Devoir de Philosophie

COMMENTAIRE LINEAIRE "une charogne"

Publié le 10/12/2020

Extrait du document


Présentation
 
Au XIXe siècle, l’industrialisation et l’urbanisation provoquent un bouleversement des modes de vie et donc des consciences. L’écart qui se creuse entre le monde moderne et des représentations traditionnelles remet en cause des notions aussi intemporelles que la beauté.
Baudelaire est le témoin et la voix de cette rupture, entre le romantisme et le symbolisme. Dans Les Fleurs du Mal, Baudelaire inscrit la noirceur et l’horreur mélancolique du spleen au cœur de la conscience humaine. Mais la tension du poète vers l’idéal favorise l’émergence d’une beauté nouvelle.
« Une charogne » est un poème constitué de douze quatrains aux rimes embrassées, alternant alexandrins et octosyllabes. Le poète s’y remémore une promenade amoureuse lors de laquelle il vit une charogne. En décrivant ce cadavre, Baudelaire médite sur les rapports de l’art, l’amour et la mort.
 
Problématique
 
Nous nous demanderons comment ce poème crée une esthétique nouvelle qui tire la beauté de l’horreur à travers la description d’un cadavre infâme et sublime.
 
Plan
 
Dans une première partie (premier quatrain), le poète se remémore une promenade amoureuse, où il vit une charogne.
Puis, dans une deuxième partie (du deuxième au dixième quatrain), il décrit la charogne, entre horreur morbide et sublimation esthétique.
Enfin, dans une troisième partie (onzième et douzième quatrain), il affirme que ses pouvoirs poétiques transcendent la mort.
 
I Le poète se remémore une promenade amoureuse, où il vit une charogne
(Premier quatrain)
 
Les deux premiers vers s’inscrivent dans l’esthétique romantique de la promenade et de la remémoration amoureuses. Ce bonheur amoureux que le poète connaît avec son « âme » (v1), c’est-à-dire son aimée, est restitué par la musicalité du deuxième vers : « Ce beau matin d’été si doux ». A la douceur des sonorités, s’ajoute la symétrie syllabique des mots qui composent le vers (1/1/2/2/1/1).
Le poète mobilise les stéréotypes de la poésie galante, mais pour les renverser avec ironie. Car il n’évoque pas l’amour, mais la destruction d’un moment d’amour par l’irruption du spectacle de la mort : « Au détour d’un sentier une charogne infâme. » (v.3)
La rime initiale et oxymorique âme/infâme programme la dynamique de dégradation et l’humour noir à l’œuvre dans ce poème.

« La sexualisation du cadavre, apparut « Sur un lit » (v4), est d’autant plus troublante qu’elle s’oppose à la pureté qui émane de la compagne du poète. Ce lit pourrait désigner celui d’une rivière tarie, et symboliser la poésie ancienne, asséchée et morte. L’irruption brutale du cadavre rappelle que la mort est la destination finale venant interrompre le chemin de la vie et de l’amour. II La description de la charogne, entre l’horreur morbide et la sublimation esthétique (Du deuxième au neuvième quatrain) Cette vision est développée dans la longue partie centrale du poème. A la deuxième strophe , la description de ce cadavre suscite le malaise, car le poète le sexualise : comparaison (« Les jambes en l’air, comme une femme lubrique »), adjectifs « brûlante », « nonchalante et cynique », ouverture du ventre assimilée à une invitation sexuelle.

Cette description correspond à l’image archétypale de la prostituée attirant le client.

La strophe superpose de manière provocante une morbidité outrancière avec une invitation sexuelle afin d’accentuer le dégoût du lecteur. La troisième strophe place paradoxalement le cadavre au cœur d’une nature sublimée : « Le soleil rayonnait sur cette pourriture » (v.9).

Cette antithèse révulsante et comique métaphorise le pourrissement de la chair sous l’effet du soleil : « Comme afin de la cuire à point » (v.10 ).

La mobilisation comique d’une expression culinaire suscite le dégoût. Ironiquement, ce que « la grande Nature » assembla (v.11), elle le détruit, par la décomposition du cadavre.

L’éloge ironique de la nature souligne la vanité de la vie et de la beauté, car tout corps est voué au pourrissement. La quatrième strophe prolonge la longue phrase.

Par parallélisme, le vers 13 reprend le vers 9 : « Et le ciel regardait la carcasse superbe ».

L’oxymore synthétise l’ambivalence de ce cadavre à la fois infâme et fascinant. Une comparaison provocatrice, au vers 14, rapproche le pourrissement de la charogne et l’épanouissement d’une fleur.

L’écriture poétique superpose la naissance et la mort pour les fusionner. Cette puanteur provoque l’évanouissement féminin, qui, dans la littérature amoureuse, désigne avec pudeur le trouble érotique.

Baudelaire renverse ce motif avec ironie.

Ce décalage entre la pureté de la tradition et l’horreur du présent est renforcé par l’usage ironique d’un passé simple inusité :« vous crûtes » (v.16). La démarche du poète est donc double et contradictoire : en décrivant la charogne, il en souligne l’horreur autant que la beauté.

Il tire de la beauté à partir de la laideur .

En cherchant à susciter le rire à partir de ce qui suscite la peur, le poète tire de la joie à partir de ce qui suscite de l’effroi.

A la cinquième strophe , le poète rend compte avec minutie de l’horrible décomposition du corps, et restitue le jaillissement des larves par l’enjambement : « sur ce ventre putride, / D’où sortaient de noirs bataillons / De larves qui coulaient comme un épais liquide » (v.17- 19).

Le jeu d’amplification est accentué par l’alternance entre vers longs (l’alexandrin) et vers plus courts (l’octosyllabe). Ni l’objet, ni le ton du poème ne sont poétiques.

La scientificité clinique de la description crée cependant une poésie nouvelle. L’horreur de ce cadavre est telle qu’il envahit les sensations, et qu’il prend une présence presque tactile.

C’est une expérience synesthésique (vue, ouï, toucher) que rapporte le poète. Cependant, à partir de cette finitude, à partir de ce cadavre, le poète crée un poème.

Il crée de la vie à partir de la mort, remettant ainsi en question le triomphe de la mort dont nous avons parlé précédemment.

La charogne, par bien des aspects, est désignée comme une chose en vie,. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles