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J'ai dit: "Mort aux vaches!

Publié le 04/11/2013

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J'ai dit: "Mort aux vaches!" parce que monsieur l'agent a dit: "Mort aux vaches!" Alors j'ai dit: "Mort aux vaches!" l voulait faire entendre qu'étonné par l'imputation la plus imprévue, il avait, dans sa stupeur, répété les paroles étranges u'on lui prêtait faussement et qu'il n'avait certes point prononcées. Il avait dit: "Mort aux vaches!" comme il eût dit: Moi! tenir des propos injurieux, l'avez-vous pu croire?" . le président Bourriche ne le prit pas ainsi. Prétendez-vous, dit-il, que l'agent a proféré ce cri le premier?" rainquebille renonça à s'expliquer. C'était trop difficile. Vous n'insistez pas. Vous avez raison", dit le président. t il fit appeler les témoins. 'agent 64, de son nom Bastien Matra, jura de dire la vérité et de ne rien dire que la vérité. Puis il déposa en ces termes: Étant de service le 20 octobre, à l'heure de midi, je remarquai, dans la rue Montmartre, un individu qui me sembla être n vendeur ambulant et qui tenait sa charrette indûment arrêtée à la hauteur du numéro 328, ce qui occasionnait un ncombrement de voitures. Je lui intimai par trois fois l'ordre de circuler, auquel il refusa III. CRAINQUEBILLE DEVANT LA JUSTICE 6 Crainquebille, Putois, Riquet et plusieurs autres récits profitables d'obtempérer. Et sur ce que je l'avertis que j'allais verbaliser, il me répondit en criant: "Mort aux vaches!" ce qui me sembla être injurieux." Cette déposition, ferme et mesurée, fut écoutée avec une évidente faveur par le Tribunal. La défense avait cité madame Bayard, cordonnière, et M. David Matthieu, médecin en chef de l'hôpital Ambroise-Paré, officier de la Légion d'honneur. Madame Bayard n'avait rien vu ni entendu. Le docteur Matthieu se trouvait dans la foule assemblée autour de l'agent qui ommait le marchand de circuler. Sa déposition amena un incident. J'ai été témoin de la scène, dit-il. J'ai remarqué que l'agent s'était mépris: il n'avait pas été insulté. Je m'approchai et lui en fis l'observation. L'agent maintint le marchand en état d'arrestation et m'invita à le suivre au commissariat. Ce que je fis. Je réitérai ma déclaration devant le commissaire. Vous pouvez vous asseoir, dit le président. Huissier, rappelez le témoin Matra. Matra, quand vous avez procédé à l'arrestation de l'accusé, monsieur le docteur Matthieu ne vous a-t-il pas fait observer que vous vous mépreniez? C'est-à-dire, monsieur le président, qu'il m'a insulté. Que vous a-t-il dit? Il m'a dit: "Mort aux vaches!" Une rumeur et des rires s'élevèrent dans l'auditoire. "Vous pouvez vous retirer", dit le président avec précipitation. Et il avertit le public que si ces manifestations indécentes se reproduisaient, il ferait évacuer la salle. Cependant la défense agitait triomphalement les manches de sa robe, et l'on pensait en ce moment que Crainquebille serait acquitté. Le calme s'étant rétabli, maître Lemerle se leva. Il commença sa plaidoirie par l'éloge des agents de la Préfecture, "ces modestes serviteurs de la société, qui, moyennant un salaire dérisoire, endurent des fatigues et affrontent des périls incessants, et qui pratiquent l'héroïsme quotidien. Ce sont d'anciens soldats, et qui restent soldats. Soldats, ce mot dit tout...". Et maître Lemerle s'éleva, sans effort, à des considérations très hautes sur les vertus militaires. Il était de ceux, dit-il, "qui ne permettent pas qu'on touche à l'armée, à cette armée nationale à laquelle il était fier d'appartenir". Le président inclina la tête. Maître Lemerle, en effet, était lieutenant dans la réserve. Il était aussi candidat nationaliste dans le quartier des Vieilles-Haudriettes. Il poursuivit: "Non certes, je ne méconnais pas les services modestes et précieux que rendent journellement les gardiens de la paix à la vaillante population de Paris. Et je n'aurais pas consenti à vous présenter, messieurs, la défense de Crainquebille si j'avais vu en lui l'insulteur d'un ancien soldat. On accuse mon client d'avoir dit: "Mort aux vaches!" Le sens de cette phrase n'est pas douteux. Si vous feuilletez le Dictionnaire de la langue verte, vous III. CRAINQUEBILLE DEVANT LA JUSTICE 7 Crainquebille, Putois, Riquet et plusieurs autres récits profitables y lirez: "Vachard, paresseux, fainéant ; qui s'étend paresseusement comme une vache, au lieu de travailler. Vache, qui se vend à la police ; mouchard." Mort aux vaches! se dit dans un certain monde. Mais toute la question est celle-ci: Comment Crainquebille l'a-t-il dit? Et même, l'a-t-il dit? Permettez-moi, messieurs, d'en douter. "Je ne soupçonne l'agent Matra d'aucune mauvaise pensée. Mais il accomplit, comme nous l'avons dit, une tâche pénible. Il est parfois fatigué, excédé, surmené. Dans ces conditions il peut avoir été la victime d'une sorte d'hallucination de l'ouïe. Et quand il vient vous dire, messieurs, que le docteur David Matthieu, officier de la Légion d'honneur, médecin en chef de l'hôpital Ambroise-Paré, un prince de la science