COMMENTAIRE LINEAIRE "une charogne"
Publié le 10/12/2020
Extrait du document
«
La sexualisation du cadavre, apparut « Sur un lit » (v4), est d’autant plus troublante qu’elle
s’oppose à la pureté qui émane de la compagne du poète.
Ce lit pourrait désigner celui d’une rivière tarie, et symboliser la poésie ancienne, asséchée et
morte.
L’irruption brutale du cadavre rappelle que la mort est la destination finale venant interrompre
le chemin de la vie et de l’amour.
II La description de la charogne, entre l’horreur morbide et la sublimation esthétique
(Du deuxième au neuvième quatrain)
Cette vision est développée dans la longue partie centrale du poème.
A la deuxième strophe , la description de ce cadavre suscite le malaise, car le poète le
sexualise : comparaison (« Les jambes en l’air, comme une femme lubrique »), adjectifs
« brûlante », « nonchalante et cynique », ouverture du ventre assimilée à une invitation
sexuelle.
Cette description correspond à l’image archétypale de la prostituée attirant le client.
La
strophe superpose de manière provocante une morbidité outrancière avec une invitation
sexuelle afin d’accentuer le dégoût du lecteur.
La troisième strophe place paradoxalement le cadavre au cœur d’une nature sublimée : « Le
soleil rayonnait sur cette pourriture » (v.9).
Cette antithèse révulsante et comique
métaphorise le pourrissement de la chair sous l’effet du soleil : « Comme afin de la cuire à
point » (v.10 ).
La mobilisation comique d’une expression culinaire suscite le dégoût.
Ironiquement, ce que « la grande Nature » assembla (v.11), elle le détruit, par la
décomposition du cadavre.
L’éloge ironique de la nature souligne la vanité de la vie et de la
beauté, car tout corps est voué au pourrissement.
La quatrième strophe prolonge la longue phrase.
Par parallélisme, le vers 13 reprend le vers
9 : « Et le ciel regardait la carcasse superbe ».
L’oxymore synthétise l’ambivalence de ce
cadavre à la fois infâme et fascinant.
Une comparaison provocatrice, au vers 14, rapproche le pourrissement de la charogne et
l’épanouissement d’une fleur.
L’écriture poétique superpose la naissance et la mort pour les
fusionner.
Cette puanteur provoque l’évanouissement féminin, qui, dans la littérature amoureuse,
désigne avec pudeur le trouble érotique.
Baudelaire renverse ce motif avec ironie.
Ce décalage
entre la pureté de la tradition et l’horreur du présent est renforcé par l’usage ironique d’un
passé simple inusité :« vous crûtes » (v.16).
La démarche du poète est donc double et contradictoire : en décrivant la charogne, il en
souligne l’horreur autant que la beauté.
Il tire de la beauté à partir de la laideur .
En
cherchant à susciter le rire à partir de ce qui suscite la peur, le poète tire de la joie à partir de
ce qui suscite de l’effroi.
A la cinquième strophe , le poète rend compte avec minutie de l’horrible décomposition du
corps, et restitue le jaillissement des larves par l’enjambement : « sur ce ventre putride, /
D’où sortaient de noirs bataillons / De larves qui coulaient comme un épais liquide » (v.17-
19).
Le jeu d’amplification est accentué par l’alternance entre vers longs (l’alexandrin) et vers
plus courts (l’octosyllabe).
Ni l’objet, ni le ton du poème ne sont poétiques.
La scientificité clinique de la description crée
cependant une poésie nouvelle.
L’horreur de ce cadavre est telle qu’il envahit les sensations, et qu’il prend une présence
presque tactile.
C’est une expérience synesthésique (vue, ouï, toucher) que rapporte le poète.
Cependant, à partir de cette finitude, à partir de ce cadavre, le poète crée un poème.
Il crée de
la vie à partir de la mort, remettant ainsi en question le triomphe de la mort dont nous avons
parlé précédemment.
La charogne, par bien des aspects, est désignée comme une chose en vie,.
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