondement ». Le burlesque devient ici presque subversif, puisque Frère Jean fait servir un objet sacré à un usage qui ne l'est pas du tout. 3)Le jeu comique avec le langage a jeu poétique sur les sonorités : cf les allitérations en « l » et les dentales des verbes du second paragraphe de la page 229, ainsi que le jeu sur le préfixe « dé -» et l'amplification finale de 2 à 4 syllabes (de « pochait » à « débezillait »). a Le jeu de mots. Ex : dans le dialogue entre Frère Jean et le fuyard : « je me rends/ tu rendras l'âme » Transition : le comique n'empêche le lecteur de s'indigner des actes violents commis par Frère Jean. Mais il ne s'agit pas seulement d'éclater de rire. L'enjeu du texte est ailleurs , dans la réflexion humaniste sur la guerre. III. UN EPISODE CRITIQUE 1.  critique de la religion : a des hommes d'église lâches La critique du clergé atteint son apogée dans les dernières lignes du texte. « Si forts étaient les cris des blessés que le prieur de l'abbaye sortit avec tous  ses moines » l.37 : le rapport de conséquence mis en place dans cette phrase montre bien que c'est parce qu'ils savent qu'il n'y a plus de danger que les religieux sortent de leur abbaye. L'hyperbole « tous ses moines » insiste sur le fait que le nombre de religieux est assez conséquent : ce nombre s'est pourtant bien gardé de résister à l'ennemi, laissant Frère Jean combattre seul face à un grand nombre. Enfin la précision « renversés au milieu de la vigne » l.38 semble une condamnation implicite du carnage fait, non pour son aspect sanguinaire et impitoyable mais plus pour le désordre provoqué : les moines semblent ne s'intéresser qu'à une tranquillité confortable et ordonnée, qui ne sollicite ni trop de travail ni trop de courage, et se contente de sauver passivement les apparences. a des hommes d'église dénués de compassion ? emporté par la fureur guerrière, frère Jean ne fait preuve d'aucune compassion(l.89 à 106) et renvoie ses victimes «à tous les diables» (l.98) ; son arme est «le bâton de croix» ( l.70,74 et 132) ? action stérile du prieur qui confesse les blessés au lieu de les soigner (cf Rabelais) ? intervention des «moinillons» pour la curée (petites mains qui viennent achever la besogne, cf les diminutifs) a critique de pratiques superstitieuses ? l'invocation des saints est ridiculisée par l'accumulation (...et mille et un autres petits saints)par la redondance,par sa dimension locale (folklore) ? la superstition est tournée en dérision : Le choix des noms prononcés n'est pas dû au hasard. « Sainte Barbe » et « Saint Georges » l.27 et 28, de par leurs noms mêmes, semblent rattachés au combat lui-même et non à la religion (Barbe =attribut de virilité, Saint Georges ? combat un dragon mythologique ;  la référence à ce saint ne fait que renforcer l'impression de puissance démesurée de Frère Jean, mais en aucun cas elle n'implique une notion de piété dans le texte). « Sainte Nitouche » l.29 est une façon ironique de souligner la lâcheté des soldats. « Notre-Dame » l.30 est la première référence sérieuse à Marie, mais le nombre de lieux évoqués dans l'énumération qui suit tourne tout de suite cette référence en ridicule. Il s'agit en effet de lieux où s'est développé le culte de la Vierge. « Saint Jacques » l.31 fait référence à un culte très répandu au XVIème siècle (St Jacques de Compostelle et ses pèlerinages?) ; l'introduire dans ce texte comique permet à Rabelais d'exprimer indirectement son scepticisme quant à cette croyance. 2 Critique de la guerre il n'y a pas de guerre « propre », ni physiquement ni moralement. a la violence physique : insistance sur les détails sanglants cf l'énumération des blessures étudiée plus haut. On en rit mais elles sont là. Beaucoup plus que dans les romans de chevalerie (où les blessures, même atroces, ne sont pas véritablement envisagées dans leur matérialité). ? verbes commençant par le préfixe «dé-» : ? déshumanisation des blessés traités comme des bêtes- une violence injustifiée ? dérision du mobile qui déclenche la guerre :  un malentendu entre voisins au sujet des fouaces (allusion aux guerres de religion) ? disproportion de la violence de Frère Jean qui passe à l'action uniquement parce qu'on s'en prend aux vignes de l'Abbaye a la perte des valeurs morales : le refus de la pitié (lignes 41-45) d'autant plus problématique que frère jean transgresse les valeurs d'amitié (« si quelqu'un de ses connaissances », « Frère Jean, mon ami »), de magnanimité chevaleresque (« je me rends »), et de charité chrétienne (« tu rendras l'âme à tous les diables »). = frère Jean n'épargne rien, ni les corps des ennemis ni ses propres valeurs morales qui devraient régler sa conduite. Et le pire, c'est? qu'on en rit. CONCLUSION Rabelais lui donne une dimension héroïco comique à son personnage  Mais l'épisode a d'autres objectifs : la parodie épique critique l'étroitesse d'un certain esprit religieux et procure au lecteur une vision horrifique de la guerre civile. réflexion de Rabelais sur la guerre : il prône la conduite débonnaire de Gargantua mais il n'ignore pas la violence potentiellement destructrice de la guerre, à laquelle il nous confronte scène parodique. L'échec humaniste à régler le problème de la guerre et à se faire entendre. Un optimisme humaniste qui viendra se fracasser contre la réalité (des massacres réels commis par des religieux réels de tout bord) : on peut opposer l'utopisme rabelaisien et le réalisme d'un Machiavel sur le problème de la « cruauté » et de la violence.

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