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(Karl Marx, Introduction générale à la Critique de l'Economie politique, œuvres, Pléiade, t. I, p. 265-266.)

Publié le 24/03/2015

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marx

LES VALEURS ESTHÉTIQUES ET LE MARXISME

« ... En ce qui concerne l'art on sait que certaines époques de floraison artistique ne sont nullement en rapport avec l'évolution générale de la société, ni donc avec le développement de la base matérielle qui est comme l'ossature de son organisation. Par exemple les Grecs comparés aux modernes, ou encore Shakes¬peare. Pour certaines formes de l'art, l'épopée par exemple, on va jusqu'à reconnaître qu'elles ne peuvent jamais être produites dans la forme classique où elles font époque. Dès que la pro¬duction de l'art fait son apparition en tant que telle ; on admet par là, que dans la propre sphère de l'art, telles de ses créations insignes ne sont possibles qu'à un stade peu développé de l'évo¬lution de l'art. Si cela est vrai du rapport des divers genres d'art à l'intérieur du domaine de l'art lui-même, on s'étonnera déjà moins que cela soit également vrai du rapport de la sphère artistique dans son ensemble à l'évolution générale de la société. La seule difficulté c'est de formuler une conception générale de ces contradictions.

Prenons par exemple l'art grec... dans son rapport à notre temps. Il est bien connu que la mythologie grecque fut non seulement l'arsenal de l'art grec mais aussi sa terre nourricière. L'idée de la nature et des rapports sociaux qui alimente l'imagination grecque... est-elle compatible avec les métiers à filer automa¬tiques, les locomotives et le télégraphe électrique? Qu'est-ce que Vulcain auprès de Roberts et Cie, Jupiter auprès du para¬tonnerre?... Toute mythologie dompte, domine, façonne les forces de la nature, dans l'imagination et par l'imagination ; elle disparaît donc au moment où ces forces sont dominées réelle¬ment... D'autre part, Achille est-il possible à l'âge de la poudre et du plomb ?... Les conditions nécessaires de la poésie épique ne s'évanouissent-elles pas?

Mais la difficulté n'est pas de comprendre que l'art grec et l'épopée sont liées à certaines formes du développement social, la difficulté, la voici : ils nous procurent encore une jouissance

artistique et à certains égards ils servent de norme, ils nous sont un modèle inacessible...

... Un homme ne peut redevenir enfant sans être puéril. Mais ne se réjouit-il pas de la naïveté de l'enfant et ne doit-il pas lui-même s'efforcer à un niveau plus élevé de reproduire sa vérité ? Est-ce que, dans la nature enfantine, ne revit pas le caractère de chaque époque, dans sa vérité naturelle ? Pourquoi l'enfance historique de l'humanité au plus beau de son épanouis¬sement n'exercerait-elle pas l'attrait éternel du moment qui ne reviendra plus ? «

(Karl Marx, Introduction générale à la Critique de l'Economie politique, Œuvres, Pléiade, t. I, p. 265-266.)

Marx a donc fort bien vu la difficulté que pose au matérialisme historique l'existence d'oeuvres d'art admirées dans tous les lieux et dans tous les temps. Mais le problème ne semble pas vrai­ment résolu car ce qui demeure semble-t-il irréductible, inexpli­cable, c'est la beauté elle-même, la valeur des oeuvres géniales. On n'expliquera pas complètement le génie de Rembrandt à partir de la Hollande de son époque puisque après tout le der­nier des « petits-maîtres « hollandais reflète aussi son temps et n'est pas Rembrandt. A la limite on pourra dire que la socio­logie de l'art n'explique de l'art que ce qui en lui n'est pas artis­tique. L'ceuvre a toujours un contenu historique, c'est vrai, mais la valeur de l'oeuvre dépend de la façon dont ce contenu est traité. Comme l'a dit André Malraux, l'oeuvre d'art vraiment belle n'est pas « l'illustration mais le chant de l'histoire «.

marx

« artistique et à certains égards ils servent de norme, ils nous sont un modèle inacessible ...

...

Un homme ne peut redevenir enfant sans être puéril.

Mais ne se réjouit-il pas de la naïveté de l'enfant et ne doit-il pas lui-même s'efforcer à un niveau plus élevé de reproduire sa vérité? Est-ce que, dans la nature enfantine, ne revit pas le caractère de chaque époque, dans sa vérité naturelle? Pourquoi l'enfance historique de l'humanité au plus beau de son épanouis­ sement n'exercerait-elle pas l'attrait éternel du moment qui ne reviendra plus? n (Karl Marx, Introduction générale à la Critique de l'Economie politique, Œuvres, Pléiade, t.

1, p.

265-266.) COMM&NTAIR• a) Présentation du texte Ce fragment sur le problème de l'art appartient à un texte de 1857 Introduction générale à la Critique de l'économie politique que Marx ne fit pas publier.

Marx écrira deux ans après dans l'Avant-propos de la Critique de l'économie politique.

« J'avais ébauché une introduction générale, mais je la supprime.

Réflex· on faite, il serait gênant d'anticiper sur des résultats non encore établis.

» Le texte a été publié pour la première fois par Kautsky en 1903.

Le problème de l'art est, nous allons dire pour­ quoi, un des plus épineux qui puissent se poser à un marxiste.

Les marxistes contemporains qui s'y sont attaqués (Georg Lukacs, professeur d'esthétique à Budapest, Henri Lefebvre en France, Contribution à l'esthétique, Ed.

Sociales) ne l'ont pas eux-mêmes pleinement résolu.

Pour aborder ce texte sur l'art il faut d'abord rappeler le prin­ cipe général de la philosophie marxiste, c'est-à-dire du maté­ rialisme historique.

Les forces productives (l'état des techniques et des moyens de production économiques, à tel moment de l'histoire) et les rapports de production (c'est-à-dire les relations et les conflits des classes sociales qui en dérivent) constituent l'infrastructure de la société.

L'état et l'évolution de cette infra­ structure déterminent en dernier ressort l'état et l'évolution des superstructures culturelles : les institutions politiques, juri­ diques, les idées philosophiques et religieuses, les créations artistiques par lesquelles la société prend une conscience plus ou moins déformée d'elle-même, ne constituent pas des domaines autonomes mais traduisent de façon plus ou moins complexe l'évolution de l'infrastructure économique et sociale.

85. »

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