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Histoire de la Revolution française, IX directoire feignant la franchise, lui montrait ces rapports, et affectait de les traiter avec mépris, comme s'il avait cru le général incapable d'ambition.

Publié le 11/04/2014

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Histoire de la Revolution française, IX directoire feignant la franchise, lui montrait ces rapports, et affectait de les traiter avec mépris, comme s'il avait cru le général incapable d'ambition. Le général, non moins dissimulé, recevait ces témoignages avec reconnaissance, assurant qu'il était digne de la confiance qu'on lui accordait. Mais de part et d'autre la défiance était extrême. Si les espions de la police parlaient au directoire de projets d'usurpation, les officiers qui entouraient le général lui parlaient de projets d'empoisonnement. La mort de Hoche avait fait naître d'absurdes soupçons, et le général qui, quoique exempt de craintes puériles, était prudent néanmoins, prenait des précautions extrêmes quand il dînait chez certain directeur. Il mangeait peu, et ne goûtait que des viandes dont il avait vu manger le directeur lui-même, et du vin dont il l'avait vu boire. Barras aimait à faire croire qu'il était l'auteur de la fortune de Bonaparte, et que n'étant plus son protecteur, il était resté son ami. Il montrait en particulier un grand dévouement pour sa personne; il cherchait, avec sa souplesse ordinaire, à le convaincre de son attachement, il lui livrait volontiers ses collègues, et affectait de se mettre à part. Bonaparte accueillait peu les témoignages de ce directeur, dont il ne faisait aucun cas, et ne le payait de sa servilité par aucune espèce de confiance. On consultait souvent Bonaparte dans certaines questions. On lui envoyait un ministre pour l'appeler au directoire; il s'y rendait, prenait place à côté des directeurs, et donnait son avis avec cette supériorité de tact qui le distinguait dans les matières d'administration et de gouvernement comme dans celles de guerre. Il affectait en politique une direction d'idées qui tenait à la position qu'il avait prise. Le lendemain du 18 fructidor, on l'a vu, une fois l'impulsion donnée, et la chute de la faction royaliste assurée, s'arrêter tout-à-coup, et ne vouloir prêter au gouvernement que l'appui exactement nécessaire pour empêcher le retour de la monarchie. Ce point obtenu, il ne voulait pas paraître s'attacher au directoire; il voulait rester en dehors, en vue à tous les partis, sans être lié ni brouillé avec aucun. L'attitude d'un censeur était la position qui convenait à son ambition. Ce rôle est facile à l'égard d'un gouvernement tiraillé en sens contraire par les factions, et toujours exposé à faillir; il est avantageux, parce qu'il rattache tous les mécontens, c'est-à-dire tous les partis, qui sont bientôt universellement dégoûtés du gouvernement qui veut les réprimer, sans avoir assez de force pour les écraser. Les proclamations de Bonaparte aux Cisalpins et aux Génois sur les lois qu'on avait voulu rendre contre les nobles, avaient suffi pour indiquer sa direction d'esprit actuelle. On voyait, et ses discours le montraient assez, qu'il blâmait la conduite que le gouvernement avait tenue à la suite du 18 fructidor. Les patriotes avaient dû naturellement reprendre un peu le dessus depuis cet événement. Le directoire était, non pas dominé, mais légèrement poussé par eux. On le voyait à ses choix, à ses mesures, à son esprit. Bonaparte, tout en gardant cependant une grande réserve, laissait voir du blâme pour la direction que suivait le gouvernement; il paraissait le regarder comme faible, incapable, se laissant battre par une faction après avoir été battu par une autre. Il était visible, en un mot, qu'il ne voulait pas être de son avis. Il se conduisit même de manière à prouver qu'en voulant s'opposer au retour de la royauté, il ne voulait cependant pas accepter la solidarité de la révolution et de ses actes. L'anniversaire du 21 janvier approchait, il fallut négocier pour l'engager à paraître à la fête qu'on allait célébrer pour la cinquième fois. Il était arrivé à Paris en décembre 1797. L'année 1798 s'ouvrait (nivôse et pluviôse an VI). Il ne voulait pas se rendre à la cérémonie, comme s'il eût désapprouvé l'acte qu'on célébrait, ou qu'il eût voulu faire quelque chose pour les hommes que ses proclamations du 18 fructidor et la mitraillade du 13 vendémiaire lui avaient aliénés. On voulait qu'il y figurât à tous les titres. Naguère général en chef de l'armée d'Italie et plénipotentiaire de la France à Campo-Formio, il était aujourd'hui l'un des plénipotentiaires du congrès de Rastadt et général de l'armée d'Angleterre; il devait donc assister aux solennités de son gouvernement. Il disait que ce n'étaient pas là des qualités qui l'obligeassent à figurer, et que dès lors sa présence étant volontaire, paraîtrait un assentiment qu'il ne voulait pas donner. On transigea. L'Institut devait assister en corps à la cérémonie; il se mêla dans ses rangs, et parut remplir un devoir de corps. Entre toutes les qualités accumulées déjà sur sa tête, celle de membre de l'Institut était certainement la plus commode, et il savait s'en servir à propos. La puissance naissante est bientôt devinée. Une foule d'officiers et de flatteurs entouraient déjà Bonaparte; ils lui demandaient s'il allait toujours se borner