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L'Etui de nacre Ouvre les yeux, fixe ton âme Sur ce spectacle solennel.

Publié le 11/04/2014

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L'Etui de nacre Ouvre les yeux, fixe ton âme Sur ce spectacle solennel... Mais à peine avait-il prononcé ces mots qu'une dame coiffée d'un vaste chapeau noir à plumes se jeta dans ses bras et le pressa contre le fichu qui lui couvrait la gorge. Que cela est beau! s'écria-t-elle. Monsieur Mille, souffrez que je vous embrasse. Un capucin qui, son menton sur le manche de sa bêche, se tenait dans le cercle des curieux, battit des mains à la vue d'un si grand embrassement. Alors de jeunes patriotes qui l'entouraient le poussèrent en riant vers l'embrassante dame, qui l'embrassa au milieu des acclamations. M. Mille m'embrassa, j'embrassai M. Mille. Les beaux vers! s'écriait encore la dame au grand chapeau. Bravo, Mille! C'est du Jean-Baptiste! Oh! fit M. Mille avec modestie, la tête sur l'épaule, et la joue ronde et rouge comme une pomme. Oui, du pur Jean-Baptiste! répétait la dame; il faut chanter cela sur l'air "Du serin qui te fait envie". Vous êtes trop honnête, lui répondit M. Mille. Permettez-moi, madame Berthemet, de vous présenter mon ami Pierre Aubier, qui vient du Limousin. Il a du mérite et se fera à l'air de Paris. Ce cher enfant, répondit madame Berthemet en me pressant la main. Qu'il vienne chez nous. Amenez-nous-le, monsieur Mille. Nous faisons de la musique tous les jeudis. Aime-t-il la musique? Mais la belle question! Pour ne pas l'aimer, il faudrait être un barbare en proie à toutes les fureurs. Venez jeudi prochain, monsieur Aubier; ma fille Amélie vous chantera une romance. En parlant ainsi, madame Berthemet désigna une jeune demoiselle coiffée à la grecque et vêtue de blanc, dont les cheveux blonds et les yeux bleus me parurent les plus beaux du monde. Je rougis en la saluant. Mais elle ne parut point s'apercevoir de mon trouble. En rentrant à l'hôtel de Puybonne, je ne dissimulai pas à M. Mille l'impression que me fit la beauté d'une si aimable personne. Il faut donc, me répondit M. Mille, ajouter une strophe à mon ode. Et après quelques secondes de réflexion: Voilà qui est fait, ajouta-t-il. Si d'une belle honnête et sage Tu sais un jour te faire aimer, Le noeud sacré du mariage Est le seul que tu dois former; Mais à l'autel de la Patrie Courez tous deux pour vous unir, Que jamais votre foi trahie N'ordonne au ciel de vous punir. Hélas! M. Mille n'avait pas ce don de lire dans l'avenir, que l'antiquité attribuait aux poètes. Nos jours heureux étaient désormais comptés et nos belles illusions devaient tomber toutes. Au lendemain de la Fédération, la nation se réveilla cruellement divisée. Le roi, faible et borné, répondait mal aux espérances infinies que le peuple avait mises en lui. L'émigration criminelle des princes et des nobles appauvrissait le pays, irritait le peuple et menait à la guerre. Les clubs dominaient l'Assemblée. Les haines populaires devenaient de plus en plus menaçantes. Si la nation était en proie au trouble, la paix ne régnait pas dans mon coeur. J'avais revu Amélie. J'étais devenu l'hôte assidu de sa famille et il n'y avait pas de semaine que je n'allasse deux ou trois fois dans la maison qu'ils MÉMOIRES D'UN VOLONTAIRE 49 L'Etui de nacre habitaient dans la rue Neuve-Saint-Eustache. Leur fortune, autrefois brillante, avait beaucoup souffert de la Révolution, et je puis dire que le malheur mûrit notre amitié. Amélie, devenue pauvre, m'en parut plus touchante et je l'aimai. Je l'aimai sans espoir. Qu'étais-je, pauvre petit paysan, pour plaire à une si gracieuse citadine? J'admirais ses talents. C'est en faisant de la musique, de la peinture ou en traduisant quelque roman anglais, qu'elle se divertissait noblement des malheurs publics et de ceux