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De quel droit, dans le domaine artistique, un homme peut-il s'ériger en connaisseur ?

Publié le 01/08/2005

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droit
En effet, si l'art est affaire de jugements subjectifs, d'adhésion esthétique ou au contraire de rejet, alors personne en particulier n'a plus de droit qu'un autre de prétendre être un connaisseur, puisque tout le monde est capable de donner une opinion traduisant ses impressions personnelles à la contemplation d'une oeuvre d'art. Mais contrairement à cette opinion, qui est celle du sens commun, ne peut-on dire que l'oeuvre d'art ne peut être réellement appréciée que par certains hommes en particulier, qui méritent à l'exclusion des autres le statut de connaisseur. Nous nous demanderons donc si tous les hommes ont le droit de s'ériger en connaisseur, ou si au contraire la légitimité à se prétendre tel repose sur des fondements qui interdisent au commun des mortels de se dire connaisseurs dans le domaine artistique. I.                   Personne n'a-t-il de droit particulier pour s'ériger en connaisseur dans le domaine artistique ?   a.       Un jugement subjectif sur les oeuvres d'art A première vue, il semble que personne en particulier n'a le droit de s'ériger en connaisseur dans le domaine artistique, car tout le monde peut se dire connaisseur à juste titre. En effet, qu'est-ce qu'un connaisseur, sinon celui qui statue sur la valeur et la beauté d'une oeuvre d'art ? Or le beau est ce qui me plait, ce qui m'agrée, ce qui provoque chez moi un jugement de gout favorable. Par conséquent, le propre du goût est de ne pouvoir faire l'objet d'une discussion : nous savons tous que ce qui affecte agréablement mes sens ne fait pas nécessairement de même avec mon voisin.

Lorsque nous nous interrogeons sur le droit de quelqu’un à faire quelque chose, nous posons une question touchant à la légitimité de son action. En effet, nous voulons définir en fonction de quoi il s’arroge la permission de faire quelque chose, quel est le fondement de son agir. La question à laquelle nous devrons répondre nous mènera donc à identifier en fonction de quel droit quelqu’un peut s’ériger en connaisseur dans le domaine artistique, c'est-à-dire quelle habileté, quelle connaissance, quel statut, lui permettent de prétendre à la qualité de connaisseur. Nous appelons domaine artistique le domaine de cette activité de production d’artefacts qu’est l’art. Jusqu’au dix-huitième siècle, le terme « art « désignait l’ensemble des techniques de production d’objets : tel était encore le cas dans le Discours sur les sciences et les arts (1750) de Jean-Jacques Rousseau. Ainsi, l’activité de l’artiste et celle de l’artisan étaient recouvertes par le même terme. Or, il semble que ces deux activités ne soient pas entièrement réductibles l’une à l’autre, qu’elles possèdent chacune une spécificité à élucider. Par conséquent, il nous faudra au cours de ce travail préciser d’une part ce qui distingue l’art de l’horloger de celui du poète, l’activité du coutelier de celle du plasticien ; et toujours préciser à laquelle de ces deux activités singulières nous pensons lorsque nous employons le signifiant « art «. Un connaisseur dans le domaine artistique est quelqu’un qui s’avère capable de prononcer un jugement sur une œuvre d’art. Le connaisseur est l’individu qui prétend connaître suffisamment l’art en général, ou telle forme d’art en particulier, pour émettre un jugement de goût sur une œuvre, c'est-à-dire un jugement prétendant énoncer la valeur intrinsèque de cette œuvre. La question qui nous est posée semble d’autant plus légitime que tout homme, dira le sens commun, peut s’ériger en connaisseur. En effet, si l’art est affaire de jugements subjectifs, d’adhésion esthétique ou au contraire de rejet, alors personne en particulier n’a plus de droit qu’un autre de prétendre être un connaisseur, puisque tout le monde est capable de donner une opinion traduisant ses impressions personnelles à la contemplation d’une œuvre d’art. Mais contrairement à cette opinion, qui est celle du sens commun, ne peut-on dire que l’œuvre d’art ne peut être réellement appréciée que par certains hommes en particulier, qui méritent à l’exclusion des autres le statut de connaisseur.

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« consommateur d'œuvres d'art, telles elles sont pour lui : le degré de compréhension profond et exhaustif d'uneœuvre n'est ni préférable, ni plus légitime que le degré superficiel de compréhension.

Comprendre toutes lesréférences philosophiques (notamment à Leibniz) de A la recherche du temps perdu de Proust n'est pas indispensable pour comprendre cette œuvre.

