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En quels sens peut-on dire que l'historien fait" l'histoire?"

Publié le 20/01/2005

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histoire
Beaucoup plus dangereux est le terme - apparemment sans piège - d'histoire.Une insuffisance du langage (mais cette insuffisance n'est-elle pas significative?) nous fait utiliser le même mot pour la connaissance et pour l'objet réel de cette connaissance. « Histoire » signifie aussi bien le passé humain, l'ensemble des événements qui se sont déroulés dans ce passé, que la connaissance que nous prenons dans le présent de ce passé. Nous avons un mot pour désigner le vivant et un autre pour nommer la science qui étudie ce vivant : la biologie ; cette dualité se retrouve dans de nombreux cas (nature/physique, Terre/géographie, fossiles/paléontologie. etc.), mais elle fait défaut pour l'histoire. Le risque de malentendu est donc grand si l'on tient un discours sur l'histoire sans lever cette ambiguïté.Certains historiens, conscients de ce risque (plus ou moins présent dans toutes les langues). ont proposé des termes ou expressions nouveaux.
histoire

« Que vaut cette exigence de neutralité dans la connaissance historique ? Dans ses Leçons sur la philosophie del'histoire, Hegel la dénonce comme une illusion naïve : « l'historien moyen croit lui aussi qu'il est purement réceptif, qu'il se livre au donné ; mais il n'est pas passif avec sa pensée, il faitintervenir ses catégories et voit le donné à travers elles ».

La réflexionhégélienne sur l'histoire insiste longuement sur l'insuffisance de l' « histoireoriginale », c'est-à-dire de la simple chronique événementielle établie par letémoin direct des événements.

Certes, un témoin se révélera capable de faire« revivre » l'événement.

Grâce à Stendhal.

la bataille de Waterloo se re-produit littéralement pour le lecteur.

Mais l'historien veut autre chose : il veutcomprendre.Marron définit l'histoire : « connaissance du passé humain », en insistantspécialement sur le premier terme; connaissance et non narration, ou récit.Connaître, pour l'historien, c'est « s'élever au-dessus de la poussière despetits faits, de ces molécules dont l'agitation en désordre a constitué leprésent pour y substituer une vision ordonnée, qui dégage des lignesgénérales, des orientations susceptibles d'être comprises ».

Il faut le direnettement, l'histoire « objective ».

« pure » , comme collection de faits brutsn'attendant que leur narrateur fidèle, une telle histoire n'existe pas, elle n'est,à proprement parler, rien du tout.

Il n'y a d'histoire que rationnelle, que s'il y areprise rationnelle et donc active du passé par l'historien.

N'ayons donc paspeur d'affirmer que l'historien fait l'histoire; Marron qualifie même son effort decréateur, mot qui ne manque pas de force pour celui qui était censé secontenter de "rendre compte".L'histoire ne présenterait aucun intérêt si elle ne nous permettait pas decomprendre, c'est-à-dire de nous approprier le passé (dans comprendre, il y a prendre).

Sans l'historien, c'est-à-direavant son intervention, le passé n'est qu' "un vague fantôme, sans forme ni consistance" ; autant dire qu'il n'estrien.

Le travail de l'historien fait proprement exister le passé, en lui donnant forme.

Donner forme au passé, c'estl'intégrer dans une perspective possible de l'homme présent, dans un ensemble de processus, de lois.

Tout historiensait assez qu'un fait, par lui-même, n'est rien encore; le fait ne deviendra événement que relié aux causes quipermettent de l'expliquer, aux conséquences qui lui donnent un sens.

Il y a bien là travail, activité, création del'historien.Supposons un instant que l'on veuille réduire l'histoire à la simple récapitulation des faits.

Marron évoque cethistorien (Langlois) qui, à la fin de sa carrière, n'osait plus livrer au public autre chose que des montages de textes ;il fait remarquer que le choix même des textes fait largement intervenir la subjectivité de l'historien, « avec sesorientations, ses préjugés, ses limites".

Il en va exactement de même pour les faits.

Qu'est-ce qu'un fait historique ?Qu'est-ce qui mérite le nom de fait ? Une bataille, un traité, un coup d'État sont des faits ; mais les nouvellestendances de la science historique (par exemple l' « École historique française" ) ont pris en compte d'autresniveaux de faits, concernant par exemple la vie quotidienne.

Il est donc clair qu'il ne saurait y avoir de connaissance historique sans une intervention active de l'historien sur lesdonnées matérielles dont il dispose.

L'enregistrement passif de faits, qu'on croit observer et qu'on sélectionne à soninsu, n'a jamais suffi à constituer une science ; Bachelard l'a assez rappelé pour ce qui concerne les sciencesphysiques.

Pourquoi l'histoire ferait-elle exception ?Bien sûr, il serait insensé de dire que l'historien crée de toutes pièces l'objet de son investigation.

Il trouve -ilvaudrait mieux dire qu'il cherche- des documents qui sont la trace d'un passé irrévocablement figé.

Sur l' "histoireobjective", l'historien n'a aucune prise, mais la connaissance du passé est tout entière son oeuvre.Il faudrait ajouter, concernant ce que Marron appelle la mission sociale de l'histoire que l'historien, les historiens fontlittéralement exister le passé d'un peuple ou d'une nation, pour ce peuple ou cette nation.

Une humanité sanshistoriens serait une humanité sans mémoire, une humanité sans passé.

Même s'il est douteux qu'on tire des leçonsde l'histoire, il est probable qu'une telle situation serait politiquement dangereuse. CITATIONS: « On peut envisager l'histoire de l'espèce humaine en gros comme la réalisation d'un plan caché de la nature pourproduire une constitution politique parfaite sur le plan intérieur, et, en fonction de ce but à atteindre, égalementparfaite sur le plan extérieur.

» Kant, Idée d'une histoire universelle, 1784. « Une philosophie de l'histoire suppose (...) que l'histoire humaine n'est pas une simple somme de faits juxtaposés(...), mais qu'elle est dans l'instant et dans la succession une totalité, en mouvement vers un état privilégié quidonne le sens à l'ensemble.

» Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, 1945. « C'est leur bien propre que peuples et individus cherchent et obtiennent dans leur agissante vitalité, mais enmême temps ils sont les moyens et les instruments d'une chose plus élevée, plus vaste, qu'ils ignorent etaccomplissent inconsciemment.

» Hegel, La Raison dans l'histoire, 1837 (posth.) « La fin de l'histoire n'est pas une valeur d'exemple et de perfectionnement.

Elle est un principe d'arbitraire et deterreur.

» Camus, L'Homme révolté, 1951.. »

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