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Le Rouge et Le Noir Il y avait encore bien des heures à attendre; pour faire quelque chose, Julien écrivit à Fouqué: "Mon ami, n'ouvre la lettre ci-incluse qu'en cas d'accident, si tu entends dire que quelque chose d'étrange m'est arrivé.

Publié le 12/04/2014

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Le Rouge et Le Noir Il y avait encore bien des heures à attendre; pour faire quelque chose, Julien écrivit à Fouqué: "Mon ami, n'ouvre la lettre ci-incluse qu'en cas d'accident, si tu entends dire que quelque chose d'étrange m'est arrivé. Alors, efface les noms propres du manuscrit que je t'envoie et fais-en huit copies que tu enverras aux journaux dé Marseille, Bordeaux, Lyon, Bruxelles, etc.; dix jours plus tard, fais imprimer ce manuscrit, envoie le premier exemplaire à M. le marquis de La Mole, et quinze jours après, jette les autres exemplaires de nuit dans les rues de Verrières." Ce petit mémoire justificatif arrangé en forme de conte, que Fouqué ne devait ouvrir qu'en cas d'accident, Julien le fit aussi peu compromettant que possible pour Mlle de La Mole; mais enfin, il peignait fort exactement sa position. Julien achevait de fermer son paquet, lorsque la cloche du dîner sonna, elle fit battre son coeur. Son imagination préoccupée du récit qu'il venait de composer, était toute aux pressentiments tragiques. Il s'était vu saisi par des domestiques, garrotté, conduit dans une cave, avec un bâillon dans la bouche. Là, un domestique le gardait à vue, et si l'honneur de la noble famine exigeait que l'aventure eût une fin tragique, il était facile de tout finir avec ces poisons qui ne laissent point de traces; alors, on disait qu'il était mort de maladie, et on le transportait mort dans sa chambre. Ému de son propre conte comme un auteur dramatique Julien avait réellement peur lorsqu'il entra dans la salle à manger. Il regardait tous ces domestiques en grande livrée. Il étudiait leur physionomie. "Quels sont ceux qu'on a choisis pour l'expédition de cette nuit? se disait-il. Dans cette famille, les souvenirs de la cour de Henri III sont si présents, si souvent rappelés, que, se croyant outragés, ils auront plus de décision que les autres personnages de leur rang. Il regarda Mlle de La Mole pour lire dans ses yeux les projets de sa famille; elle était pâle, et il lui trouvait tout à fait une physionomie du Moyen Age. Jamais il ne lui avait vu l'air si grand, elle était vraiment belle et imposante. "Il en devint presque amoureux. "Pallida morte futura", se dit-il (Sa pâleur annonce ses grands desseins). En vain, après dîner, il affecta de se promener longtemps dans le jardin, Mlle de La Mole n'y parut pas. Lui parler eût, dans ce moment, délivré son coeur d'un grand poids. Pourquoi ne pas l'avouer? il avait peur. Comme il était résolu à agir, il s'abandonnait à ce sentiment sans vergogne. "Pourvu qu'au moment d'agir, je me trouve le courage qu'il faut, se disait-il, qu'importe ce que je puis sentir en ce moment?" Il alla reconnaître la situation et le poids de l'échelle. "C'est un instrument, se dit-il en riant, dont il est dans mon destin de me servir! ici comme à Verrières. Quelle différence! Alors, ajouta-t-il avec un soupir, je n'étais pas obligé de me méfier de la personne pour laquelle je m'exposais. Quelle différence aussi dans le danger! "J'eusse été tué dans les jardins de M. de Rênal qu'il n'y avait point de déshonneur pour moi. Facilement on eût rendu ma mort inexplicable. Ici, quels récits abominables ne va-t-on pas faire dans les salons de l'hôtel de Chaulnes, de l'hôtel de Caylus, de l'hôtel de Retz, etc., partout enfin. Je serai un monstre dans la postérité. "Pendant deux ou trois ans, reprit-il en riant, et se moquant de soi. Mais cette idée l'anéantissait. Et moi, où pourra-t-on me justifier? En supposant que Fouqué imprime mon pamphlet posthume, ce ne sera qu'une infamie de plus. Quoi! Je suis reçu dans une maison, et pour prix de l'hospitalité que j'y reçois, des bontés dont on m'v accable, j'imprime un pamphlet sur ce qui s'y passe! j'attaque l'honneur des femmes! Ah, mille fois plutôt, soyons dupes!" Cette soirée fut affreuse. CHAPITRE XV. EST-CE UN COMPLOT? 