L'art est-il un domaine où règne la sensibilité ?
Publié le 24/05/2011
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Se demander si l'art est un domaine où règne la sensibilité est a priori absurde : à quoi s'adresse l'art en effet, si ce n'est aux sens – et tout particulièrement à ceux de la représentation (la vue et l'ouïe) ? La simple dénomination « d'arts plastiques «, aujourd'hui commune, nous indique en soi, semble-t-il, que ceux-ci se situent dans la sphère du sensible, que ce soit du point de vue de l'œuvre (elle est éminemment un objet matériel) ou de celui du spectateur (l'art est éminemment un objet matériel) ou de celui du spectateur (l'art s'adresserait ainsi à ses sens, par opposition à son esprit). Toutefois il faudrait alors prendre P. Claudel au pied de la lettre lorsqu'il déclare : « l'art dispense de penser « ; ce serait empêcher toute conceptualisation de l'œuvre d'art – et donc tout questionnement philosophique, ou plus généralement toute théorie de l'art – pour aboutir à un relativisme lié à la notion de goût (entendu comme sensibilité personnelle). De ce point de vue, si toute discussion sur l'art se résout en une évaluation fondée sur des critères individuels, alors nous sommes restreints à une anthropologie empirique sans aucune valeur philosophique. Il va donc s'agir de discuter cette notion de sensibilité dans ses différentes acceptions, tout en gardant comme pierre de touche la question de savoir si l'art demeure prisonnier de la sphère du sensible (quant à ses enjeux et à sa portée notamment) ou s'il possède un contenu spirituel – voire s'il ouvre sur une révélation métaphysique...
«
métaphysique.
Analysons tout d'abord les enjeux du sujet : nous verrons à cet égard que la sensibilité semble prédominer
dans l'art.
Toutefois, nous évoquerons les dangers d'une œuvre sans contenu spirituel ; cela nous mènera à
considérer l'art comme représentation.
Nous avons souligné que la question semble a priori une tautologie : l'art (et peut-être tout particulièrement
les « arts plastiques ») est par excellence le domaine où règne la sensibilité.
D'une part parce qu'il est un jeu avec la
matière même : l'œuvre n'a apparemment d'autre but qu'elle-même ; elle s'impose dans sa matérialité, dans
l'évidence de sa présence sensible.
D'autre part – et par conséquent – parce qu'il a pour objet une jouissance
sensible chez le spectateur (on pourrait dire une « joui-sens », pour parodier le mot de F.
Cheng).
Or limiter l'art
uniquement à ce double constat serait faire l'aveu de l'impossibilité de toute théorie esthétique : si l'art n'est qu'un
jeu gratuit sur la matière, un ornement raffiné, alors toute évaluation de l'œuvre dépend en dernier lieu seulement
des préférences personnelles (de la sensibilité individuelle) de chacun ; ce serait opposer à toute discussion une
médiocre théorie du goût.
Peut-être faut-il suivre Diderot lorsque celui-ci récuse la vision de l'art comme simple
ornementation : celui-là n'est pas un jeu frivole et paisible – gratuit en quelque sorte, puisque sans espèce
d'importance.
Opposant à la théorie du goût sa vision du génie, Diderot va appuyer l'idée que les arts éclosent après
les temps de trouble.
Autrement dit, il donne une dimension de violence à l'œuvre, produit d'une imagination excitée
par de grands évènements et de terribles spectacles : c'est ainsi qu'il déclare dans Le Rêve de d'Alembert que la
poésie veut quelque chose de « sauvage » et de « barbare ».
Il faudrait alors déjà nuancer notre point de vue, et
souligner le fait que la sensibilité qui règne dans l'art n'a rien d'un doux raffinement sage et personnel : ce serait
plutôt une sensibilité brute, et l'œuvre se présenterait comme une violence faite à la matière.
Pensons d'ailleurs au
terme d'enthousiasme, dans la poésie lyrique classique, au sens étymologique d'inspiration divine – voire de
possession : la parole poétique est celle d'un dieu, et le poète doit payer de sa personne pour en être le relai
(pensons par exemple aux transes de la Pythie lorsqu'elle livre ses oracles ! D'ailleurs, la rime lyre / délire est
particulièrement usitée aux XVIIIè et XIXè siècles).
Bref, nous observons que l'art, semble-t-il, s'impose au
spectateur en frappant sa sensibilité : si cette dernière règne, c'est un règne despotique et violent, une fascination
puissante exercée sur les sens du spectateur.
Pensons d'ailleurs à Valéry qui rapporte sa visite dans un musée
(Pièces sur l'art ), « étrange désordre organisé » où chaque œuvre réclame l'entière attention du spectateur, et ne
peut donc souffrir sa juxtaposition avec d'autres objets artistiques.
L'art captive et violente la sensibilité, en
somme ; toutefois, ceci ne demeure-t-il pas un peu réducteur et abstrait comme définition ?
Demeurer dans le domaine de la sensibilité, c'est en effet refuser tout contenu universel et spirituel à l'art :
c'est donc faire de l'œuvre une imitation plus ou moins réussie d'un objet sensible.
C'est précisément cela qui
provoque la dévaluation ontologique de l'art chez Platon : l'artiste reproduit ce qu'il y a de non-intelligible dans son
modèle, il donne donc naissance à un simulacre sensible.
Pour illustrer cette démarche, nous pouvons l'opposer à
celle du démiurge dans la cosmogonie platonicienne : ce dernier produit une bonne imitation, car il façonne tout en
gardant les yeux sur le modèle intelligible ; de fait, son imitation peut donc participer à une remontée dialectique
vers les idées (les beaux corps sont une première étape vers la connaissance du beau).
Or l'artiste ne fait que.
»
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