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formidable jeune femme, ai-je pensé.

Publié le 06/01/2014

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formidable jeune femme, ai-je pensé. Puis, elle a rectifié le ton, en l'adoucissant pour faire croire qu'il s'agissait de quelqu'un sans importance. Frydka était amie avec quelqu'un que vous ne pourriez pas connaître, mais que Jack a connu. Meg regardait, à cet instant précis, au-delà de Bob, à qui elle a dit, Tu ne sais rien. Puis, Jack s'est tourné vers Meg et a dit, pour la corriger, Ciszko Szymanski. Meg a hoché la tête pour faire oui. Ciszko, a-t-elle répété. A mon oreille, ça sonnait comme Chissko. De nouveau, j'ai demandé de quoi ils parlaient. Non, non, non, non. Rien. Rien ? Jack a dit, J'essayais de me souvenir d'un garçon, un garçon qui n'était pas juif. Meg a paru agacée. Quelqu'un sortait avec un garçon qui n'était pas juif ? ai-je demandé. Attendez un peu, a dit Meg. Non, non, non, non. Cela ne doit pas figurer dans les dossiers officiels. Jack a ri en pointant le doigt vers moi. Vous voyez, a-t-il dit, vous apprenez des choses maintenant ! Tout le monde a ri, sauf Meg. J'avais l'impression, comme c'est souvent le cas avec ces intuitions, à la fois vague et nette, d'avoir trébuché sur un vieux ragot, sujet à controverses. Meg m'a regardé et a dit, Vous connaissez cette comédie américaine où le type dit : « J'ai rien fu » ? Bien sûr que je la connaissais : Hogan's Heroes, le feuilleton des années 1960 sur le camp de prisonniers nazi, dont l'un des personnages était le caporal Schulz, obèse, invariablement victime des adorables bouffonneries des prisonniers de guerre américains, qui insistait auprès de son Kommandant pour dire qu'il était innocent, qu'il n'avait rien vu. J'ai rien fu ! s'écriait-il, et cette réplique déclenchait immanquablement les rires. Hé bien, a poursuivi Meg, quand j'ai hoché la tête pour dire que je connaissais le feuilleton, j'ai rien fu ! Mais il ne s'agissait pas de télévision. Il ne s'agissait pas d'une comédie. L'histoire qu'elle voulait me cacher était la raison même pour laquelle j'avais fait quinze mille kilomètres afin de pouvoir lui parler. Frydka aimait donc ce garçon et il n'était pas juif, ai-je insisté. Je ne sais pas, je n'étais pas là, a répondu Meg. C'aurait été une sacrée affaire, non ? ai-je dit. Bob, ravi d'avoir une opportunité de la taquiner, s'est penché pour dire, C'aurait été une très grosse affaire. Cela a provoqué un sourire revêche de Meg. C'est un euphémisme. L'euphémisme de l'année, a-t-elle murmuré. Mais elle a persisté dans son refus de confirmer que Frydka Jäger avait aimé un garçon catholique, des décennies plus tôt, quand une idylle pareille aurait été une très grosse affaire. Mais aujourd'hui, quelle importance ? La femme de mon frère Andrew n'est pas juive ; la femme de Matt est grecque orthodoxe. Je me suis demandé, l'espace d'une seconde, ce qu'il pouvait penser de cette révélation. Meg continuait à faire de l'obstruction. Je ne sais pas, je n'ai été témoin de rien. Je ne vous ai pas demandé d'être témoin, ai-je dit sur le ton de la plaisanterie. Mais elle était votre meilleure amie, elle a dû se confier à vous ? Meg a soupiré. Non, non, cela se passait pendant la guerre. Pas avant. Grands dieux, non ! J'ai pris une note mentale sur le fait qu'elle avait dit Grands dieux, au pluriel. Rien de ce genre n'aurait pu se produire avant la guerre, a-t-elle expliqué. C'était, naturellement, comme si elle venait de tout admettre. A partir de là, Frydka, qui avait eu jusqu'à présent un visage d'enfant sur une photo ou deux, a commencé à prendre une forme sensible, à avoir sa propre histoire. Elle avait aimé un garçon polonais, me suis-je dit en souriant, et il l'avait aimée aussi. Et en pensant que c'était toute l'histoire que j'entendais pour la première fois, même si elle m'était révélée de cette façon, je me préparais mentalement à toutes les occasions que j'aurais de la raconter, à ma mère, à ses cousins, à mes frères et à ma soeur, lors de mon retour. Je me suis calé sur ma chaise et j'ai décidé de changer de sujet pour le moment, avant de me mettre à dos Mme Grossbard qui avait l'air d'être vraiment mécontente. C'est à cet instant précis que Jack s'est penché sur la table et a levé la voix pour dire, Laissez-moi vous dire quelque chose. Ce garçon, il a perdu la vie à cause de Frydka. Attendez un peu, ai-je dit. Pardon ? Jack a baissé la voix. Tout le monde autour de la table s'était tu et tourné vers lui. Il me regardait. Marquant un silence après chaque mot pour le souligner, il a répété ceci : Le. Garçon. A perdu. La vie. A cause. D'elle. Il y a eu un long silence. Qu'est-ce que vous voulez dire ? ai-je demandé. Hé bien, vous voyez, a-t-il commencé, ces trois filles étaient avec Babij, le groupe de partisans, parce qu'elles étaient les amies de trois garçons polonais. Trois filles de Bolechow. Frydka, l'autre s'appelait Dunka Schwartz, et la troisième, c'était... la soeur d'un des deux garçons qui ont survécu avec les Babij, Ratenbach. Je ne savais absolument pas qui pouvaient bien être ces gens, mais je ne l'ai pas interrompu. Je voulais qu'il continue. Ces trois garçons étaient devenus les amis de ces filles, ils les ont aidées à rejoindre les Babij dans la forêt. C'était une forêt près de Dolina, il y avait près de quatre cents Juifs qui appartenaient aux groupes de partisans. J'ai hoché la tête. Il avait commencé à me raconter cette histoire au téléphone, il y a un an. Ensuite, bien sûr, nous sommes allés dans la forêt nous-mêmes, Bob, mon père et moi. Et donc nous avons perdu leur trace. Lorsque nous sommes revenus, on nous a dit que ces trois garçons avaient été... Il a brusquement fait un geste de la main droite vers le bord de la table, comme pour démarquer une zone géographique. ... emmenés dans un champ, à Bolechow, et fusillés. Parce qu'ils avaient aidé les filles, ai-je dit. Parce qu'ils avaient aidé les filles, a-t-il répété. Et je me suis dit, Voilà une histoire.     Il se trouve que je n'ai appris le reste de l'histoire de Frydka et de Ciszko Szymanski qu'après avoir voyagé encore : en Israël, à Stockholm, à Copenhague. Cet après-midi-là, à Sydney, nous ne sommes pas revenus sur le sujet, parce qu'il était évident que Mme Grossbard n'allait plus du tout parler si nous continuions dans cette voie. J'ai préféré lui demander de préciser la chronologie de l'occupation nazie. Les Allemands sont arrivés quel jour ? ai-je dit. Les gens autour de la table émettaient des bruits un peu indécis quand Meg a dit, plus pour elle-même que pour aucun de nous, Le 1er juillet 41. J'ai vu les premières patrouilles, je les ai vus arriver. Elle a ajouté que des unités fascistes hongroises étaient arrivées trois semaines plus tard et avaient séjourné pendant deux mois. Non, a coupé Jack. Quelques semaines seulement, et puis ce sont les Slovaques qui sont arrivés. Bob a dit qu'il ne se souvenait pas avoir vu d'Allemands avant le mois de septembre. Jack a répliqué que les Allemands étaient « officiellement » arrivés le 1er juillet, mais qu'ils avaient été précédés par les unités hongroises, qui étaient restées « quelques semaines ». Les dates n'avaient qu'une importance relative pour moi. Qu'est-ce qui s'est passé au tout début ? ai-je demandé. J'essayais de dessiner une image mentale du début des horreurs, afin de pouvoir situer Shmiel quelque part. Qu'avaient-ils vu, comment cela s'était-il passé ? La première chose qui s'est passée, a dit Jack, c'est que les Ukrainiens sont venus et ont

« Mais elleapersisté danssonrefus deconfirmer queFrydka Jägeravaitaimé ungarçon catholique, desdécennies plustôt,quand uneidylle pareille auraitétéune très grosse affaire. Mais aujourd'hui, quelleimportance ?La femme demon frère Andrew n'estpasjuive ;la femme deMatt estgrecque orthodoxe.

Jeme suis demandé, l'espaced'uneseconde, cequ'il pouvait penserdecette révélation. Meg continuait àfaire del'obstruction.

Jene sais pas, jen'ai ététémoin derien. Je ne vous aipas demandé d'êtretémoin, ai-jeditsur leton delaplaisanterie.

Maiselleétait votre meilleure amie,elleadû seconfier àvous ? Meg asoupiré. Non, non,celasepassait pendant laguerre.

Pasavant.

Grands dieux,non ! J'ai pris une note mentale surlefait qu'elle avaitdit Grands dieux, au pluriel. Rien decegenre n'aurait puseproduire avantlaguerre, a-t-elleexpliqué. C'était, naturellement, commesielle venait detout admettre.

Apartir delà,Frydka, quiavait eu jusqu'à présent unvisage d'enfant surune photo oudeux, acommencé àprendre uneforme sensible, àavoir sapropre histoire.

Elleavait aimé ungarçon polonais, mesuis-je diten souriant, etill'avait aimée aussi. Et en pensant quec'était toutel'histoire quej'entendais pourlapremière fois,même sielle m'était révélée decette façon, jeme préparais mentalement àtoutes lesoccasions quej'aurais de laraconter, àma mère, àses cousins, àmes frères etàma sœur, lorsdemon retour.

Jeme suis calé surma chaise etj'ai décidé dechanger desujet pourlemoment, avantdeme mettre à dos Mme Grossbard quiavait l'aird'être vraiment mécontente.

C'estàcet instant précisque Jack s'est penché surlatable etalevé lavoix pour dire,Laissez-moi vousdirequelque chose.Ce garçon, ila perdu lavie àcause deFrydka. Attendez unpeu, ai-jedit.Pardon ? Jack abaissé lavoix.

Toutlemonde autourdelatable s'était tuettourné verslui.Ilme regardait.

Marquant unsilence aprèschaque motpour lesouligner, ila répété ceci: Le.

Garçon.

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Acause.

D'elle. Il ya eu un long silence. Qu'est-ce quevous voulez dire?ai-je demandé. Hé bien, vousvoyez, a-t-ilcommencé, cestrois filles étaient avecBabij, legroupe departisans, parce qu'elles étaientlesamies detrois garçons polonais.

TroisfillesdeBolechow.

Frydka, l'autre s'appelait DunkaSchwartz, etlatroisième, c'était...lasœur d'undesdeux garçons qui ont survécu aveclesBabij, Ratenbach. Je ne savais absolument pasquipouvaient bienêtrecesgens, maisjene l'ai pas interrompu.

Je voulais qu'ilcontinue. Ces trois garçons étaientdevenus lesamis deces filles, ilsles ont aidées àrejoindre lesBabij dans laforêt.

C'était uneforêt prèsdeDolina, ilyavait prèsdequatre centsJuifsqui appartenaient auxgroupes departisans.. »

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