et un homme du monde, a crié: "Mort aux vaches!" nous sommes bien forcés de reconnaître que Matra est en proie à la maladie de l'obsession, et, si le terme n'est pas trop fort, au délire de la persécution. "Et alors même que Crainquebille aurait crié: "Mort aux vaches!" il resterait à savoir si ce mot a, dans sa bouche, le caractère d'un délit. Crainquebille est l'enfant naturel d'une marchande ambulante, perdue d'inconduite et de boisson, il est né alcoolique. Vous le voyez ici abruti par soixante ans de misère. Messieurs, vous direz qu'il est irresponsable." Maître Lemerle s'assit et M. le président Bourriche lut entre ses dents un jugement qui condamnait Jérôme Crainquebille à quinze jours de prison et cinquante francs d'amende. Le tribunal avait fondé sa conviction sur le témoignage de l'agent Matra. Mené par les longs couloirs sombres du Palais, Crainquebille ressentit un immense besoin de sympathie. Il se tourna vers le garde de Paris qui le conduisait et l'appela trois fois: "Cipal!... Cipal!... Hein? cipal!..." Et il soupira: "Il y a seulement quinze jours, si on m'avait dit qu'il m'arriverait ce qu'il m'arrive!..." Puis il fit cette réflexion: "Ils parlent trop vite, ces messieurs. Ils parlent bien, mais ils parlent trop vite. On peut pas s'expliquer avec eux... Cipal, vous trouvez pas qu'ils parlent trop vite?" Mais le soldat marchait sans répondre ni tourner la tête. Crainquebille lui demanda: "Pourquoi que vous me répondez pas?" Et le soldat garda le silence. Et Crainquebille lui dit avec amertume: "On parle bien à un chien. Pourquoi que vous me parlez pas? Vous ouvrez jamais la bouche avez donc pas peur qu'elle pue?" IV. APOLOGIE POUR M. LE PRÉSIDENT BOURRICHE Quelques curieux et deux ou trois avocats quittèrent l'audience après la lecture de l'arrêt, quand déjà le greffier appelait ne autre cause. Ceux qui sortaient ne faisaient point de réflexion sur l'affaire Crainquebille qui ne les avait guère ntéressés, et à laquelle ils ne songeaient plus. Seul M. Jean Lermite, graveur à IV. APOLOGIE POUR M. LE PRÉSIDENT OURRICHE rainquebille, Putois, Riquet et plusieurs autres récits profitables l'eau-forte, qui était venu d'aventure au Palais, méditait ur ce qu'il venait de voir et d'entendre. assant son bras sur l'épaule de maître Joseph Aubarrée: Ce dont il faut louer le président Bourriche, lui dit-il, c'est d'avoir su se défendre des vaines curiosités de l'esprit et se garder de cet orgueil intellectuel qui veut tout connaître. En opposant l'une à l'autre les dépositions contradictoires de l'agent Matra et du docteur David Matthieu, le juge serait entré dans une voie où l'on ne rencontre que le doute et l'incertitude. La méthode qui consiste à examiner les faits selon les règles de la critique est inconciliable avec la bonne administration de la justice. Si le magistrat avait l'imprudence de suivre cette méthode, ses jugements dépendraient de sa sagacité personnelle, qui le plus souvent est petite, et de l'infirmité humaine, qui est constante. Quelle en serait l'autorité? On ne peut nier que la méthode historique est tout à fait impropre à lui procurer les certitudes dont il a besoin. Il suffit de rappeler l'aventure de Walter Raleigh. "Un jour que Walter Raleigh, enfermé à la Tour de Londres, travaillait, selon sa coutume, à la seconde partie de son istoire du Monde, une rixe éclata sous sa fenêtre. Il alla regarder ces gens qui se querellaient, et quand il se remit au ravail, il pensait les avoir très bien observés. Mais le lendemain, ayant parlé de cette affaire à un de ses amis qui y avait té présent et qui même y avait pris part, il fut contredit par cet ami sur tous les points. Réfléchissant alors à la difficulté e connaître la vérité sur des événements lointains, quand il avait pu se méprendre sur ce qui se passait sous ses yeux, il eta au feu le manuscrit de son histoire. Si les juges avaient les mêmes scrupules que Sir Walter Raleigh, ils jetteraient au feu toutes leurs instructions. Et ils n'en nt pas le droit. Ce serait de leur part un déni de justice, un crime. Il faut renoncer à savoir, mais il ne faut pas renoncer à uger. Ceux qui veulent que les arrêts des tribunaux soient fondés sur la recherche méthodique des faits sont de angereux sophistes et des ennemis perfides de la justice civile et de la justice militaire. Le président Bourriche a l'esprit rop juridique pour faire dépendre ses sentences de la raison et de la science dont les conclusions sont sujettes à 'éternelles disputes. Il les fonde sur des dogmes et les assied sur la tradition, en sorte que ses jugements égalent en utorité les commandements de l'Église. Ses sentences sont canoniques. J'entends qu'il les tire d'un certain nombre de acrés canons. Voyez, par exemple, qu'il classe les témoignages non d'après les caractères incertains et trompeurs de la raisemblance et de l'humaine vérité, mais d'après des caractères intrinsèques, permanents et manifestes. Il les pèse au oids des armes. Y a-t-il rien de plus simple et de plus sage à la fois? Il tient pour irréfutable le témoignage d'un gardien

