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La passion : fondement de l'autorité ?

Publié le 28/03/2015

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Afin d'éradiquer les passions qui fragilisent et font déchoir les Etats (et que Machiavel examine au chapitre III du Prince), celui qui gouverne doit «ruser«.

 

Semblable pensée de l'autorité pose toutefois un problème.

 

Le pouvoir qu'il s'agit d'instituer de la sorte n'est porteur d'aucune visée morale, ne tend aucunement à rendre les hommes meilleurs : les moyens du pouvoir, ce qui est à même d'assurer la stabilité de l'autorité, prennent le pas sur la fin du pouvoir.

 

Or, toute autorité et tout gouvernement ne représentent-ils pas une promesse : celle d'une organisation qui serait à même d'instaurer une paix et une justice durables?

 

Force est de constater que le Leviathan de Hobbes, ce pouvoir absolu qui entend «tenir en respect« ses sujets, ne se reconnaît pas dans semblable mission.

 

Peu lui importe le devenir des hommes ; seule lui importe sa propre pérennité, gage d'une paix civile.

 

La passion condamne-t-elle toute conception «morale« du pouvoir, toute possibilité pour celui-ci de tendre vers le «bien«?

 

Le prince ne doit aucunement se soucier d'être fidèle à ses propres engagements ou de se conduire conformément à un quelconque «bien«.

 

Pourtant, la phrase de Spinoza que nous citons plus haut nous invite à considérer autrement la question : éradiquer la passion et instituer une autorité, n'est-ce pas précisément permettre aux hommes d'user d'une «raison libre«?

 

Cette raison «instituée« ne permet-elle pas d'éduquer la passion?

 

Plus qu'une simple éradication, n'est-ce pas la possibilité d'une pédagogie qui naît à travers cette autorité-là?

 

Justice et injustice ne sont en rien des facultés du corps et de l'esprit.

 

La paix civile n'est pas l'unique but de l'autorité ; l'autorité n'a pas pour unique fonction de contrôler les passions : «On s'imagine que la société est une juxtaposition d'individus et qu'en limitant leur liberté les individus font de sorte que cette limitation commune et cette gêne réciproque laissent à chacun une petite place où il peut se livrer à lui-même« (Ibid.).

 

« Passion et société Pour résoudre le problème que pose la passion, il est donc nécessaire de s'en remettre à un tel pouvoir, à une autorité capable de faire cesser cette guerre intestine.

Les passions sont au fondement de l'idée d'auto­ rité : l'homme connaît la haine, la jalousie, la convoitise, mais égale­ ment la raison.

Un simple calcul le convainc de l'intérêt qu'aurait une autorité capable de garantir la sécurité de ceux qui s'y soumettent.

Un pouvoir à même d'éradiquer la passion est donc non seulement légi­ time (il naît d'une volonté de s'associer), mais surtout nécessaire : il représente l'une des conditions de survie de l'espèce humaine.

Le lien social, voire la paix sociale, ne peut s'établir qu'à travers la raison et au détriment des passions: à un « état de nature » passionné, il s'agit de substituer une société rationnelle.

Hobbes insiste sur ce point: « Cela va plus loin que le consensus ou la concorde : il s'agit d'une unité réelle de tous en une seule et même personne, unité réalisée par une convention de chacun avec chacun » (Ibid., chapitre 17).

L'autorité est l'instrument d'une concorde et non le produit d'une concorde: c'est parce qu'une « société de la passion » ne saurait exister qu'il est néces­ saire de recourir à une autorité.

Afin de se soustraire à la passion qui guide leurs comportements, les hommes se choisissent un souverain : «j'autorise cet homme ou cette assemblée, et je lui abandonne mon droit de me gouverner moi-même, à cette condition que tu abandonnes ton droit et que tu autorises ses actions de la même manière » (Ibid.).

Nous sommes ainsi face à un paradoxe : le seul moyen de se soustraire à la domination de la passion est de se placer sous l'égide d'une autre domination, « d'abandonner son droit de se gouverner soi-même ».

La passion condamne-t-elle l'homme à ne jamais connaître de liberté ? Sans doute serait-il plus juste de dire qu'il n'y a de liberté que hors de la passion et sous l'égide d'une autorité à même de l'éradiquer.

C'est ce qu'affirme Spinoza : l'Etat « est institué pour que [l'] âme et (le] corps (des hommes] s'acquittent en sûreté de toutes leurs fonctions, pour qu'eux-mêmes usent d'une Raison libre, pour qu'ils ne luttent point de haine, de colère, de ruse, pour qu'ils se supportent sans malveillance les uns les autres.

La fin de l'Etat est donc en réalité la liberté » (Traité théologico-politique, chapitre XX).

C'est le cadre de cette «liberté » qu'il s'agit de penser: elle est à ce point antinomique avec la passion que celle-ci fait l'objet d'un véritable interdit au sein de l'Etat institué de la sorte.

L'homme a pour droit de raisonner et pour devoir de ne pas se « passionner », de ne pas renouer avec sa tumultueuse nature : « Il peut avec une entière liberté opiner et juger et en conséquence aussi parler, pourvu qu'il n'aille pas au-delà de la simple parole ou de l'enseignement, et qu'il défende son opinion par la Raison seule, non par la ruse, la colère ou la haine, ni dans l'intention de changer quoi que ce soit dans l'Etat de l'autorité de son propre décret » (Ibid.).

La passion n'a pas droit de cité, n'a pas sa place au sein de la chose - 207 -. »

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