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Doit-on toujours parler sans détour ?

Publié le 08/04/2009

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  • Analyse du sujet

 

-          L’entrée dans le langage peut être rapprochée d’une véritable naissance (et donc de création en quelque sorte). Le silence est donc, à l’inverse, le non engendrement de soi, le refus de se créer soi-même dans et par les mots. La parole est donc d’emblée comprise comme un engagement de l’homme au monde par opposition au silence qui symbolise le refus de l’homme à entrer dans le monde et a fortiori dans le groupe.

-          Mais du même coup, si par la parole je m’engage (après tout l’on dit bien couramment « donner sa parole «), alors celui à qui je m’adresse s’attend à ce que je lui dise la vérité, ou en tout cas que je sois franc et sincère. En effet, il est vrai que l’honnêteté, la franchise, la loyauté, sont autant de qualités qui sont en lien direct avec l’acte de parler : ce sont là des qualités à la fois appréciées et recherchées. Pourtant, lorsque quelqu’un parle sans détour aucun, on peut dire aussi qu’il manque de tact, et la qualité devient défaut. Il apparaît alors comme un être impoli, ne respectant pas les codes sociaux de politesse, etc.

-          Il semble donc qu’apparaît une tension entre l’exigence d’honnêteté et de franchise d’un côté, et la nécessité de « mettre les formes «. De la même manière, on peut se demander s’il ne vaut pas mieux parfait enjoliver la vérité, la détourner, bref mentir. Il existe bien, en tout cas a priori, ce qu’on appelle des mensonges pieux et qui ont pour but d’épargner à l’autre la révélation d’une vérité qui le fera souffrir –inutilement juge-t-on.

-          Or, il fait bien articuler ici le fait et le droit : s’il semble que la vie sociale nous contraigne parfois, pour la paix et le bien-être civils, à mettre les formes, voire à mentir, est-ce pour autant une attitude fondé légitimement, en droit ? Est-ce moralement acceptable et justifiable ? C’est bien ici la question sur laquelle nous devons nous pencher.

-          En réalité, pour répondre à une telle question, encore faut-il comprendre et saisir qu’elle est l’essence de la parole elle-même et en quoi elle est signe tout à la fois de notre liberté-responsabilité, et a fortiori de notre humanité (en nous et en l’autre). L’étude du mensonge sera donc un fil conducteur paradigmatique relativement à la question de savoir si l’on doit toujours – en fait et en droit (qu’il faudra bien sûr tenter, en dernière instance, d’articuler) – parler sans détour, c’est-à-dire exposer la vérité nue à la lumière du jour.

  • Problématique

            S’il apparaît que nous ne puissions pas, de fait, toujours parler sans détour de sorte que nous soyons parfois obligés de « mettre les formes « voire de mentir, sous prétexte que « toute vérité n’est pas bonne à dire «, cela est-il pour autant fondé en droit, c’est-à-dire encore légitime ? Dans quelle mesure la parole peut-elle être définie comme engagement de soi qui implique de ce fait la définition d’une véritable éthique de la parole ?

I.                   De l’impossibilité, de fait, de parler sans détour de manière inconditionnelle : la double caractéristique de l’homme comme individu et comme membre d’un tout social

II.                Pourtant, il y a véritablement acte de la parole d’où il résulte une exigence morale : parler sans détour – dire la vérité nue

III.             Vers une éthique du détour voire du mensonge ?

« ce que Kant, encore une fois, appelle l'amour de soi.

Je mens pour ne pas être ridicule aux yeuxd'autrui, pour être aimé.

Mentir, c'est faire passer son bonheur avant son devoir : je ne me lèvepas le matin avec l'intention de mentir, mais avec celle d'être sincère, « vérace ».

Mais voici quedéjà surgit toute une série de cas où mon devoir d'être vérace contrarie mon désir naturel d'êtreaimé, admiré, d'être heureux enfin.

C'est donc par amour de moi-même que je vais me permettrede faire une exception à une règle à laquelle je reste foncièrement attaché : celle qui commandede ne pas mentir.

C'est donc par faiblesse plus que par réelle méchanceté que je vais mentir,parce que j'éprouve pour moi-même « un faible ».

Comprendre pourquoi l'homme ment, c'est aufond mettre à jour sa nature propre : tout en étant un être raisonnable (et qui connaît son devoirde ne pas mentir – entre autres), il est en même temps un être de désirs.

Comprendre le paradoxedu mensonge (je sais que je ne dois pas mentir, mais je le fais quand même), c'est au fondcomprendre la nature profondément duelle de et en l'homme. · Mais il y a aussi ces mensonges que je fais, non par amour de moi-même, mais par amour pour autrui : c'est ce qu'on appelle le mensonge pieux.

Il convient cependant d'être prudent : combiensouvent, sous la belle apparence du mensonge pieux, se cache la mesquine réalité du mensongepar amour de soi ! Je ne dis pas à autrui la vérité qui pourrait le blesser, mais c'est aussi pour nepas avoir à subir sa tristesse ou sa colère, ou à porter le poids de son désespoir.