192 Le Rouge et Le Noir CHAPITRE XVI. UNE HEURE DU MATIN Ce jardin était fort grand, dessiné depuis peu d'années avec un goût parfait. Mais les arbres avaient figuré dans le fameux Pré-aux-Clercs, si célèbre du temps de Henry III, ils avaient plus d'un siècle. On y trouvait quelque chose de champêtre. MASSINGER Il allait écrire un contre-ordre à Fouqué lorsque onze heures sonnèrent. Il fit jouer avec bruit la serrure de la porte de sa chambre, comme s'il se fût enferme chez lui. Il alla observer à pas de loup ce qui se passait dans toute la maison, surtout dans les mansardes du quatrième, habitées par les domestiques. Il n'y avait rien d'extraordinaire. Une des femmes de chambre de Mme de La Mole donnait soirée, les domestiques prenaient du punch fort gaiement. "Ceux qui rient ainsi, pensa Julien, ne doivent pas faire partie de l'expédition nocturne, ils seraient plus sérieux." Enfin il alla se placer dans un coin obscur du jardin. "Si leur plan est de se cacher des domestiques de la maison, ils feront arriver par-dessus les murs du jardin les gens chargés de me surprendre. "Si M. de Croisenois porte quelque sang-froid dans tout ceci, il doit trouver moins compromettant pour la jeune personne qu'il veut épouser de me faire surprendre avant le moment où je serai entré dans sa chambre." Il fit une reconnaissance militaire et fort exacte. "Il s'agit de mon honneur, pensa-t-il; si je tombe dans quelque bévue, ce ne sera pas une excuse à mes propres yeux de me dire: Je n'y avais pas songé." Le temps était d'une sérénité désespérante. Vers les onze heures la lune s'était levée, à minuit et demi elle éclairait en plein la façade de l'hôtel donnant sur le Jardin. "Elle est folle, se disait Julien comme une heure sonna, il y avait encore de la lumière aux fenêtres du comte Norbert. De sa vie Julien n'avait eu autant de peur il ne voyait que les dangers de l'entreprise, et n'avait aucun enthousiasme. Il alla prendre l'immense échelle, attendit cinq minutes, pour laisser le temps à un contre-ordre, et à une heure cinq minutes posa l'échelle contre la fenêtre de Mathilde. Il monta doucement le pistolet à la main, étonné de n'être pas attaqué. Comme il approchait de la fenêtre, elle s'ouvrit sans bruit: Vous voilà, monsieur, lui dit Mathilde avec beaucoup d'émotion; je suis vos mouvements depuis une heure. Julien était fort embarrassé, il ne savait comment se conduire, il n'avait pas d'amour du tout. Dans son embarras, il pensa qu'il fallait oser, il essaya d'embrasser Mathilde. Fi donc? lui dit-elle en le repoussant. Fort content d'être éconduit, il se hâta de jeter un coup d'oeil autour de lui: la lune était si brillante que les ombres qu'elle formait dans la chambre de Mlle de La Mole étaient noires. Il peut fort bien y avoir là des hommes cachés sans que je les voie, pensa-t-il. Qu'avez-vous dans la poche de côté de votre habit? lui dit Mathilde, enchantée de trouver un sujet de conversation. Elle souffrait étrangement, tous les sentiments de retenue et de timidité, si naturels à une fille bien née, avaient repris leur empire, et la mettaient au supplice. J'ai toutes sortes d'armes et de pistolets, répondit Julien, non moins content d'avoir quelque chose à dire. CHAPITRE XVI. UNE HEURE DU MATIN 193

« CHAPITRE XVI.

UNE HEURE DU MATIN Ce jardin était fort grand, dessiné depuis peu d'années avec un goût parfait.

Mais les arbres avaient figuré dans le fameux Pré-aux-Clercs, si célèbre du temps de Henry III, ils avaient plus d'un siècle.

On y trouvait quelque chose de champêtre. MASSINGER Il allait écrire un contre-ordre à Fouqué lorsque onze heures sonnèrent.

Il fit jouer avec bruit la serrure de la porte de sa chambre, comme s'il se fût enferme chez lui.

Il alla observer à pas de loup ce qui se passait dans toute la maison, surtout dans les mansardes du quatrième, habitées par les domestiques.

Il n'y avait rien d'extraordinaire.

Une des femmes de chambre de Mme de La Mole donnait soirée, les domestiques prenaient du punch fort gaiement.

"Ceux qui rient ainsi, pensa Julien, ne doivent pas faire partie de l'expédition nocturne, ils seraient plus sérieux." Enfin il alla se placer dans un coin obscur du jardin.

"Si leur plan est de se cacher des domestiques de la maison, ils feront arriver par-dessus les murs du jardin les gens chargés de me surprendre. "Si M.

de Croisenois porte quelque sang-froid dans tout ceci, il doit trouver moins compromettant pour la jeune personne qu'il veut épouser de me faire surprendre avant le moment où je serai entré dans sa chambre." Il fit une reconnaissance militaire et fort exacte.

"Il s'agit de mon honneur, pensa-t-il; si je tombe dans quelque bévue, ce ne sera pas une excuse à mes propres yeux de me dire: Je n'y avais pas songé." Le temps était d'une sérénité désespérante.

Vers les onze heures la lune s'était levée, à minuit et demi elle éclairait en plein la façade de l'hôtel donnant sur le Jardin. "Elle est folle, se disait Julien comme une heure sonna, il y avait encore de la lumière aux fenêtres du comte Norbert.

De sa vie Julien n'avait eu autant de peur il ne voyait que les dangers de l'entreprise, et n'avait aucun enthousiasme. Il alla prendre l'immense échelle, attendit cinq minutes, pour laisser le temps à un contre-ordre, et à une heure cinq minutes posa l'échelle contre la fenêtre de Mathilde.

Il monta doucement le pistolet à la main, étonné de n'être pas attaqué.

Comme il approchait de la fenêtre, elle s'ouvrit sans bruit: \24Vous voilà, monsieur, lui dit Mathilde avec beaucoup d'émotion; je suis vos mouvements depuis une heure. Julien était fort embarrassé, il ne savait comment se conduire, il n'avait pas d'amour du tout.

Dans son embarras, il pensa qu'il fallait oser, il essaya d'embrasser Mathilde. \24Fi donc? lui dit-elle en le repoussant. Fort content d'être éconduit, il se hâta de jeter un coup d'oeil autour de lui: la lune était si brillante que les ombres qu'elle formait dans la chambre de Mlle de La Mole étaient noires.

Il peut fort bien y avoir là des hommes cachés sans que je les voie, pensa-t-il. \24Qu'avez-vous dans la poche de côté de votre habit? lui dit Mathilde, enchantée de trouver un sujet de conversation.

Elle souffrait étrangement, tous les sentiments de retenue et de timidité, si naturels à une fille bien née, avaient repris leur empire, et la mettaient au supplice. \24J'ai toutes sortes d'armes et de pistolets, répondit Julien, non moins content d'avoir quelque chose à dire.

Le Rouge et Le Noir CHAPITRE XVI.

UNE HEURE DU MATIN 193. »

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