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LES COLCHIQUES Apollinaire, (Acools, 1913).

Publié le 27/05/2021

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LES COLCHIQUES Apollinaire, (Acools, 1913).

 

Guillaume Apollinaire célèbre poète Français du XX siècle incarne « l’esprit nouveau ». Ce mouvement réside dans l’esthétique de la surprise et de la modernité. Dans son recueil Alcools, initialement nommé Eau-de-vie, ce vent de surprise et de modernité est palpable palpable puisqu’il s’inspire de la ville, du rythme du jazz et de la peinture cubiste, supprimant la ponctuation de tous ses poèmes.  

Guillaume Apollinaire publie les colchiques dans le recueil Alcools qui paraît en 1913. Ce poème apparaît après la « chanson du mal aimé » et prolonge l’expression d’un sentiment ambivalent sur l’amour.

Probablement écrit en 1901 il évoque l’échec amoureux d’Apollinaire repoussé par Annie Playden, la gouvernante de la jeune fille dont Apollinaire est le précepteur. 

 

Nous relèverons trois mouvements dans ce poème. Nous verrons tout d’abord la manière dont Apollinaire dessine le colchique ou l’image d’une féminité toxique du V1 à 7 puis nous évoquerons le vacarme et le danger avec l’arrivée des enfants, eux-mêmes menacés d’empoisonnement du V8 à 12. Pour terminer, nous remarquerons la forme ambiguë d’apaisement que suggère la scène finale. Du V13 à 15

 

Ainsi nous nous demanderons de quel manière ce sonnet revisité s’inscrit-il dans la modernité ? 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

I)- Apollinaire récupère le topos de la femme-fleur pour dire le mal d’amour.

 

Ce poème installe le lecteur dans un cadre bucolique avec le champ lexical de la nature « pré, vaches, colchique, fleurit » et rappelle le genre de la pastorale mais il n’en est rien.

 

1- La dualité féminine occupe l’imaginaire de l’auteur. 

La femme est partagée entre irrésistibilité et influence délétère au V1. « Le pré est vénéneux mais joli en automne ».  L’antithèse vénéneux/jolie et l’opposition marquée par la conjonction adversative « mais » renvoie à une dimension mortifère de la séduction.

 

Le CCT « automne » place la scène sous l’égide de la mélancolie et la nostalgie. 

 

2- Apollinaire rejette l’ancien jeu des vers en déconstruisant l’alexandrin aux V2 et 3 « Les vaches y paissant Lentement s’empoisonnent ». D’un alexandrin le poète fait deux hexamètres et pervertit le modèle du sonnet. 

 

- L’adverbe « lentement » et l’assonance en « an » donne un rythme lent qui exprime le mal de vivre. 

 

3- La toxicité est inévitable. Le champ lexical du poison V1 « vénéneux », V3 « s’empoisonnent » se matérialise en l’image d’une fleur, le colchique, élément central du poème. V4 « Le colchique couleur de cerne et de lilas ». 

La métaphore est installée, elle assimile l’humain et le végétal.

 

4- La couleur du violet est omniprésente depuis le V4 « cerne, lilas » et « Violâtres comme leur cerne et comme cet automne » auV6. 

Le suffixe péjoratif en âtre « violâtre » donne au paysage et aux yeux de la femme une coloration mortifère. L’anaphore de « comme » renforce le pouvoir du colchique. 

 

5- Le mot « Cerne » au V4 introduit le motif du cercle et annonce le poème du ressassement. En effet le poème est redondant avec les répétitions des allitérations en (K) et des assonances en (an), la répétition « lentement s’empoisonnent » V3 et 7, « cerne » au V4 et 6, ou encore celle de la conjonction de comparaison « comme » aux V5-6-10-12. 

 

6- Le v7 donne la clef de la première strophe. « Et ma vie pour tes yeux lentement s’empoisonne ». L’hyperbate introduit le rapport poète/femme aimée par deux groupes nominaux associés et l’emploi de déterminants possessifs : « ma vie » / « tes yeux ». 

Apollinaire déploie la synecdoque tout au long du poème « les yeux » pour désigner la femme. 

 

7- Le parallélisme de construction entre le V3 et le V7 avec l’emploi du verbe « s’empoisonne », et l’adverbe « lentement » associe le poète à la vache. 

II)- Puis Apollinaire évoque une scène bruyante s’opposant au statisme de la première strophe. 

 

A)- Le blanc typographique qui sépare les deux strophes signe un effet de rupture. 