Les moralistes duXVIIe siècle ont consacré l'essentiel de leur industrie à révéler les extrêmes raffinements del'amour-propre et ont traqué impitoyablement, au fond de tout acte apparemment généreux, lasecrète impulsion de l'amour de soi. II.

Pourtant, il y a véritablement acte de la parole d'où il résulte une exigence morale : parler sans détour – dire la vérité nue · Mais imaginons que cela existe, le mensonge par amour d'autrui.

Le problème moral n'en serait pas réglé pour autant.

Une querelle sur le mensonge pieux opposa le même Kant au philosophe etécrivain français Benjamin Constant.

Contrairement à ce dernier, Kant refusait toute possibilitéd'un droit au mensonge, même dans l'intérêt d'autrui.

Pourquoi ? Parce que je ne saurais "faire lebien" d'autrui en lui mentant : mentir à autrui, c'est le mépriser, le considérer comme indigne derecevoir la vérité.

De même qu'il est plus grave de n'être pas jugé que de l'être sévèrement (jugerquelqu'un, c'est le considérer responsable de son acte, donc respecter sa dignité d'être deraison), de même on blesse plus l'autre en lui mentant qu'en lui disant une vérité blessante(dérober la vérité à autrui, c'est le maintenir dans un état d'ignorance et, là encore, ne pasrespecter sa dignité d'être de raison). · Ce qu'il faut comprendre ici, c'est précisément que cette possibilité d'un mensonge dit « pieux », révèle en réalité, plus profondément, la difficulté qui d'être à la fois un individu et unêtre social.

Intégrer une réflexion sur le mensonge en philosophie, en essayant de comprendre sesvéritables mécanismes, c'est mettre au jour les ambiguïtés qui président à la vie sociale.

C'estdonc se donner les moyens de comprendre et la nature de l'individu, et la nature et lefonctionnement de la vie sociale : c'est en ce sens que le mensonge, comme pratique (extérieureà la philosophie) peut a légitimement sa place en philosophie. · Puisque agir, c'est agir sous l'emprise d'une loi, loi morale ou loi de la nature, et qu'il nous faut agir, la liberté ne peut consister qu'en une action soumise à une loi qu'on se donne à soi-même.Opposée à l'hétéronomie, l'autonomie est le fait de se donner cette loi ; plus que l'indépendance,simple négation de la détermination par autre chose, l'autonomie est de plus autodétermination.

La parole est alors acte, elle est ce par quoi l'homme s'engage et engage avec lui le devenir del'homme lui-même.

En effet, parler c'est prendre part au monde et à la vie humaine, c'est vouloirdonner une image et construire un projet : or, en tant que la parole est construction, en acte,d'un projet pour et de l'homme, elle est du même coup éminemment engageante. · Pour que rien ne m'attire vers telle ou telle action, il ne faut pas que ce soit l'objet même de mon vouloir qui soit déterminant, mais seulement la façon dont je le veux ; la seule loi d'autonomieest celle qui me détermine par simple respect pour la légalité de cette loi, et non par désir del'existence de l'objet.

Comme la détermination par l'existence d'un objet est toujours le fait dupenchant, c'est au contraire la loi morale, lorsqu'elle me détermine par sa seule légalité, et non parl'attraction de l'objet qu'elle me propose, qui est la seule loi d'autonomie, et donc la seule liberté. · « L'impulsion du seul appétit, dit Rousseau , est esclavage, et l'obéissance à la loi qu'on s'est prescrite est liberté »(Du contrat social, LI, ch.

VIII) Le même raisonnement qui fait qu'obéir à laloi morale n'est obéir qu'à soi-même fait qu'obéir à la loi civile est être libre.

Comprenons par là qu'ilfaut bien prendre conscience à quel point la parole est constitutive d'un engagement : elle estl'engagement du sujet à être libre sous des lois, c'est-à-dire a fortiori à être vraiment libre et àassumer tout ce qu'il a dit, dit et dira.

C'est seulement en effet parce que la parole estengagement que l'on peut légitimement affirmer que nous sommes responsables de ce que nousdisons : nous sommes les maîtres de nos paroles et en ce sens nous nous devons de les assumer. · S'il s'agit d'un engagement si fort et profond, c'est avant tout parce que c'est la parole, en tant qu'on la considère comme un acte à part entière, qui nous définit.

En effet, Sartre affirme ainsi que « ce qui compte pour un homme, ce n'est pas ce qu'on a fait de lui, c'est ce qu'il fait dece qu'on a fait de lui ».

C'est d'ailleurs ce que signifie la formule de Sartre plus incisive encore,« l'existence précède l'essence » (L'existentialisme est un humanisme) : cela revient à dire quel'homme existe d'abord et qu'il se définit ensuite, ou encore que son essence ou sa définition n'est. »

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