« chef del'hôpital Ambroise−Paré, unprince delascience etun homme dumonde, acrié: "Mort auxvaches!" nous sommes bienforcés dereconnaître queMatra estenproie àla maladie del'obsession, et,sile terme n'estpastrop fort, au délire delapersécution. "Et alors même queCrainquebille auraitcrié:"Mort auxvaches!" ilresterait àsavoir sice mot a,dans sabouche, le caractère d'undélit.

Crainquebille estl'enfant natureld'unemarchande ambulante, perdued'inconduite etde boisson, il est néalcoolique.

Vouslevoyez iciabruti parsoixante ansdemisère. Messieurs, vousdirez qu'ilestirresponsable." Maître Lemerle s'assitetM.

leprésident Bourriche lutentre sesdents unjugement quicondamnait JérômeCrainquebille à quinze joursdeprison etcinquante francsd'amende.

Letribunal avaitfondé saconviction surletémoignage del'agent Matra. Mené parleslongs couloirs sombres duPalais, Crainquebille ressentitunimmense besoindesympathie.

Ilse tourna vers le garde deParis quileconduisait etl'appela troisfois: "Cipal!...

Cipal!...Hein?cipal!..." Et ilsoupira: "Il ya seulement quinzejours,sion m'avait ditqu'il m'arriverait cequ'il m'arrive!..." Puis ilfit cette réflexion: "Ils parlent tropvite, cesmessieurs.

Ilsparlent bien,maisilsparlent tropvite.

Onpeut pass'expliquer aveceux...

Cipal, vous trouvez pasqu'ils parlent tropvite?" Mais lesoldat marchait sansrépondre nitourner latête. Crainquebille luidemanda: "Pourquoi quevous merépondez pas?" Et lesoldat gardalesilence.

EtCrainquebille luidit avec amertume: "On parle bienàun chien.

Pourquoi quevous meparlez pas?Vous ouvrez jamaislabouche avezdonc paspeur qu'elle pue?" IV. APOLOGIE POURM.LEPRÉSIDENT BOURRICHE Quelques curieuxetdeux outrois avocats quittèrent l'audienceaprèslalecture del'arrêt, quanddéjàlegreffier appelait une autre cause.

Ceuxquisortaient nefaisaient pointderéflexion surl'affaire Crainquebille quineles avait guère intéressés, etàlaquelle ilsne songeaient plus.SeulM.Jean Lermite, graveuràIV.

APOLOGIE POURM.LEPRÉSIDENT BOURRICHE 8 Crainquebille, Putois,Riquetetplusieurs autresrécitsprofitables l'eau−forte, quiétait venu d'aventure auPalais, méditait sur cequ'il venait devoir etd'entendre. Passant sonbras surl'épaule demaître Joseph Aubarrée: "Ce dont ilfaut louer leprésident Bourriche, luidit−il, c'estd'avoir susedéfendre desvaines curiosités del'esprit etse garder decet orgueil intellectuel quiveut toutconnaître.

Enopposant l'uneàl'autre lesdépositions contradictoires de l'agent Matraetdu docteur DavidMatthieu, lejuge serait entrédansunevoie oùl'on nerencontre queledoute et l'incertitude.

Laméthode quiconsiste àexaminer lesfaits selon lesrègles delacritique estinconciliable aveclabonne administration delajustice.

Sile magistrat avaitl'imprudence desuivre cetteméthode, sesjugements dépendraient desa sagacité personnelle, quileplus souvent estpetite, etde l'infirmité humaine,quiestconstante.

Quelleenserait l'autorité? Onnepeut nierquelaméthode historique esttout àfait impropre àlui procurer lescertitudes dontila besoin. Il suffit derappeler l'aventure deWalter Raleigh. "Un jour queWalter Raleigh, enfermé àla Tour deLondres, travaillait, selonsacoutume, àla seconde partiedeson Histoire duMonde, unerixeéclata soussafenêtre.

Ilalla regarder cesgens quisequerellaient, etquand ilse remit au travail, ilpensait lesavoir trèsbien observés.

Maislelendemain, ayantparlédecette affaire àun deses amis quiyavait été présent etqui même yavait prispart, ilfut contredit parcetami surtous lespoints.

Réfléchissant alorsàla difficulté de connaître lavérité surdes événements lointains,quandilavait puseméprendre surcequi sepassait soussesyeux, il jeta aufeu lemanuscrit deson histoire. "Si les juges avaient lesmêmes scrupules queSirWalter Raleigh, ilsjetteraient aufeu toutes leursinstructions.

Etils n'en ont pas ledroit.

Ceserait deleur part undéni dejustice, uncrime.

Ilfaut renoncer àsavoir, maisilne faut pasrenoncer à juger.

Ceuxquiveulent quelesarrêts destribunaux soientfondés surlarecherche méthodique desfaits sont de dangereux sophistesetdes ennemis perfidesdelajustice civileetde lajustice militaire.

Leprésident Bourriche al'esprit trop juridique pourfairedépendre sessentences delaraison etde lascience dontlesconclusions sontsujettes à d'éternelles disputes.Illes fonde surdes dogmes etles assied surlatradition, ensorte quesesjugements égalenten autorité lescommandements del'Église.

Sessentences sontcanoniques.

J'entendsqu'illestire d'un certain nombre de sacrés canons.

Voyez,parexemple, qu'ilclasse lestémoignages nond'après lescaractères incertainsettrompeurs dela vraisemblance etde l'humaine vérité,maisd'après descaractères intrinsèques, permanentsetmanifestes.

Illes pèse au poids desarmes.

Ya−t−il riendeplus simple etde plus sage àla fois? Iltient pour irréfutable letémoignage d'ungardien. »

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