de sa famille. Elle montrait en toute rencontre une fierté qui se tournait volontiers à mon égard en raillerie badine. Il était visible que, sans toucher son coeur, j'amusais son esprit. Son père était le plus beau grenadier de la section, homme nul au demeurant. Quant à madame Berthemet, c'était, malgré sa pétulance, la meilleure des femmes. Elle débordait d'enthousiasme. Les perroquets, les économistes et les vers de M. Mille la faisaient tomber en pâmoison. Elle m'aimait, quand elle en avait le temps, car les gazettes et l'Opéra lui en prenaient beaucoup. Elle était, après sa fille, la personne du monde que j'avais le plus de plaisir à voir. J'avais fait de grands progrès dans la confiance de M. de Puybonne. Il ne m'occupait plus à copier des lettres; il m'employait aux négociations les plus délicates et il me faisait souvent des confidences dans lesquelles M. Mille n'avait point de part. D'ailleurs il avait perdu la foi, sinon le courage. La fuite humiliante de Louis XVI l'affligea plus que je ne saurais dire; mais après le retour de Varennes, il se montra assidu auprès du souverain prisonnier qui avait méprisé ses conseils et suspecté ses sentiments. Mon cher seigneur resta désespérément fidèle à la royauté mourante. Le 10 Août, il était au Château, et c'est par une sorte de miracle qu'il échappa au peuple, et qu'il put regagner son hôtel. Dans la nuit, il me fit appeler. Je le trouvai revêtu des habits d'un de ses intendants. Adieu, me dit-il, je fuis une terre dévouée à tous les genres de désolations et de crimes. Après-demain j'aurai touché les côtes de l'Angleterre. J'emporte trois cents louis; c'est tout ce que j'ai pu réaliser de ma fortune. Je laisse ici des biens considérables. Je n'ai que vous à qui me fier. Mille est un sot. Prenez mes intérêts. Je sais qu'il y aura du danger à le faire; mais je vous estime assez pour vous confier des soins périlleux. Je lui pris les mains, les baisai et les mouillai de larmes; ce fut ma seule réponse. Tandis qu'il s'échappait de Paris à la faveur de son déguisement et d'un faux passeport dont il s'était muni, je brûlai dans les cheminées de l'hôtel des papiers qui eussent pu compromette des familles entières et coûter la vie à des centaines de personnes. Dans les jours qui suivirent, je fus assez heureux pour vendre, à très bas prix, il est vrai, les voitures, les chevaux et la vaisselle de M. de Puybonne, et je sauvai de la sorte de soixante-dix à quatre-vingt mille livres qui passèrent le détroit. Ce ne fut pas sans courir les plus grands dangers que je conduisis ces négociations délicates. Il y allait de ma vie. La terreur régnait sur la capitale au lendemain du 10 Août. Dans les rues, la veille encore animées par la bigarrure des costumes, où retentissaient les cris des marchands et les pas des chevaux, s'étendaient maintenant la solitude et le silence. Toutes les boutiques étaient fermées; les citoyens, cachés dans leurs logis, tremblaient pour leurs amis, et pour eux-mêmes. Les barrières étaient gardées, et nul ne pouvait sortir de la ville épouvantable. Des patrouilles d'hommes armés de piques parcouraient les rues. On ne parlait que de visites domiciliaires. J'entendais de ma chambre, située dans les combles de l'hôtel, les pas des citoyens armés, le bruit des piques et des crosses de fusil contre les portes voisines, les plaintes et les cris des habitants qu'on traînait aux sections. Et quand les sans-culottes avaient tout le jour terrorisé les âmes paisibles du quartier, ils se rendaient dans la boutique d'un épicier, mon voisin; ils y buvaient, y dansaient la carmagnole, chantaient le Ça ira jusqu'au matin, et il m'était impossible de fermer l'oeil de la nuit. L'inquiétude rendait mon insomnie plus cruelle. Je craignais que quelque valet ne m'eût dénoncé et qu'on ne vînt pour m'arrêter. MÉMOIRES D'UN VOLONTAIRE 50

« habitaient dans la rue Neuve-Saint-Eustache.

Leur fortune, autrefois brillante, avait beaucoup souffert de la Révolution, et je puis dire que le malheur mûrit notre amitié.

Amélie, devenue pauvre, m'en parut plus touchante et je l'aimai.

Je l'aimai sans espoir.

Qu'étais-je, pauvre petit paysan, pour plaire à une si gracieuse citadine? J'admirais ses talents.

C'est en faisant de la musique, de la peinture ou en traduisant quelque roman anglais, qu'elle se divertissait noblement des malheurs publics et de ceux de sa famille.

Elle montrait en toute rencontre une fierté qui se tournait volontiers à mon égard en raillerie badine.

Il était visible que, sans toucher son coeur, j'amusais son esprit.

Son père était le plus beau grenadier de la section, homme nul au demeurant. Quant à madame Berthemet, c'était, malgré sa pétulance, la meilleure des femmes.

Elle débordait d'enthousiasme.

Les perroquets, les économistes et les vers de M.

Mille la faisaient tomber en pâmoison.

Elle m'aimait, quand elle en avait le temps, car les gazettes et l'Opéra lui en prenaient beaucoup.

Elle était, après sa fille, la personne du monde que j'avais le plus de plaisir à voir. J'avais fait de grands progrès dans la confiance de M.

de Puybonne.

Il ne m'occupait plus à copier des lettres; il m'employait aux négociations les plus délicates et il me faisait souvent des confidences dans lesquelles M. Mille n'avait point de part. D'ailleurs il avait perdu la foi, sinon le courage.

La fuite humiliante de Louis XVI l'affligea plus que je ne saurais dire; mais après le retour de Varennes, il se montra assidu auprès du souverain prisonnier qui avait méprisé ses conseils et suspecté ses sentiments.

Mon cher seigneur resta désespérément fidèle à la royauté mourante.

Le 10 Août, il était au Château, et c'est par une sorte de miracle qu'il échappa au peuple, et qu'il put regagner son hôtel.

Dans la nuit, il me fit appeler.

Je le trouvai revêtu des habits d'un de ses intendants. \24 Adieu, me dit-il, je fuis une terre dévouée à tous les genres de désolations et de crimes.

Après-demain j'aurai touché les côtes de l'Angleterre.

J'emporte trois cents louis; c'est tout ce que j'ai pu réaliser de ma fortune.

Je laisse ici des biens considérables.

Je n'ai que vous à qui me fier.

Mille est un sot.

Prenez mes intérêts.

Je sais qu'il y aura du danger à le faire; mais je vous estime assez pour vous confier des soins périlleux. Je lui pris les mains, les baisai et les mouillai de larmes; ce fut ma seule réponse. Tandis qu'il s'échappait de Paris à la faveur de son déguisement et d'un faux passeport dont il s'était muni, je brûlai dans les cheminées de l'hôtel des papiers qui eussent pu compromette des familles entières et coûter la vie à des centaines de personnes.

Dans les jours qui suivirent, je fus assez heureux pour vendre, à très bas prix, il est vrai, les voitures, les chevaux et la vaisselle de M.

de Puybonne, et je sauvai de la sorte de soixante-dix à quatre-vingt mille livres qui passèrent le détroit.

Ce ne fut pas sans courir les plus grands dangers que je conduisis ces négociations délicates.

Il y allait de ma vie.

La terreur régnait sur la capitale au lendemain du 10 Août.

Dans les rues, la veille encore animées par la bigarrure des costumes, où retentissaient les cris des marchands et les pas des chevaux, s'étendaient maintenant la solitude et le silence.

Toutes les boutiques étaient fermées; les citoyens, cachés dans leurs logis, tremblaient pour leurs amis, et pour eux-mêmes. Les barrières étaient gardées, et nul ne pouvait sortir de la ville épouvantable.

Des patrouilles d'hommes armés de piques parcouraient les rues.

On ne parlait que de visites domiciliaires.

J'entendais de ma chambre, située dans les combles de l'hôtel, les pas des citoyens armés, le bruit des piques et des crosses de fusil contre les portes voisines, les plaintes et les cris des habitants qu'on traînait aux sections.

Et quand les sans-culottes avaient tout le jour terrorisé les âmes paisibles du quartier, ils se rendaient dans la boutique d'un épicier, mon voisin; ils y buvaient, y dansaient la carmagnole, chantaient le Ça ira jusqu'au matin, et il m'était impossible de fermer l'oeil de la nuit.

L'inquiétude rendait mon insomnie plus cruelle.

Je craignais que quelque valet ne m'eût dénoncé et qu'on ne vînt pour m'arrêter.

L'Etui de nacre MÉMOIRES D'UN VOLONTAIRE 50. »

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