Devoir de Philosophie

Les lettres portugaises

Publié le 04/12/2014

Extrait du document

Introduction : Alors que la correspondance par lettres connait un essor considérable au 17 ème siècle, le roman se cherche. On comprend aisément comment dans un souci de vraisemblance la lettre a trouvé sa place dans le roman lui conférant ainsi une certaine crédibilité : avec les lettres portugaises la naissance d'un nouveau genre voit le jour. Dans cet extrait il est question d'amour passionnel, d'amour déçu, on peut donc se demander pourquoi cette lettre romanesque est devenue un « modèle » du genre ? Nous étudierons d'abord la spécificité de cet extrait de roman épistolaire puis nous nous intéresserons à la thématique amoureuse de la lettre pour ensuite analyser sa dimension argumentative. Un roman épistolaire. La lettre de Mariane destinée à son amant est le récit des sentiments qu'elle éprouve envers cet homme qui la fait souffrir, la lettre est donc le principal « moteur » du récit. Un « je »,l'épistolière fictive s'adresse à un « vous ». Mariane se penche avec sincérité sur ses sentiments amoureux. Le lecteur va donc jouer le rôle du « voyeur » qui lit une lettre qui théoriquement ne lui est pas destinée. Ce pacte de lecture est nécessaire à la spécificité du genre.. Le lecteur devient donc une sorte de témoin de la déchéance du personnage, et va suivre l'évolution de sa vie sentimentale. La religieuse va tout au long de sa lettre dresser le portrait de son amant, « vous », qui au fils de la lettre va apparaître de plus en plus distinctement. En effet, la religieuse en décrivant les défauts du gentilhomme « je connais présentement la mauvaise foi de tous vos mouvements », va donner au lecteur une image peu flatteuse de cet homme. Nous ne le connaissons pas, cependant dès la troisième ligne du texte « Oui, je connais présentement la mauvaise foi de tous vos mouvements » nous commençons déjà à nous faire une image de lui. Mariane nous décrit cet homme comme un menteur, un ingrat, le champ lexical de la tromperie le met en évidence : « mauvaise foi, trahi, m'avoir abusée, ingratitude ». Le lecteur se fait une image de plus en plus précise du gentilhomme, une image négative. Quoiqu'il en soit ce destinataire est au centre du propos de la religieuse. Mais c'est l'incompréhension qui les unit. En effet, pour lui la relation amoureuse s'apparente à une «  victoire », un combat sur l'autre comme le montre cette négation restrictive « vous n'avez regardé ma passion que comme une victoire ». Mariane en s'adressant à son amant le fait vivre à chaque phrase. Le fait que Mariane se livre à son amant spontanément et la sincérité du propos donnent un effet de vraisemblance et d'authenticité à la lettre. La passion amoureuse est donc bien au centre du propos et la lettre offre à l'épistolière un outil qui donne de la crédibilité au roman. Une lettre d'amour passionnée. En effet cet extrait a pour thème principale, l'amour. Mariane utilise la lettre pour exprimer son ressenti vis-à-vis de la relation amoureuse qu'elle entretient avec cet homme : ses plaisirs, ses désirs se retrouvent dans le champ lexical des sentiments : « douleur, malheureuse, frayeur, heureux, touchant ... ». La présence d'interjection telles que « Hélas » ou encore « Ah ! » peut aussi nous faire penser à un monologue intérieur. Marianne n'écrit pas seulement pour ce jeune homme mais aussi pour elle-même. La relation amoureuse qu'entretient la religieuse avec le gentilhomme français est source de malheur, d'où le registre pathétique, comme le montre le champ lexical de la souffrance: « me tue, trahi, regrette, violemment, mourrais, me tuerais ... ». Mariane nous offre une vision pessimiste de l'amour, « j'ai bien du dépit contre moi-même quand je fais réflexion de tout ce que je vous ai sacrifié », l'amour n'est pas source