 

1- A introduit le monde sonore de l’enfance au V8 « Les enfants de l’école viennent avec fracas ». Le rythme change et le pluriel « les enfants » accentue le fracas. 

 

2- La scène est dynamique, le dynamisme est mis en évidence par les verbes d’action « viennent, jouant, cueillent » aux V8, 9,10 et par les allitérations occlusives (k) « fracas, harmonica, hoquetons, colchiques, couleurs » et fricatives (f) et (v) « enfant, filles, fleurs, viennent, vêtus, vent » des V8 à 12.

 

B)- La suite du poème nous interroge, les figures des enfants et de la mère sont-elles le poète et la femme inquiétante ?

 

1- L’enfant qui joue de la musique V9et10 « vétus de hoquetons et jouant de l’harmonica, ils cueillent des colchiques qui sont comme des mères » serait la métaphore du poète en tant qu’incarnation de l’innocence confrontée à une féminité dangereuse.

 

2- Apollinaire fait une référence implicite à Médée au V10. « Ils cueillent les colchiques qui sont comme des mères ». Médée est connue pour avoir tué ses deux enfants.  Cette comparaison amène une nouvelle image d’une féminité inquiétante. 

 

3- A réaffirme une circularité mystérieuse attachée à la femme au V11 « mère / fille de leur fille ». L’antithèse s’oppose à toute logique. La figure de la femme est monstrueuse. La femme s’auto-génère et l’homme disparaît.  

 

4- L’enjambement entre ce vers et le vers suivant « Filles de leurs filles et sont couleur de tes paupières » accentue l’association féminine et insiste sur l’étrangeté de la fleur et de la femme.

 

5- Le danger est de plus en plus présent au V12 « qui battent comme des fleurs battent au vent dément ». Il est mis en évidence par les sonorités dures (allitérations en t + répétition du verbe battent) et la personnification (vent dément) qui fait entrer la folie dans cet univers. Nous comprenons que la souffrance amoureuse conduit le poète à la folie. 

 

6- Le champ lexical du regard est très présent « cerne, yeux, paupières ». L’évolution du terme « cerne » à « yeux » puis de « yeux » à celui de « paupières » au V12 suggère une frontière entre le poète et la femme aimée.

7- La métrique dans ce vers ainsi que dans les V6-9-10 et 11 est remise en cause. Apollinaire oscille entre tradition et modernité en déséquilibrant les alexandrins qui contiennent 13 syllabes.

 

III)- La scène finale suggère une forme ambiguë d’apaisement. 

 

1- Une forme d’apaisement succède à la violence de la 2nd strophe par le chant du gardien. V13 « le gardien du troupeau chante tout doucement ». Le gardien est l’image du poète. Le chant salvateur éloigne les vaches du pré vénéneux, il apaise et calme les animaux. 

. L’alexandrin convoque la figure d’Orphée, incarnation de la musique et de la poésie et donc du poète.

 

- L’enjambement du V13 et l’assonance en « an » « le gardien du troupeau chante tout doucement / Tandis que lentes et meuglant les vaches abandonnent » nous ramène au rythme calme du début du poème. 

 

2- Mais la fin du poème est ambigüe. 

-La réapparition de certains termes au V15 avec \"automne\" qui apparaît anaphoriquement à 3 reprises aux V1-6 et15 et le mot « pré » qui rappelle le lieu initial produit un effet de boucle. 

 

- De plus, comment expliquer l’abandon du V14 « les vaches abandonnent ». Les vaches sont assimilées au poète alors s’agit-il d’un euphémisme sur la mort ou bien l’abandon de la femme douloureuse ?

 

Alors que Ronsard comparait la femme à une rose dans son recueil « les Amours » en 1584, les colchiques annoncent ici la fin d’un lyrisme amoureux traditionnel. La femme est associée à la fleur pour évoquer la malédiction et la mort. D’un point de vue formel les colchiques apparait comme le vestige d’un sonnet. Les audaces d’Apollinaire (absence de ponctuation, faux alexandrins) sont en marge de la métrique traditionnelle. Les colchiques signe le début d’une transition entre la poésie lyrique et une poésie du mouvement dans le cadre de la modernité cubiste et plus tard surréaliste. C’est avec cette nouvelle liberté poétique qu’Apollinaire nous propose un poème-miroir où la nature symbolise un amour malheureux où le poète exprime sa profonde mélancolie. Il donne une vision de lui-même confronté au temps qui passe, à l’oubli et à la mort.

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