Devoir de Philosophie

John RAWLS (1921-2002) La construction d'une société juste suppose l'élimination de l'esclavage

Publié le 19/10/2016

Extrait du document

rawls

John RAWLS (1921-2002)

La construction d'une société juste suppose l'élimination de l'esclavage

En proclamant que l'esclavage est injuste, le fait pertinent n'est pas le moment où il est apparu historiquement ni la question de son efficacité économique, mais le fait qu'il permette à certaines personnes d'en posséder d'autres comme leur propriété. Il s'agit d'un fait qui est déjà là, en quelque sorte, indépendamment des principes de justice. L'idée même de construire ces faits semble incohérente. Par contraste, l'idée d'une procédure constructiviste, produisant des principes et des préceptes pour identifier les faits qui doivent compter comme raisons, est tout à fait claire. Souvenons-nous de la manière dont la procédure kantienne de l'impératif catégorique autorise certaines maximes et en rejette d'autres ou de quelle façon la position originelle sélectionne des principes de justice. En dehors d'une conception morale ou politique, les faits sont simplement des faits. Ce qui est nécessaire, c'est un cadre de raisonnement à l'intérieur duquel on puisse identifier les faits pertinents du point de vue approprié et déterminer leur poids relatif en tant que raison. Comprise de cette manière, une conception politique constructiviste n'est pas en contradiction avec nos idées de vérité et d'évidence du sens commun. En ce qui concerne le second genre de faits pertinents - ceux qui sont liés à la conception politique elle-même -, nous disons qu'ils ne sont pas construits, mais qu'ils sont des faits qui ont trait aux possibilités de construction. Quand nous élaborons une conception politique pour un régime constitutionnel à partir de l'idée fondamentale de société bien ordonnée comme système équitable de coopération entre citoyens, une possibilité de construction, implicite dans la famille des conceptions et des principes du raisonnement pratique qui forment le socle de la construction, est que l'esclavage est injuste et que les vertus de tolérance et de respect mutuel ainsi qu'un sens de l'équité et de la civilité sont des vertus politiques importantes qu'un tel régime devrait encourager. Nous pouvons nous représenter ces possibilités comme analogues à la manière dont l'infinité des nombres premiers est traitée (dans l'arithmétique constructiviste) comme une possibilité de construction. Cette analogie ne nous engage pas à adopter une théorie constructiviste des mathématiques, ce que nous voulons éviter. Nous l'utilisons simplement pour clarifier l'idée de constructivisme politique. Pour cela il suffit de comprendre l'analogie ; la vérité du constructivisme en mathématiques est une autre affaire. Certains se demanderont pourquoi chercher un argument pour prouver que l'esclavage est injuste. Quel est le défaut de la réponse triviale, à savoir que l'esclavage est injuste parce qu'il est injuste ? Ne pouvons-nous pas en rester là ? Pourquoi parler de possibilités de construction ? Le constructivisme politique ne cherche pas à donner un contenu particulier au caractère raisonnable du jugement que l'esclavage est injuste, comme si ce caractère raisonnable avait besoin d'un quelconque argument. Nous pouvons accepter provisoirement, mais en confiance, certains jugements bien pesés comme des points fixes, comme ce que nous considérons comme des faits fondamentaux, par exemple que l'esclavage est injuste. Mais nous n'avons une conception politique pleinement philosophique que lorsque de tels faits sont reliés les uns aux autres de manière cohérente par des concepts et des principes acceptables pour nous après réflexion. Ces faits fondamentaux ne sont pas simplement disséminés ici et là. Car on peut également dire que la tyrannie est injuste, l'exploitation est injuste, la persécution religieuse est injuste, et ainsi de suite. Nous essayons d'organiser ces faits infiniment variés en une conception de la justice grâce aux principes qui résultent d'une procédure raisonnable de construction. En outre, le constructivisme pense qu'il est éclairant de dire de l'esclavage qu'il viole des principes sur lesquels les représentants de personnes libres et égales se mettraient d'accord dans la position originelle ; ou bien, pour reprendre la démarche de Scanlon, qu'il viole les principes que ne peuvent raisonnablement pas rejeter des personnes désireuses de trouver un fondement libre et conscient pour l'accord volontaire dans la vie politique. L'important, ici, est qu'une forme fondamentale de la motivation morale est le désir, exprimé par les deux aspects du raisonnable [...], de construire notre vie politique commune selon des termes que les autres ne pourraient pas raisonnablement rejeter. Des caractérisations générales de ce genre relient des énoncés variés comme : l'esclavage est injuste, la tyrannie est injuste, l'exploitation est injuste, et ainsi de suite. C'est ce que je veux dire quand je dis que les faits fondamentaux ne sont pas séparés. Ils peuvent être reliés par des principes résultant d'une procédure qui incorpore les exigences de la raison pratique - c'est du moins la prétention du constructivisme politique (nous limitant toujours au politique). Que les faits fondamentaux soient reliés n'est pas un fait qui se trouverait derrière tous les faits séparés ; c'est simplement le fait que ces relations sont maintenant visibles et exprimées par les principes que des personnes libres et égales accepteraient si elles étaient correctement représentées.

00020000006300001533

Liens utiles