de bonheur mais de malheur, le terme « sacrifié » met bien en évidence un amour à sens unique qui ne lui convient pas. On peut repérer une forme de gradation des sentiments de Mariane, au début elle se sent « trahis », puis au milieu du texte « abusée » et la fin elle éprouve de le « fureur ». On peut penser que l'évocation de ses souvenirs prennent de plus en plus d'ampleur jusqu'à la rendre furieuse contre cet amour impossible. Le lecteur, en lisant cette lettre accède aux sentiments les plus intimes de Mariane. Il ne faut pas oublier la forte présence d'un lyrisme ou le « je » et le « moi » reviennent sans cesse Mariane est en effet éperdument amoureuse de cet homme, ce n'est plus seulement de l'amour mais de « la passion », l'hyperbole « avec tant d'amour » confirme cette évidence. Mais au-delà de l'aspect lyrique du texte Mariane essai de se persuader et de persuader le destinataire que c'est un amour destructeur. La lettre, lieu d'une argumentation. En se livrant au lecteur, en lui explicitant ses sentiments et en faisant le portrait de son amant, Mariane est dans une forme d'argumentation. Elle essaie de se persuader que cet amour est destructeur, pour essayer de sortir de son incertitude « je ne sais ni ce que je suis, ni ce que je fais, ni ce que je désire » souligne le trouble dans lequel elle se trouve. Toutefois elle touche aussi le lecteur par le biais de sa souffrance, de son mal-être que lui cause cet amour à sens unique. Le lecteur se reconnaitra peut être dans cette souffrance sentimentale. Cette lettre est totalement pessimiste du début à la fin on a l'impression que Mariane est dans un tourbillon infernale ou elle ne trouve pas d'issue, le premier mot « Hélas ! » et le dernier « malheurs » encadrent la lettre. La religieuse est face à une sorte de dilemme, quelle que soit sa décision: « je vous aime éperdument, et je vous ménage assez pour n'oser, peut-être, souhaiter que vous soyez agité des mêmes transports : je me tuerais [...]. Cependant je ne puis aussi me résoudre à désirer que vous ne pensiez point à moi ». Peu importe le cas de figure, elle en souffrira : « je me tuerais » : formule hyperbolique qui signifie qu'elle mourra d'amour. Mariane est donc une héroïne tragique, enfermée dans un couvent et dans l'impossibilité de trouver une issue favorable à ses tourments. Cependant on peut aussi penser que cette lettre est destinée au lecteur, et se lire comme une réflexion sur l'amour, on repère même une sorte d'avertissement dans l'expression « qu'on est beaucoup plus heureux, et qu'on sent quelque chose de bien plus touchant, quand on aime violemment que lorsqu'on est aimé » : cette formule qui associe des hyperboles à une gradation est écrite au présent de vérité générale, et souligne une réflexion universelle sur l'amour qui va au-delà du cas de la religieuse. On peut penser que Mariane dans la fin de sa lettre finit par prendre conscience de sa déchéance « Je ne sais pourquoi je vous écris, je vois bien que vous aurez seulement pitié de moi, et je ne veux point de votre pitié » cette lucidité soudaine apparait comme le constat d'une lutte intérieure qui ne trouve pas d'issue. Tout le long de la lettre Mariane ne sait pas trop quelle posture adopter face à cet amour impossible c'est seulement dans ces quelques lignes qu'apparait clairement ce qu'elle ne désir point. Les lettres portugaises est un roman épistolaire, modèle du genre qui donnera lieux à de nombreux autres chef d'oeuvres comme « les liaisons dangereuses » de Laclos. Cette lettre interpelle par son aspect authentique : le lyrisme d'abord personnel touche rapidement à l'universel en soulignant la difficulté d'aimer et d'être aimé vraiment. Si l'on considère que l' auteur du roman est authentique, on peut souligner l'intérêt de cette écriture « féminine » élaborée par un homme.

Liens utiles