Devoir de Philosophie

L'écriture englobe-t-elle l'ensemble des procédés propres à « fixer la pensée dans des symboles matériels » (Leroi-Gourhan), indépendamment de toute référence précise et constante à une langue ?

Publié le 26/10/2013

Extrait du document

langue
L'écriture englobe-t-elle l'ensemble des procédés propres à « fixer la pensée dans des symboles matériels « (Leroi-Gourhan), indépendamment de toute référence précise et constante à une langue ? Ou au contraire se limite-t-elle à la manifestation visuelle d'un discours formulé dans une langue ? L'alternative est fondamentale quant au statut théorique de l'écriture et au problème de son origine. Elle l'est moins si l'on envisage la fonction de l'écriture dans les sociétés contemporaines qui en sont pourvues. C'est en effet l'écriture comme forme visuelle de la langue qui y domine. Quel que soit le sens qu'on donne au mot écriture, il suppose l'existence de traces visibles et plus ou moins durables, disposées intentionnellement sur une surface. Suivant les époques, les techniques de fixation de ces traces sont variées : gravure ou incision dans des matériaux solides (pierre, bois, cire, etc.) ; dessins tracés à la main ou à l'aide d'un instrument (pinceau, plume, bille de stylo, etc.) sur la surface plane d'un support (pierre ou bois de nouveau, mais aussi cuir, papyrus, papier, etc.) ; impression de caractères à l'aide d'une machine ; affichage lumineux sur un écran, etc. La condition nécessaire pour qu'on puisse parler d'écriture est que les traces aient le statut de symboles, c'est-à-dire renvoient à un contenu notionnel connu à la fois de la personne qui a inscrit la trace et de celle(s) qui la regarde(nt). Sur ce point, les opinions sont partagées. Le contenu évoqué par les traces peut n'avoir aucune relation précise avec une langue particulière. Il peut également renvoyer aux unités linguistiques spécifiques d'une langue donnée. Certains théoriciens font embrasser à la notion d'écriture l'ensemble de ces deux pratiques symboliques - ce qui ne les empêche naturellement pas de les distinguer rigoureusement. Pour d'autres spécialistes, l'écriture est nécessairement liée non seulement au langage, mais encore à une langue : ils excluent donc la première pratique du champ de l'écriture. On tiendra compte ici des deux types de pratiques. On utilisera pour la première la désignation, empruntée au théoricien et historien de l'écriture I.J. Gelb, d'« avant-courriers de l'écriture «. On réservera à la seconde l'appellation d'écriture au sens strict. Les avant-courriers de l'écriture On en trouve des manifestations dans de très nombreuses civilisations, y compris, mais de façon marginale, dans certaines couches « illettrées « des sociétés contemporaines, qui utilisent épisodiquement des pratiques communicatives de ce type. La lettre d'une jeune Ojibwa - tribu amérindienne qui ne notait pas sa langue par écrit - à son amoureux en donne un exemple typique : « La jeune fille est représentée par l'ours totémique, le garçon par une salamandre. La piste conduit aux lacs, indiqués par les trois cercles irréguliers, mais elle s'y subdivise là en direction de deux tentes. Trois jeunes chrétiennes campent là, comme le montrent les croix. De l'une des tentes sort le bras de la fille qui invite le garçon à venir la voir. Ce dessin a quelques-unes des caractéristiques d'une carte, notamment la piste et les lacs, à côté de représentations symboliques comme celle de cette main qui sort pour signifier une invitation « (Gelb, Pour une théorie de l'écriture, p. 37). Pour comprendre la lettre de la jeune Indienne, il faut naturellement connaître certaines conventions propres à la civilisation des Ojibwas, par exemple la désignation des deux amoureux par leurs animaux totémiques respectifs. D'autres aspects sont plus immédiatement transparents : ils représentent ce qu'ils signifient, par exemple le geste d'invitation du bras de la jeune fille. Quoi qu'il en soit, le texte est interprétable en dehors de toute référence à la langue pratiquée par les deux jeunes Indiens : la lecture qu'en donne Gelb n'est en rien une traduction, mais un décodage dans un autre système de signes. En sorte qu'il paraît peu utile de donner aux éléments des dessins de ce genre un nom qui renvoie à une unité linguistique (par exemple « phrasogramme «, qu'on a parfois suggéré). Le nom de « mythogramme « conviendrait mieux à l'ensemble, à condition de lui donner le sens précis - et conforme à son étymologie - de « trace écrite d'un récit «, sans rien spécifier ni de la nature du récit ainsi inscrit, ni de son éventuelle manifestation sous une autre forme. Les avant-courriers de l'écriture sont apparus à une date très ancienne, sous des formes et avec des fonctions qui ne se confondent pas entièrement avec celles qui s'observent encore aujourd'hui (la fonction de communication, notamment, y était beaucoup moins présente). Les peintures rupestres préhistoriques ne sont pas des représentations de chasse, mais les équivalents visuels d'un récit, sans cesse répété sous diverses variantes, autour d'un thème probablement mythologique, où s'affrontent de façon complémentaire les représentations humaines et animales. Complétez votre recherche en consultant : Les corrélats grotte lecture pictographie signe - 2.LINGUISTIQUE, SÉMIOTIQUE Les livres écriture indienne, page 1574, volume 3 L'écriture au sens strict Il n'existe pas de langue dépourvue de manifestation orale. (Toutefois, les sourds-muets utilisent la « langue des signes «, manifestation gestuelle d'une langue.) Un certain nombre d'entre elles seulement fournissent aux locuteurs un autre moyen de produire des énoncés : l'écriture. Les hasards de l'histoire ont conféré l'écriture aux langues à des époques différentes : fin du IVe millénaire avant J.-C. pour le sumérien, début du IIIe pour l'égyptien, milieu du IIe pour le chinois. Pour le français, il a fallu attendre l'an 842 après J.C. ; pour le lituanien, le XVIe siècle ; et pour le dagaare (langue des confins du Ghana et du Burkina Faso), l'époque contemporaine. D'autres langues, en très grand nombre, s'en passent encore, et vraisemblablement certaines d'entre elles s'en passeront à tout jamais. Il est vrai qu'il existe des substituts de l'écriture. La pratique du quipu permettait aux Incas de conserver et de communiquer, par des noeuds différemment espacés sur des cordelettes de couleurs variées, des informations comptables ou textuelles. Les messages tambourinés - objets, selon les pays, de la « bendrologie « (Burkina Faso) ou de la « drummologie « (Nigeria, Sénégal, Guinée) - constituent, paradoxalement, une forme d'« écriture sonore « : les sons modulés du tambour reproduisent la courbe mélodique de l'énoncé qu'ils transmettent. Il faut enfin ajouter que les locuteurs ayant une langue maternelle dépourvue d'écriture ont souvent à leur disposition l'écriture d'une autre langue (par exemple le français, l'anglais ou le portugais en Afrique). En somme, les sociétés entièrement dépourvues d'écriture se font de plus en plus rares. Les modes de fonctionnement de ces sociétés - qualifiées de « froides « par Lévi-Strauss - s'opposent de façon d'autant plus nette au fonctionnement des sociétés « chaudes «, pourvues de l'écriture : tradition et reproduction infinie des mêmes pratiques d'un côté, transformations continuelles - rendues possibles par l'accumulation du savoir - de l'autre. Complétez votre recherche en consultant : Les corrélats Afrique noire chinois égyptien Lévi-Strauss Claude lituanien quipu techniques (histoire des) - L'Antiquité - Introduction Les livres hiéroglyphe - la pierre de Rosette, page 2361, volume 5 hiéroglyphe - le dieu Thot, page 2361, volume 5 Sumer - inscriptions de la fin du millénaire avant J.-C, page 4959, volume 9 Typologie des écritures Les nombreuses écritures utilisées, aujourd'hui et autrefois, peuvent se répartir en deux classes. L'opposition de ces deux classes est fondamentale et rigoureusement tranchée. Toutefois, il n'existe pas d'écriture qui, de quelque façon, si minime soit-elle, n'utilise pas un procédé emprunté à l'autre classe. Dans le premier type, les unités de l'écriture renvoient à une notion qui donne lieu par ailleurs à une forme sonore de la langue : un « mot «, en somme, en dépit de la mauvaise réputation que le mot m ot conserve auprès des linguistes. On observe des signes de ce genre parmi les hiéroglyphes de l'égyptien ancien. Les hiéroglyphes de ce type ont généralement la propriété d'être « motivés « : ils évoquent, directement ou indirectement, l'aspect de la notion (objet, action verbale, etc.) qu'ils signifient. En revanche, les caractères cunéiformes du sumérien et de l'akkadien et les caractères chinois ne sont pas « motivés « : ils sont affectés de façon « arbitraire « au mot qu'ils ont pour fonction de signifier, même si, dans des états plus anciens de l'écriture, ils pouvaient également être motivés (voir ci-contre le tableau des caractères chinois). Les écritures de ce premier type étaient autrefois dites idéographiques. L'imprécision du mot idée contenu dans ce terme lui fait généralement préférer, aujourd'hui, l'adjectif logographique. Toutefois, pour désigner les unités de ces écritures, le nom « logogramme « ne s'est pas encore totalement substitué au traditionnel idéogramme. Quand elles sont pour l'essentiel logographiques - ce n'est pas le cas des hiéroglyphes, mais c'est le cas du chinois -, les écritures de ce premier type présentent les deux aspects suivants : - les unités de l'écriture (signes, caractères, logogrammes, idéogrammes) y sont en principe aussi nombreuses que les mots de la langue : quelques dizaines de milliers pour les inventaires les plus riches de l'écriture chinoise ; - les systèmes logographiques sont susceptibles d'être utilisés pour plusieurs variétés d'une même langue, voire pour plusieurs langues différentes. C'est ce qu'on observe pour l'écriture chinoise : le logogramme &logog; de l'arbre renvoie à des lectures différentes selon les régions : mu à Pékin, m o à Shanghai, muk à C anton, et même - en dépit des problèmes posés par la différence de structure des langues - ki en japonais et namu ( mot dissyllabique, à la différence de tous les autres) en coréen. Certains penseurs - notamment Leibniz - ont même pu songer au projet d'utiliser l'écriture chinoise comme une « pasigraphie «, c'est-à-dire un système susceptible de noter toutes les langues. Les écritures du second type sont fondées sur un principe fondamentalement différent. Les unités de ces écritures renvoient, non plus à des mots - éléments pourvus de signification -, mais à des sons. Elles reçoivent de ce fait le nom d'écritures phonographiques, et leurs unités sont appelées phonogrammes. La lente et complexe évolution qui les a fait apparaître à partir des écritures logographiques n'est pas encore connue dans tous ses détails. Le procédé connu sous le nom de « rébus à transfert « a joué un rôle considérable - mais non exclusif - dans cette évolution : au sein même du système hiéroglyphique, le procédé a permis par exemple d'utiliser l'hiéroglyphe (logographique) du lotus pour noter, phonographiquement, la syllabe kha, même quand elle apparaît dans des mots dépourvus de toute relation sémantique avec le lotus. Parmi les écritures phonographiques, on distingue deux sous-classes. Dans les écritures syllabographiques, les signes - au nombre de plusieurs dizaines - notent des syllabes. On parle alors de syllabaires : c'est le cas, par exemple, pour les écritures grecques archaïques dites linéaires A et B, pour les deux syllabaires japonais katakana et hiragana e t pour plusieurs systèmes récents forgés pour la notation de langues africaines (système nko de la ville de Kankan en Guinée, système vai du Liberia et de Sierra Leone, écriture des Bamoums du Cameroun). Les alphabets constituent la seconde sous-classe des écritures phonographiques. Le nombre de leurs unités - entre une vingtaine et une petite cinquantaine - est en principe conforme au nombre des phonèmes de la langue à noter. Mais cette conformité est fréquemment obscurcie par différents facteurs, par exemple l'utilisation d'un alphabet unique (latin, cyrillique, etc.) pour plusieurs langues dotées de systèmes phonologiques différents. Voir aussi alphabet. Complétez votre recherche en consultant : Les corrélats akkadien alphabet chinois cunéiforme cyrillique (alphabet) hiéroglyphe idéogramme m ot Phéniciens - Civilisation et religion phéniciennes pinyin rébus signe - 2.LINGUISTIQUE, SÉMIOTIQUE sumérien syllabe typologie - 2.LINGUISTIQUE Les livres Grèce - le scribe, page 2226, volume 4 écriture grecque, page 1574, volume 3 écriture latine, page 1574, volume 3 Hétérogénéité des écritures On l'a aperçu plus haut : à la seule exception de l'alphabet phonétique international - système artificiel strictement phonographique -, aucune écriture n'est purement logographique ou phonographique. Les hiéroglyphes comportent, en plus de leur composante logographique, une partie syllabographique et même strictement alphabétique. Les caractères chinois donnent lieu à une utilisation phonétique pour lever certaines ambiguïtés. Inversement, l'écriture en principe phonographique du français utilise cependant des idéogrammes tels que & et §, ou la série des chiffres de l'arithmétique. En outre, dans les couples tels que « temps « et « taon «, « coup « et « coût «, « bas « et « bât «, etc., l'opposition des graphèmes a pour fonction de distinguer des homophones, en court-circuitant la référence à l'oral : ce procédé est donc d'essence logographique. Complétez votre recherche en consultant : Les corrélats alphabet graphème homophonie - 1.LINGUISTIQUE idéogramme L'écriture aujourd'hui Il y a de cela quelques années, des affiches montraient un Marshall McLuhan hilare et triomphant opposé à un Gutenberg perplexe et fatigué... C'est un fait que l'écrasement de l'écrit par l'image et par le son, tel qu'en rendait compte l'universitaire canadien, auteur de la Galaxie Gutenberg (1962), a pu, un bref moment, paraître s'imposer. Sans s'inverser totalement, la situation, aujourd'hui, se rétablit au profit de l'écrit. Le livre et la presse ne semblent pas trop souffrir de la concurrence d'autres systèmes de communication. L'écriture, surtout, trouve un allié peu attendu dans le développement exponentiel de l'informatique, lequel impose l'emploi de l'écriture - sous la forme familière du clavier de l'ordinateur, qui reproduit celui de la machine à écrire. La plume sergent-major a fait son temps, comme, plus tôt, la plume d'oie, le poinçon du scribe romain ou le ciseau du graveur d'hiéroglyphes. Le stylo survit assez bien. Mais l'ordinateur, porteur d'immenses possibilités tant en ce qui concerne la manipulation du texte que de l'image, semble bien être l'outil d'écriture de l'avenir. Complétez votre recherche en consultant : Les corrélats informatique - Informatique et société machine à écrire McLuhan Herbert Marshall plume Les médias écriture - méthode d'écrivain Complétez votre recherche en consultant : Les corrélats calligraphie manuscrit paléographie Thot Les livres écriture - fragment d'un manuscrit du IXe siècle, page 1574, volume 3 Les indications bibliographiques M. Cohen, la Grande Invention de l'écriture et son évolution, Klincksieck, Paris, 1958. J. Février, Histoire de l'écriture, Payot, Paris, 1995. I. J. Gelb, Pour une théorie de l'écriture, Flammarion, Paris, 1973. A. Leroi-Gourhan, le Geste et la parole : technique et langage, Albin Michel, Paris, 1989 (1965).
langue

« Les avant-courriers de l'écriture sont apparus à une date très ancienne, sous des formes et avec des fonctions qui ne se confondent pas entièrement avec celles qui s'observent encore aujourd'hui (la fonction de communication, notamment, y était beaucoup moins présente).

Les peintures rupestres préhistoriques ne sont pas des représentations de chasse, mais les équivalents visuels d'un récit, sans cesse répété sous diverses variantes, autour d'un thème probablement mythologique, où s'affrontent de façon complémentaire les représentations humaines et animales. Complétez votre recherche en consultant : Les corrélats grotte lecture pictographie signe - 2.LINGUISTIQUE, SÉMIOTIQUE Les livres écriture indienne, page 1574, volume 3 L'écriture au sens strict Il n'existe pas de langue dépourvue de manifestation orale.

(Toutefois, les sourds-muets utilisent la « langue des signes », manifestation gestuelle d'une langue.) Un certain nombre d'entre elles seulement fournissent aux locuteurs un autre moyen de produire des énoncés : l'écriture.

Les hasards de l'histoire ont conféré l'écriture aux langues à des époques différentes : fin du IV e millénaire avant J.-C.

pour le sumérien, début du III e pour l'égyptien, milieu du II e pour le chinois.

Pour le français, il a fallu attendre l'an 842 après J.- C.

; pour le lituanien, le XVI e siècle ; et pour le dagaare (langue des confins du Ghana et du Burkina Faso), l'époque contemporaine.

D'autres langues, en très grand nombre, s'en passent encore, et vraisemblablement certaines d'entre elles s'en passeront à tout jamais. Il est vrai qu'il existe des substituts de l'écriture.

La pratique du quipu permettait aux Incas de conserver et de communiquer, par des nœuds différemment espacés sur des cordelettes de couleurs variées, des informations comptables ou textuelles.

Les messages tambourinés – objets, selon les pays, de la « bendrologie » (Burkina Faso) ou de la « drummologie » (Nigeria, Sénégal, Guinée) – constituent, paradoxalement, une forme d'« écriture sonore » : les sons modulés du tambour reproduisent la courbe mélodique de l'énoncé qu'ils transmettent.

Il faut enfin ajouter que les locuteurs ayant une langue maternelle dépourvue d'écriture ont souvent à leur disposition l'écriture d'une autre langue (par exemple le français, l'anglais ou le portugais en Afrique).

En somme, les sociétés entièrement dépourvues d'écriture se font de plus en plus rares.

Les modes de fonctionnement de ces sociétés – qualifiées de « froides » par Lévi-Strauss – s'opposent de façon d'autant plus nette au fonctionnement des sociétés « chaudes », pourvues de l'écriture : tradition et reproduction infinie des mêmes pratiques d'un côté, transformations continuelles – rendues possibles par l'accumulation du savoir – de l'autre. Complétez votre recherche en consultant : Les corrélats Afrique noire chinois égyptien Lévi-Strauss Claude lituanien quipu techniques (histoire des) - L'Antiquité - Introduction Les livres hiéroglyphe - la pierre de Rosette, page 2361, volume 5 hiéroglyphe - le dieu Thot, page 2361, volume 5 Sumer - inscriptions de la fin du millénaire avant J.-C, page 4959, volume 9. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles