Devoir de Philosophie

HUIS CLOS de Jean-Paul Sartre (résume et analyse complète)

Publié le 24/10/2018

Extrait du document

sartre

HUIS CLOS. Pièce en un acte et en prose de Jean-Paul Sartre (19051980), publiée sous le titre « les Autres » à Lyon dans l'Arbalète n° 8 en avril 1944, puis en volume sous son titre définitif à Paris chez Gallimard en 1945, et créée à Paris au théâtre du Vieux-Colombier le 27 mai 1944.

 

Sartre vient de publier l'Être et le Néant (1943), de faire représenter les Mouches (1943) et il continue la rédaction des Chemins de la liberté, lorsqu'il compose en deux semaines Huis clos. La forme en fut suggérée par des amis et, d'après Simone de Beauvoir, « l'idée de construire un drame très bref, avec un seul décor et seulement deux ou trois personnages tenta Sartre ». Il pensa d'abord enfermer son trio dans une cave pendant un bombardement, puis décida « de boucler ses héros en enfer pour l'éternité ».

 

Garcin, un homme de lettres, Inès, une employée des postes, Estelle, une mondaine, sont successivement introduits dans le salon second Empire d’une sorte d’hôtel. En fait, hors de tous repères, sous une lumière électrique continue, morts tous trois, ils sont en enfer. Pourquoi ont-ils été réunis ? Les circonstances de leur mort sont différentes, aucun d’eux n’a la même origine sociale, ils ne se sont jamais rencontrés auparavant Inès assure qu’il n’y a aucune erreur, aucun hasard : tous trois, tous les trois ont dû commettre une faute. Elle comprend que le bourreau, « c’est chacun de nous pour les deux autres ». Garcin propose alors une échappatoire : le silence. Mais Estelle ne peut s'empêcher de parler ni Inès, qui est homosexuelle, de tenter de la séduire, en vain : Estelle se tourne sans cesse vers Garcin qui, lui, voudrait tout oublier. Enfantillage, selon Inès ; car on a beau se taire, on ne peut s’empêcher d’exister. Devant l'échec du couple Inès-Estelle, la confrontation est relancée. Chacun se trouve en fait criminel : Inès a tué son amie, Estelle son fils illégitime, Garcin s’est conduit en lâche. Garcin propose une mutuelle pitié, qu'lnès refuse. Estelle accepte : elle trouvera dans les bras de Garcin la consolation, tandis qu'elle s'efforcera de lui faire oublier sa lâcheté. Mais la lucidité sarcastique d’Inès compromet le couple Estelle-Garcin. La porte s’ouvre lorsque Garcin en appelle à l'engloutissement dans les souffrances physiques ; il recule. Inès lui rappelle qu’un homme n'est que la somme de ses actes et que la lâcheté est le total de sa vie. Estelle a beau s’offrir de nouveau à Garcin, le regard dénonciateur de l’autre est toujours là. Indéfiniment liés, indéfiniment victime et bourreau, ils constatent que « l'enfer, c'est les autres ».

 

Contrairement aux Mouches, pièce de la résistance intellectuelle engagée dans l'historicité, Huis clos appartient à l'autre face du Sartre bifrons des années 1940. Son intemporalité est celle du langage philosophique, car la pièce est inséparable de l'Être et le Néant, texte à l'égard duquel elle semble avoir la même fonction de parabole et d'épure que le mythe dans les dialogues socratiques. Parallèlement, l'absence d'intrigue et d'issue, la temporalité ramenée à un temps arrêté, les objets détournés de leur fonction rapprochent la dramaturgie de Huis clos de ce que sera l'« antithéâtre ». En fait, il s'agit pour Sartre de donner corps - un corps passé de l'autre côté de la mort, éternisé et encore gonflé de désirs - à cette

sartre

« réflexion amorcée en 1939 dans l'Esquisse d'une théorie des émotions et amplifiée dans la troisième partie de l'Être et le Néant {chap.

2) sur« les Rela­ tions concrètes à autrui ».

Très schéma­ tiquement, l'analyse de Sartre se ramène à l'idée qu'en présence d'un autre (le pour-autrui) je suis jugé, pensé, possédé par lui ; je vis le danger permanent d'être réduit à l 'état de chose sous son regard.

Inversement, tout en étant jugé, pensé , possédé, je juge, je pense, je possède l'autre.

je ne peux donc sortir de cette condition de l'existence : être simultanément sujet et objet, obligé par l'autre de me voir par sa pensée en l'obligeant de se voir à travers la mienne.

Comme le dit Inès : «je ne suis rlen que le regard qui te voit, que cette pensée incolore qui te pense.

" Cercle infernal d' une récipro­ cité conflictuelle, que commente la célèbre réplique de Garein : «L'enfer, c'est les autres.

» C'est donc bien là le thème central de la pièce, dramatisé par la figure du trlo (un détour même rapide par la biographie de Sartre rap­ pellera combien cette figure a marqué, souvent douloureusement, les rela­ tions Sartre-Beauvoir) qui est le vérita­ ble ressort scénique d'une action comprise comme l'ensemble des per­ mutations possibles à partir de la con statation d'Inès : chacun des trois est à la fois le bourreau et la victime des deux autres.

Puisque, selon le post­ ulat de l'Être et le Néant, « le conflit est le sens général de l'être pour-autrui », la pièce se proposera comme une mise à nu des modalités de ce postulat, soit tour à tour le désir (Inès désire Estelle, Estelle désire Garein, Garein tente d'aimer Estelle), l'indifférence (Garein propose que chacun s'isole) et la haine (Estelle tente de « tuer » Inès, Inès hait les hommes, Garein hait la lucidité d'In ès).

Mais aucune de ces trois moda­ lités ne permet de sortir de l'enfer de la présence de l'autre.

Et moins encore la mauvaise foi, ou la " bonne conscience», dont fait preuve chacun des personnages à la fois pour s'aveu ­ gler et aveugler les deux autres, et que ceux-ci se chargent de débusquer; le passage du « vous » de la rencontre au « tu ,, des dialogues les plus âpres étant significatif à cet égard.

Nul n'e ntre dans Huis clos s'il n'est géomètre.

On y voit trois figures : un rectangle, celui du salon dont on ne sort pas ; un triangle, Garein, Estelle, Inès, trio réuni pour l'éternité sans espoir de se renouveler ; un cercle, celui des relations à autrui qui revien­ nent inéluctablement à un point de départ à jamais inépuisé, comme le souligne la dernière réplique de la pièce : « Continuons.

» Aucune figure ouverte donc, mais au contraire une géométrie de l'étouffement, ou plutôt de la séquestration, thème omnipré­ sent dans l'œuvre de Sartre (qu'on songe au *Mur ou, plus tard, aux Séquestrés d'Altona) mais en quelque sorte concentré dans Huis clos.

En ce sens la pièce anticipe l'analyse que pro­ posera Sartre du « théâtre de situa­ tions » dans Situations Il, par opposi­ tion au théâtre de caractères : « Plus de caractères : les héros sont des libertés prises au piège, comme nous tous.

Quelles sont les issues ? [ ...

] Une issue, ça s'invente.

Et chacun, en inventant sa propre issue, s'invente soi-même.

» C'est pourquoi le fameux «l'enfer, c'est les autres» n'est pas à considérer dans l'optique d'une morale du déses­ poir, à quoi on ramène trop souvent l'existentialisme, mais au contraire comme un appel à notre liberté, de sor­ tir de l'enfer comme d'y rester.. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles