L'Etui de nacre Ouvre les yeux, fixe ton âme Sur ce spectacle solennel.
Publié le 11/04/2014
Extrait du document
«
habitaient dans la rue Neuve-Saint-Eustache.
Leur fortune, autrefois brillante, avait beaucoup souffert de la
Révolution, et je puis dire que le malheur mûrit notre amitié.
Amélie, devenue pauvre, m'en parut plus
touchante et je l'aimai.
Je l'aimai sans espoir.
Qu'étais-je, pauvre petit paysan, pour plaire à une si gracieuse
citadine?
J'admirais ses talents.
C'est en faisant de la musique, de la peinture ou en traduisant quelque roman anglais,
qu'elle se divertissait noblement des malheurs publics et de ceux de sa famille.
Elle montrait en toute
rencontre une fierté qui se tournait volontiers à mon égard en raillerie badine.
Il était visible que, sans toucher
son coeur, j'amusais son esprit.
Son père était le plus beau grenadier de la section, homme nul au demeurant.
Quant à madame Berthemet, c'était, malgré sa pétulance, la meilleure des femmes.
Elle débordait
d'enthousiasme.
Les perroquets, les économistes et les vers de M.
Mille la faisaient tomber en pâmoison.
Elle
m'aimait, quand elle en avait le temps, car les gazettes et l'Opéra lui en prenaient beaucoup.
Elle était, après
sa fille, la personne du monde que j'avais le plus de plaisir à voir.
J'avais fait de grands progrès dans la confiance de M.
de Puybonne.
Il ne m'occupait plus à copier des lettres;
il m'employait aux négociations les plus délicates et il me faisait souvent des confidences dans lesquelles M.
Mille n'avait point de part.
D'ailleurs il avait perdu la foi, sinon le courage.
La fuite humiliante de Louis XVI l'affligea plus que je ne
saurais dire; mais après le retour de Varennes, il se montra assidu auprès du souverain prisonnier qui avait
méprisé ses conseils et suspecté ses sentiments.
Mon cher seigneur resta désespérément fidèle à la royauté
mourante.
Le 10 Août, il était au Château, et c'est par une sorte de miracle qu'il échappa au peuple, et qu'il put
regagner son hôtel.
Dans la nuit, il me fit appeler.
Je le trouvai revêtu des habits d'un de ses intendants.
\24 Adieu, me dit-il, je fuis une terre dévouée à tous les genres de désolations et de crimes.
Après-demain
j'aurai touché les côtes de l'Angleterre.
J'emporte trois cents louis; c'est tout ce que j'ai pu réaliser de ma
fortune.
Je laisse ici des biens considérables.
Je n'ai que vous à qui me fier.
Mille est un sot.
Prenez mes
intérêts.
Je sais qu'il y aura du danger à le faire; mais je vous estime assez pour vous confier des soins
périlleux.
Je lui pris les mains, les baisai et les mouillai de larmes; ce fut ma seule réponse.
Tandis qu'il s'échappait de Paris à la faveur de son déguisement et d'un faux passeport dont il s'était muni, je
brûlai dans les cheminées de l'hôtel des papiers qui eussent pu compromette des familles entières et coûter la
vie à des centaines de personnes.
Dans les jours qui suivirent, je fus assez heureux pour vendre, à très bas
prix, il est vrai, les voitures, les chevaux et la vaisselle de M.
de Puybonne, et je sauvai de la sorte de
soixante-dix à quatre-vingt mille livres qui passèrent le détroit.
Ce ne fut pas sans courir les plus grands
dangers que je conduisis ces négociations délicates.
Il y allait de ma vie.
La terreur régnait sur la capitale au
lendemain du 10 Août.
Dans les rues, la veille encore animées par la bigarrure des costumes, où retentissaient
les cris des marchands et les pas des chevaux, s'étendaient maintenant la solitude et le silence.
Toutes les
boutiques étaient fermées; les citoyens, cachés dans leurs logis, tremblaient pour leurs amis, et pour
eux-mêmes.
Les barrières étaient gardées, et nul ne pouvait sortir de la ville épouvantable.
Des patrouilles d'hommes
armés de piques parcouraient les rues.
On ne parlait que de visites domiciliaires.
J'entendais de ma chambre,
située dans les combles de l'hôtel, les pas des citoyens armés, le bruit des piques et des crosses de fusil contre
les portes voisines, les plaintes et les cris des habitants qu'on traînait aux sections.
Et quand les sans-culottes
avaient tout le jour terrorisé les âmes paisibles du quartier, ils se rendaient dans la boutique d'un épicier, mon
voisin; ils y buvaient, y dansaient la carmagnole, chantaient le Ça ira jusqu'au matin, et il m'était impossible
de fermer l'oeil de la nuit.
L'inquiétude rendait mon insomnie plus cruelle.
Je craignais que quelque valet ne
m'eût dénoncé et qu'on ne vînt pour m'arrêter.
L'Etui de nacre
MÉMOIRES D'UN VOLONTAIRE 50.
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