à commander les armées, et s'il ne prendrait pas enfin au gouvernement des affaires la part que lui assuraient son ascendant et son génie politique. Sans savoir encore CHAPITRE XII. 97 Histoire de la Revolution française, IX ce qu'il pouvait et devait être, il voyait bien qu'il était le premier homme de son temps. En voyant l'influence de Pichegru aux cinq-cents, celle de Barras au directoire, il lui était permis de croire qu'il pourrait avoir un grand rôle politique; mais il n'en avait dans ce moment aucun à jouer. Il était trop jeune pour être directeur; il fallait avoir quarante ans, et il n'en avait pas trente. On parlait bien d'une dispense d'âge, mais c'était une concession à obtenir, qui alarmerait les républicains, qui leur ferait jeter les hauts cris, et qui ne vaudrait pas certainement les désagrémens qu'elle lui causerait. Être associé, lui cinquième, au gouvernement, n'avoir que sa voix au directoire, s'user en luttant avec des conseils indépendans encore, c'était un rôle dont il ne voulait pas; et ce n'était pas la peine de provoquer une illégalité pour un pareil résultat. La France avait encore un puissant ennemi à combattre, l'Angleterre; et, bien que Bonaparte fût couvert de gloire, il lui valait mieux cueillir de nouveaux lauriers, et laisser le gouvernement s'user davantage dans sa pénible lutte contre les partis. On a vu que le jour même où la signature du traité de Campo-Formio fut connue à Paris, le directoire, voulant tourner les esprits contre l'Angleterre, créa sur-le-champ une armée dite d'Angleterre, et en donna le commandement au général Bonaparte. Le gouvernement songeait franchement et sincèrement à prendre la voie la plus courte pour attaquer l'Angleterre, et voulait y faire une descente. L'audace des esprits, à cette époque, portait à regarder cette entreprise comme très exécutable. L'expédition déjà tentée en Irlande prouvait qu'on pouvait passer à la faveur des brumes ou d'un coup de vent. On ne croyait pas qu'avec tout son patriotisme, la nation anglaise, qui alors ne s'était pas fait une armée de terre, pût résister aux admirables soldats de l'Italie et du Rhin, et surtout au génie du vainqueur de Castiglione, d'Arcole et de Rivoli. Le gouvernement ne voulait laisser que vingt-cinq mille hommes en Italie, il ramenait tout le reste dans l'intérieur. Quant à la grande armée d'Allemagne, composée des deux armées du Rhin et de Sambre-et-Meuse, il allait la réduire à la force nécessaire pour imposer à l'Empire pendant le congrès de Rastadt, et il voulait faire refluer le reste vers les côtes de l'Océan. On donnait la même direction à toutes les troupes disponibles. Les généraux du génie parcouraient les côtes pour choisir les meilleurs points de débarquement; des ordres étaient donnés pour réunir dans les ports des flottilles considérables; une activité extrême régnait dans la marine. On espérait toujours qu'un coup de vent finirait par écarter l'escadre anglaise qui bloquait la rade de Cadix, et qu'alors la marine espagnole pourrait venir se coaliser avec la marine française. Quant à la marine hollandaise, qu'on se flattait aussi de réunir à la nôtre, elle venait d'essuyer un rude échec à la vue du Texel, et il n'en était rentré que des débris dans les ports de la Hollande. Mais la marine espagnole et française suffisait pour couvrir le passage d'une flottille et s'assurer le transport de soixante ou quatre-vingt mille hommes en Angleterre. Pour seconder tous ces préparatifs, on avait songé à se procurer de nouveaux moyens de finances. Le budget, fixé, comme on l'a vu, à 616 millions pour l'an VI, ne suffisait pas à un armement extraordinaire. On voulait faire concourir le commerce à une entreprise qui était toute dans ses intérêts, et on proposa un emprunt volontaire de quatre-vingts millions. Il devait être hypothéqué sur l'état. Une partie des bénéfices de l'expédition devait être changée en primes, qui seraient tirées au sort entre les préteurs. Le directoire se fit demander, par les principaux négocians, l'ouverture de cet emprunt. Le projet en fut soumis au corps législatif, et, dès les premiers jours, il parut obtenir faveur. On reçut pour quinze ou vingt millions de souscriptions. Le directoire dirigeait non seulement tous ses efforts contre l'Angleterre, mais aussi toutes ses sévérités. Une loi interdisait l'entrée des marchandises anglaises, il se fit autoriser à employer les visites domiciliaires pour les découvrir, et les fit exécuter dans toute la France, le même jour, et à la même heure[10]. [Note 10: Le 15 nivôse an VI (4 janvier).] Bonaparte semblait seconder ce grand mouvement et s'y prêter; mais au fond il penchait peu pour ce projet. Marcher sur Londres, y entrer, jeter soixante mille hommes en Angleterre, ne lui paraissait pas le plus difficile. Mais il sentait que conquérir le pays, s'y établir, serait impossible; qu'on pourrait seulement le ravager, lui enlever une partie de ses richesses, le reculer, l'annuler pour un demi-siècle; mais qu'il faudrait y sacrifier l'armée qu'on y aurait amenée, et revenir presque seul, après une espèce d'incursion barbare. Plus tard, avec une puissance plus vaste, une plus grande expérience de ses moyens, une irritation toute personnelle CHAPITRE XII. 98
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« ce qu'il pouvait et devait être, il voyait bien qu'il était le premier homme de son temps.

