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Le visible et l'invisible, © Gallimard, 1964, pp. 196-197. Merleau-Ponty. Commentaire

Publié le 23/03/2015

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La littérature, la musique, les passions, mais aussi l'expérience du monde visible, sont non moins que la science de Lavoisier et d'Ampère l'exploration d'un invisible et, aussi bien qu'elle, dévoilement d'un univers d'idées. Simplement, cet invisible-là, ces idées-là, ne se laissent pas comme les leurs détacher des apparences sensibles, et ériger en seconde positivité. L'idée musicale, l'idée littéraire, la dialectique de l'amour, et aussi les articulations de la lumière, les modes d'exhibition du son et du toucher nous parlent, ont leur logique, leur cohérence, leurs recoupements, leurs concordances, et, ici aussi, les apparences sont le déguisement de « forces « et de « lois « inconnues. Simplement, c'est comme si le secret où elles sont et d'où l'expression littéraire les tire était leur propre mode d'existence ; ces vérités ne sont pas seulement cachées comme une réalité physique que l'on n'a pas su découvrir, invisible de fait que nous pourrons voir un jour face à face, que d'autres, mieux placés, pourraient voir, dès maintenant, pourvu que l'écran qui les masque soit ôté. Ici, au contraire, il n'y a pas de vision sans écran : les idées dont nous parlons ne seraient pas mieux connues de nous si nous n'avions pas de corps et pas de sensibilité, c'est alors qu'elles nous seraient inaccessibles ; la « petite phrase «, la notion de la lumière, pas plus qu'une « idée de l'intelligence «, ne sont épuisées par leurs manifestations, ne sauraient comme idées nous être données que dans une expérience charnelle. Ce n'est pas seulement que nous y trouvions l'occasion de les penser ; c'est qu'elles tiennent leur autorité, leur puissance fascinante, indestructible, de ceci précisément qu'elles sont en transparence derrière le sensible ou en son coeur.

Le visible et l'invisible, © Gallimard, 1964, pp. 196-197.

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« Textes commentés 51 Écrit sous le signe de l'œuvre proustienne et, plus particulièrement, de la « petite phrase » de Vinteuil, ce texte vise à montrer que la différence de l'idéalité avec le sensible ne renvoie en aucun cas à un mode d'existence positif de l'idée.

En effet, puisque le sensible est la forme universelle de l'Être, les idées elles-mêmes - expressions plus exigeantes de ce qui est -ont un aspect sensible.

Autant dire qu'il y a une unité essentielle et, partant, une différence de degré plutôt que de nature entre le sensible proprement dit, l'expression picturale, musicale ou littéraire, le langage et, enfin, l'algorithme scientifique, censé donner la clef de l'intelligible.

Le sensible ne peut plus être défini comme un ensemble de contenus à la fois opaques et évidents mais comme ce qui est toujours déjà prégnant d'une dimension, comme l'incarnation d'un certain style.

Les notes, par exemple, ne sont pas seulement des sons mais la figure sensible de la « petite phrase » et des « idées » qu'elle contient, ce qui ne signifie pas qu'elle pourrait être saisie en elle-même, sans la médiation des sons : elle n'est en vérité que la dimension selon laquelle les notes se déploient, une certaine absence, omniprésente mais insaisissable.

Le sensible n'est donc pas une simple occasion de rejoindre l'idée elle-même, un point d'appui qu'on pourrait écarter une fois sa fonction accomplie ; il n'est pas non plus, comme a pu le penser un certain rationalisme, la seule expression de notre finitude, quelque chose comme un écran recouvrant des idées qui, au moins en droit, seraient accessibles à l'état pur.

Pour· Merleau-Ponty, la pureté de l'idée a nécessairement pour envers l'impureté du sensible : l'idée n'existe que dans et par le sensible -comme le motif en filigrane a besoin du tissu où il transparaît -car elle n'est au fond que la dimension invisible dont le sensible est le mode propre d'exhibition.

La puissance et l'immutabilité de l'idée procèdent tout entières de la plénitude de présence du sensible où elle transparaît.

Il s'ensuit enfin que la différence de l'idéalité « pure » vis-à-vis de ces idées qui se dessinent en creux dans le sensible ne renvoie pas à une dualité de mondes : elle exprime seulement le passage à un élément plus fluide et plus transparent, celui de la parole.. »

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