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Les conditions du dialogue

Publié le 23/03/2015

Extrait du document

« J'imagine, Gorgias, que tu as eu, comme moi, l'expérience d'un bon nombre d'entretiens. Et, au cours de ces entretiens, sans doute auras-tu remarqué la chose suivante : les interlocuteurs ont du mal à définir les sujets dont ils ont commencé de discuter et à conclure leur discussion après s'être l'un l'autre mutuellement instruits. Au contraire, s'il arrive qu'ils soient en désaccord sur quelque chose, si l'un déclare que l'autre se trompe ou parle de façon confuse, ils s'irritent l'un contre l'autre, et chacun d'eux estime que son interlocuteur s'exprime avec mauvaise foi, pour avoir le dernier mot, sans chercher à savoir ce qui est au fond de la discussion. Il arrive même, parfois, qu'on se sépare de façon lamentable : on s'injurie, on lance les mêmes insultes qu'on reçoit, tant et si bien que les auditeurs s'en veulent d'être venus écouter pareils individus. Te demandes-tu pourquoi je parle de cela ? Parce que j'ai l'impression que ce que tu viens de dire n'est pas tout à fait cohérent, ni parfaitement accordé avec ce que tu disais d'abord au sujet de la rhétorique. Et puis, j'ai peur de te réfuter, j'ai peur que tu ne penses que l'ardeur qui m'anime vise, non pas à rendre parfaitement clair le sujet de notre discussion, mais bien à te critiquer. Alors écoute, si tu es comme moi, j'aurais plaisir à te poser des questions, sinon, j'y renoncerais. «

Platon, Gorgias, 457c-458a, trad. Monique Canto, © Garnier Flammarion, 1987, pp. 145-146.

 

« Textes commentés 41 Peu de temps après le début du dialogue qui porte son nom, Gorgias et Socrate se retrouvent aux prises sur un sujet : et si Socrate prend la précaution de déterminer (c'est l'objet du texte) les conditions de possibilité du dialogue, c'est que ce sujet est la rhétorique, et que Gorgias est rhéteur.

Le sujet du dialo~ue n'est donc évidemment pas sans lien avec ce passage, qui n'est pas une digression méthodique : il n'y a pas de théorie du discours indépendante de l'objet, le dialogue est de l'ordre de la pratique et non de la théorie.

Il va donc s'agir de conditions plutôt que de règles.

Aussi, dans un premier temps de ce texte, Socrate part de l'expérience de cette pratique pour affirmer une exigence qui est une première condition (la définition) et un enjeu (l'aboutissement du dialogue) : l'exigence est la condition de l'aboutissement.

S'il y a accord sur les termes du problème, la discussion sera féconde (peut-être parce que Socrate est le pire rhéteur.

..

), ce qu'elle ne sera plus si la question est ] mal posée.

De ce point de vue, ce texte garde une actualité aiguë : · combien de débats, de nos jours, dégénèrent justement parce que personne ne répond à la même question ? L'enjeu est ici la recherche de la vérité, à laquelle s'oppose la recherche du «dernier mot».

Qui a raison ? Celui qui trouve la vérité, ou celui qui convainc et qui gagne, même avec du faux ? Cette ligne de partage est exactement celle qui sépare Socrate des sophistes, dont Gorgias.

Dans un second temps du texte, (à partir de « te demandes-tu ...

») la tonalité se reporte sur une i thématique déjà effleurée par la première partie, celle de l'« instruction · mutuelle ».

Si Socrate a peur de réfuter Gorgias, c'est parce qu'il subodore une différence de conception de la réfutation elle-même.

Pour Gorgias le rhéteur, être réfuter, c'est perdre ; pour Socrate, être réfuté est plus profitable que de réfuter, puisqu'on est instruit d'une vérité.

Il s'agit donc d'aimer à être réfuté, ce qui est la seconde condition du dialogue.

La réfutation n'est pas critique gratuite ad hominem, elle n'est pas l'instrument d'un triomphe mais de la vérité.

Obtenir l'accord de Gorgias sur ces conditions, c'est peut-être aussi du même coup implicitement déjà définir la rhétorique, qui persuade sans instruire.. »

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