En voyant l'influence de Pichegru aux cinq-cents, celle de Barras au directoire, il lui était permis de croire qu'il pourrait avoir un grand rôle politique; mais il n'en avait dans ce moment aucun à jouer.

Il était trop jeune pour être directeur; il fallait avoir quarante ans, et il n'en avait pas trente.

On parlait bien d'une dispense d'âge, mais c'était une concession à obtenir, qui alarmerait les républicains, qui leur ferait jeter les hauts cris, et qui ne vaudrait pas certainement les désagrémens qu'elle lui causerait.

Être associé, lui cinquième, au gouvernement, n'avoir que sa voix au directoire, s'user en luttant avec des conseils indépendans encore, c'était un rôle dont il ne voulait pas; et ce n'était pas la peine de provoquer une illégalité pour un pareil résultat.

La France avait encore un puissant ennemi à combattre, l'Angleterre; et, bien que Bonaparte fût couvert de gloire, il lui valait mieux cueillir de nouveaux lauriers, et laisser le gouvernement s'user davantage dans sa pénible lutte contre les partis. On a vu que le jour même où la signature du traité de Campo-Formio fut connue à Paris, le directoire, voulant tourner les esprits contre l'Angleterre, créa sur-le-champ une armée dite d'Angleterre, et en donna le commandement au général Bonaparte.

