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La machine fournit-elle un modèle pour comprendre le vivant ?

Publié le 06/02/2012

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 Comprendre le vivant n'est pas un projet récent de la science : déjà Aristote s'y intéresse, proposant de le définir par la présence efficace d'une âme capable d'animer la matière. En inaugurant ainsi le vitalisme, il affirme le primat de la fonction sur l'organe (« l'homme a des mains parce qu'il est intelligent ») en même temps qu'il conçoit la vie ou l'âme comme la cause finale du corps, puisque ce dernier, sans elle, n'est plus rien. C'est dans sa volonté de fonder une science non aristotélicienne que Descartes propose un tout autre modèle, qui ramène le vivant, notamment animal, à n'être rien de mieux qu'une machine. Pour comprendre le vivant, peut-on utiliser un tel modèle ? Celui-ci s'est trouvé critiqué à son tour, mais avant d'en relever les impasses, il vaut la peine d'en étudier l'importance historique. I.  Le modèle mécaniste de Descartes  Alors qu'Aristote reconnaît les particularités du vivant en le distinguant de l'inanimé (« Nous appellerons vivant le fait de se nourrir, de croître et de dépérir par soi-même »), Descartes ne fait en réalité aucune différence entre les deux : une machine construite par un artisan et les corps produits par la nature sont semblables (à un détail près : la dimension des composants, car l'homme fabrique la machine à son échelle).  Ainsi le vivant est-il assimilé aux résultats de la technique ou de l'artisanat : tout est affaire d'agencement de tuyaux, de ressorts et de pistons. C'est ce qu'expose la théorie des « animaux-machines », qui ne reconnaît dans le corps animal que des fonctionnements mécaniques, et donc relevant de la physique, indépendamment de tout sentiment, de toute pensée, de tout affect. Puisque le vivant est d'abord un corps physique, constitué de matière et donc d'étendue, son étude est mathématisable, et concevable en termes de lois physiques.  Fait exception l'être humain, mais non comme corps vivant, seulement comme être pensant : le vivant brut (l'animal) est dénué de toute forme de pensée (de langage également) et c'est ce qui autorise à le considérer comme une stricte machine. II.  Son importance historique  Le modèle mécaniste permet de rompre avec toute téléologie de type aristotélicien (téléologie : il y a dans la nature une finalité générale, tout est harmonieusement hiérarchisé en vue de l'éclosion finale du vivant). Il autorise la promotion de la physique au rang de science modèle (on rappellera l'importance de Galilée dans la constitution de la conception cartésienne), et permet de traiter le vivant par cette seule physique, en faisant donc l'économie de toute hypothèse métaphysique (puisque qui dit âme, comme le faisait Aristote, dit nécessairement métaphysique : au-delà des phénomènes naturels).  Dans ce contexte, la fin du vivant (le corps mort) n'est qu'un automate en panne, un mécanisme incomplet ou en manque d'énergie motrice (qui, comme l'indique l'exemple cartésien de la montre, provient de l'extérieur de l'organisme-machine).  L'exception que constitue l'homme au pur mécanisme provient de la présence de l'âme et donc de sa capacité à penser. Se pose alors la question de la liaison entre le corps-machine et l'âme (la solution cartésienne consiste à situer le lieu où l'âme se rattache au corps dans la glande pinéale).  Mais, historiquement, cette fondation d'une physique mathématisable et applicable jusqu'au vivant interdit de reconnaître la spécificité de ce dernier, et donc la formation d'une véritable biologie (comme connaissance de la vie dans ses particularités, ainsi que la définira Lamarck) Le modèle de la machine acquiert le statut de ce que Bachelard repère comme « obstacle épistémologique » III. Ses impasses et sa critique  C'est Kant qui a clairement montré l'insuffisance du modèle mécaniste, qui se contente d'explorer l'organisation interne du corps-machine au heu de chercher à saisir ce qu'il présente de spécifique À ses yeux, l'étude du vivant ne doit pas se contenter de décomposer son organisation, elle doit l'aborder comme être s'auto-organisant lui-même. Cette auto-organisation se manifeste notamment dans des aspects propres au vivant en tant que tel, qui sont bel et bien absents de toute machine, si perfectionnée soit-elle reproduction (une montre n'en génère pas d'autres), croissance et autorégulation (la montre n'a pas sa cause efficiente en elle-même, mais dans un être extérieur qui la construit), autorégénération (la montre ne se répare pas elle-même, contrairement au phénomène physiologique de la cicatrisation) Le concept de finalité interne ou intrinsèque désigne globalement, chez Kant, la spécificité du vivant II signifie l'union harmonieuse des différents organes du corps dans le but de la survie de l'organisme comme totalité autonome Or, c'est ce concept qui se retrouve dans les débuts de la biologie — notamment avec la notion de « milieu interne » sur laquelle insiste Claude Bernard, mais aussi dans les travaux contemporains (Jacques Monod) qui redonnent à la téléonomie une certaine signification. Conclusion  La recherche contemporaine en biologie abandonne le modèle de la machine dans la mesure où ce dernier rate la spécificité du vivant On reconnaît désormais la relative autonomie d'une cellule, qui apparaît comme la plus petite unité vivante Mais la science ne se préoccupe pas nécessairement de définir la vie dans son universalité elle préfère étudier les vivants dans leur particularité, dans la mesure où la définition de la vie pourrait ne relever que de la métaphysique.

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