En définitive, nous dirons que tous les homes sont connaisseurs et quepersonne n'a de droit particulier à s'ériger en connaisseur dans le domaine artistique. II.

Le connaisseur dans le domaine artistique est-il nécessairement un créateur ? a.

« Faites-en autant ! » : l'artiste, seul juge de ses pairs Cependant, il semble bien qu'il existe des jugements plus pertinents, plus informés que d'autres sur les œuvres d'art.Pensons à un artiste qui entend critiquer son œuvre par quelqu'un qui ne s'intéresse à l'art qu'épisodiquement, etdont l'activité n'a rien d'artistique : son premier mouvement sera de dire « Faites-en autant ! ».

De même, unmenuisier s'impatienterait de voir son travail critiqué par un trader à la Bourse.

Il semble donc qu'il y a bien unelégitimité à conquérir pour prétendre s 'ériger en connaisseur dans le domaine artistique.

Nous avancerons donc quepersonne mieux qu'un artiste ne peut s'ériger en connaisseur dans l'œuvre d'art, car lui seul peut émettre unjugement sur l'œuvre d'un autre artiste, sans s'entendre rétorquer un « Faites en autant » qui le discrédite.

Nonseulement l'artiste est le plus à même de juger les œuvres de ceux qui pratiquent le même art que lui-même, maisles productions artistiques de toutes les formes d'art sans distinction.

Valéry disait à ce propos : « Le poète estlittéralement, et non latéralement, le confrère du peintre et du sculpteur ».

L'unité de l'Art est telle, dans sonexigence et sa quête de beauté et de forme, que les artistes pratiquant toutes les formes d'art sont desconnaisseurs. b.

Une connaissance intime des problèmes et des règles Si nous affirmons que seul l'artiste peut juger des œuvres d'art, encore faut-il déterminer en vertu de quel droit ilpeut s'ériger en connaisseur.

Il semble que l'artiste a une connaissance intime des problèmes qui se posent à unautre artiste, tout simplement parce qu'il a eu l'occasion de se heurter aux mêmes difficultés que lui.

Par exemple,un romancier qui lit une œuvre comme la trilogie U.S.A de John dos Pasos ne pourra qu'être sensible à l'effort de renouvellement de la forme romanesque par la multiplication des points de vue et des personnages, parce qu'il auralui-même tenté de renouveler le roman en son temps.

D'autre part, un artiste connaître bien mieux les règles, lespré-requis de la pratique artistique qu'un individu qui ne s'occupe d'art que de temps en tems.

Nous dirons donc quec'est en vertu de sa connaissance intime de l'objet de son discours, parce qu'il a une expérience des formes et del'art lui-même, qu'un artiste peut s'ériger en connaisseur dans le domaine artistique. III. Le connaisseur dans le domaine artistique : un amateur éclairé ? a.

Les fondements de la légitimité de « l'expert » Cependant, ne tenons nous pas une thèse contestable en faisant de l'artiste le seul être qui a le droit et lalégitimité suffisante pour s'ériger en connaisseur dans le domaine artistique ? Il semble que l'art ne doit pas resterréservé aux seuls artistes, s'enfermer dans une tour d'ivoire élitiste.

Si tout le monde, indifféremment, ne peutprétendre être connaisseur dans le domaine artistique, cela signifie peut-être que des experts, des connaisseursqualifiés, en sont capables pour leur part.

Pour Hume, le beau en art est ce dont peut décider l'expert : certainsêtres, par leur culture, leur délicatesse et leur intelligence ont développé un sens du beau suffisamment aiguisé pourdécider de ce qui est beau et de ce qui ne l'est pas (Hume développe cette idée dans un traité nommé « La normedu goût »).

Une science du beau est possible, car le beau ne dépend pas du jugement de n'importe qui, maisseulement des experts qui peuvent s'accorder entre eux.

« Si vous laissez un individu acquérir l'expérience des œuvres, vous voyez le sentiment de cette perfection gagneren exactitude et en perfection : elle ne perçoit pas seulement les beautés et les défauts de chaque partie, maisremarque le genre distinctif de chaque qualité et lui assigne la louange ou le blâme convenables.

Un sentiment clairet distinct accompagne son inspection de l'ensemble des objets, et elle discerne cette sorte et de degré précisd'approbation ou de déplaisir que chaque partie est naturellement apte à produire (…) En un mot, la mêmeadresse et la même dextérité que donne aussi la pratique pour exécuter un travail, sont acquises par le mêmemoyen pour en juger ».

De la norme du Gout, Essais Esthétiques, Folio, pages 135-136.. »

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