Le gouvernement songeait franchement et sincèrement à prendre la voie la plus courte pour attaquer l'Angleterre, et voulait y faire une descente.

L'audace des esprits, à cette époque, portait à regarder cette entreprise comme très exécutable.

L'expédition déjà tentée en Irlande prouvait qu'on pouvait passer à la faveur des brumes ou d'un coup de vent.

On ne croyait pas qu'avec tout son patriotisme, la nation anglaise, qui alors ne s'était pas fait une armée de terre, pût résister aux admirables soldats de l'Italie et du Rhin, et surtout au génie du vainqueur de Castiglione, d'Arcole et de Rivoli.

Le gouvernement ne voulait laisser que vingt-cinq mille hommes en Italie, il ramenait tout le reste dans l'intérieur.

Quant à la grande armée d'Allemagne, composée des deux armées du Rhin et de Sambre-et-Meuse, il allait la réduire à la force nécessaire pour imposer à l'Empire pendant le congrès de Rastadt, et il voulait faire refluer le reste vers les côtes de l'Océan.

On donnait la même direction à toutes les troupes disponibles.

Les généraux du génie parcouraient les côtes pour choisir les meilleurs points de débarquement; des ordres étaient donnés pour réunir dans les ports des flottilles considérables; une activité extrême régnait dans la marine.

On espérait toujours qu'un coup de vent finirait par écarter l'escadre anglaise qui bloquait la rade de Cadix, et qu'alors la marine espagnole pourrait venir se coaliser avec la marine française.

Quant à la marine hollandaise, qu'on se flattait aussi de réunir à la nôtre, elle venait d'essuyer un rude échec à la vue du Texel, et il n'en était rentré que des débris dans les ports de la Hollande.

Mais la marine espagnole et française suffisait pour couvrir le passage d'une flottille et s'assurer le transport de soixante ou quatre-vingt mille hommes en Angleterre.

Pour seconder tous ces préparatifs, on avait songé à se procurer de nouveaux moyens de finances.

Le budget, fixé, comme on l'a vu, à 616 millions pour l'an VI, ne suffisait pas à un armement extraordinaire.

On voulait faire concourir le commerce à une entreprise qui était toute dans ses intérêts, et on proposa un emprunt volontaire de quatre-vingts millions.

Il devait être hypothéqué sur l'état. Une partie des bénéfices de l'expédition devait être changée en primes, qui seraient tirées au sort entre les préteurs.

Le directoire se fit demander, par les principaux négocians, l'ouverture de cet emprunt.

Le projet en fut soumis au corps législatif, et, dès les premiers jours, il parut obtenir faveur.

On reçut pour quinze ou vingt millions de souscriptions.

Le directoire dirigeait non seulement tous ses efforts contre l'Angleterre, mais aussi toutes ses sévérités.

Une loi interdisait l'entrée des marchandises anglaises, il se fit autoriser à employer les visites domiciliaires pour les découvrir, et les fit exécuter dans toute la France, le même jour, et à la même heure[10]. [Note 10: Le 15 nivôse an VI (4 janvier).] Bonaparte semblait seconder ce grand mouvement et s'y prêter; mais au fond il penchait peu pour ce projet. Marcher sur Londres, y entrer, jeter soixante mille hommes en Angleterre, ne lui paraissait pas le plus difficile.

Mais il sentait que conquérir le pays, s'y établir, serait impossible; qu'on pourrait seulement le ravager, lui enlever une partie de ses richesses, le reculer, l'annuler pour un demi-siècle; mais qu'il faudrait y sacrifier l'armée qu'on y aurait amenée, et revenir presque seul, après une espèce d'incursion barbare.

Plus tard, avec une puissance plus vaste, une plus grande expérience de ses moyens, une irritation toute personnelle Histoire de la Revolution française, IX CHAPITRE XII.

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