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Nadja d'André Breton: « Tout ce que je sais est que cette substitution de personnes s'arrête à toi, parce que rien ne t'est substituable, (…) »

Publié le 18/09/2010

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breton

 

L’Auteur-narrateur (ici une forme ou une autre d’André Breton) annonce qu’il a une seule et entière connaissance certaine : il a terminé un parcours englobant de nombreuses étapes humaines et est enfin arrivé à une conclusion, un but qu’il ne saurait remplacer par rien d’autre de manière satisfaisante. A priori on ne sait pas exactement de qui il s’agit, si ce n’est que l’objet trouvé (voire retrouvé) est « tu «, que c’est LA personne centrale et obnubilante. Comment donc un homme qui considérait que les gens, comme on les appelle vulgairement, ne sont que des exemples, des situations particulières définies par les contraintes spatio-temporelles du monde matériel, peut-il accorder tant d’importance à une personne qui prendrait dès lors le rôle de dénominateur commun ou de totalité, enfin d’idéal ? N’est-ce pas une contradiction aussi d’affirmer que s’ils s’arrête, chemin il y avait, au cours duquel « je « cherche « tu «, alors qu’en théorie de l’auteur est convaincu de, et prêche, sa propre errance et la fortuité des ces rencontres, puis de leurs substitutions? Et finalement, vu les rappports biographiques - du moins en partant du principe que ce que l’auteur fait passer pour la réalité l’est - jusqu’à quel point sommes nous encore dans la réalisation de la théorie du surréalisme, alors qu’il s’agit ici de passion ?

 

En abordant Nadja, il faut prendre conscience de l’ambiguïté constante des énoncés de Breton. Ceci explique peut-être pourquoi il n’hésite jamais à se contredire, car après tout, le surréalisme se trouve dans l’antithèse. Dans cette mesure là, il réussit à merveille à rester fidèle à son précepte. Seulement, ce procédé remet également en question la crédibilité de l’auteur en tant que fondateur d’un mouvement, d’autant plus qu’on sait que Breton exigait une adhésion complête à ses thèses. Il paraît donc un peu trop facile de dire comme il le fait que « Tu n’es pas une énigme pour moi. «[1] de son idéal dont il ne rapporte quasiment aucun geste donnant une ouverture sur le monde caché qu’il cherche, alors que l’incarnation précédante du surréalisme, c’est à dire Nadja,  lui donne preogressivement « (…) de plus en plus de peine à suivre son soliloque, que de longs silences rendent intraduisible. «. En effet, à la fin du texte, Breton pose le très éloquent et lapidaire « La beauté sera CONVULSIVE ou ne sera pas. « qui semblerait justifier la supériorité ponctuelle et définitive de « tu « sur Nadja. Seulement, les deux femmes (car on sait que « tu « est une femme, qu’elle se nomme Suzanne Musard) ne sont pas jugées à la même enseigne : Nadja a un don de clairvoyance et/ou de folie, tandis que la merveille (autre désignation de « tu «) est simplement parfaite, ou plutôt complête. Elle se contente d’être comme elle est. Et ce qui lui vaut tant d’estime de la part de Breton, c’est en grande partie sa beauté dont il dit « qu’elle n’a jamais été envisagée ici qu’à des fins passionnelles. «. Quelle est donc la cohérence entre une ouverture mentale vers la surréalité et la beauté d’une femme qui n’aura cette valeur particulière que pour lui ? Breton ne l’explique pas. Il n’a pas la gentillesse non plus de clarifier si, en fin de compte, il vaut la peine de faire une distinction entre Surréalisme et « la vie sentimentale d’André Breton «.

Malgré cela, il y a encore quelques points qui méritent peut-être un peu d’attention. Il y a dans l’énoncé traité une idée de quête, de recherche. A priori on peut se demander s’il n’y a pas là un paradoxe de plus dans la vision bretonnienne. Au début du récit, il souligne à plusieurs reprises qu’il a fait des rencontres très importantes par hasard. Celui-ci est cependant perçu comme étant parfois une manifestation d’un fil rouge inconnu du lecteur et de l’auteur, sauf justement en ces instances. Jusque là, pas de problème, puisqu’il n’y a pas de direction consciente prise par le promeneur qui erre au gré de son subconscient. Seulement, dans le mot « substitution « il y a deux idées qui indiquent une volonté de la part de celui-ci : il y a, étymologiquement parlant, l’idée d’infériorité (« sub « voulant dire « sous «) non dans l’usage ou le rapport, mais dans la nature même du succédané. C’est à dire qu’on aurait préféré garder l’original. La suite logique et pratique de cette constatation est justement de passer à autre chose et c’est justement là que la volonté du passant s’introduit. Il ne se contente pas de rester là où le hasard le dépose, lorsqu’il constate que ce qu’il en a retiré ne lui convient pas. À partir de ce moment, il y a discrimination parmi les cadeaux du hasard. Pour illustrer ceci de manière plus claire en rapport avec le texte : « Toi qui, pour tous ceux qui m’écoutent, ne dois pas être une entité mais une femme, toi qui n’es rien tant qu’une femme, malgré tout ce qui m’en a imposé et m’en impose en toi pour que tu sois la Chimère. « Effectivement, Breton a dû rencontrer cette femme de manière fortuite, et quelle chance que ce soit probablement l’ idéal inaccessible ! Mais au fond, pourquoi la Chimère ne pourrait-« elle «  pas être un homme ? Et Breton aurait-il su la chercher (ou plutôt permis au hasard de le guider vers) et la trouver dans un homme ? Probablement pas. Raison de plus pour douter du fait que l’auteur voit réellement Suzanne Musard comme une simple, mais magnifique, entité surréaliste et qu’il en eût fait de même s’il avait été question d’un mâle.

En tenant compte de la place de la sexualité dans la notion qu’il y a ou qu’il n’y a pas des êtres humains (des femmes quoi…) correspondant à l’idéal de Breton, que penser en sachant que Nadja est déchue de son statut après avoir couché avec lui? Sa volonté de chercher à occulter cette « (…)contigence d’heure et de lieu(…) « n’est elle pas symptomatique d’une substitution volontaire?

 

En conclusion, on pourrait penser que s’il lisait ceci, non seulement M. Breton serait peu enthousiaste, mais qu’il rétorqueait que c’est aussi le hasard qui est responsable du fait que son idéal s’incarne toujours dans des êtres avec qui il a tendance a avoir des rapports guidés par l’aspect charnel des choses et que finalement, l’amour est aussi une fenêtre vers le surréalisme. Pourquoi pas. Il semblerait qu’il ne faut de toutes manières pas chercher de la cohérence dans une doctrine faite de paradoxes, si ce n’est dans le fait que sa nature même de précepte s’oppose à seon contenu contradictoire. Après cela, tout n’est qu’acte de foi. Ceci permet ensuite tout à fait à Breton de s’appuyer sur des exemples autobiografictifs, pour illustrer de manière fluctuante une théorie assez vague en dehors des grandes lignes et de rester crédible auprès de ses adeptes grâce à quelque soubresaut antithétique. Le fait que l’utopie surréaliste qu’est Suzanne Musard le soit grâce à tout ce qui entoure son physique et ses actions, utopie d’un mouvement qui cherche ce qui est au-delà du monde matériel et sensitif ne pose pas problème. C’est simple : la question et la réponse s’annulent. Nous sommes en plein surréalisme.

 

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[1] Je ne cite pas les pages, parce qu’ayant oublié mon exemplaire, j’ai dû en emprunter un autre ayant une numérotation différente. Cette phrase se situe dans la troisième partie.

 

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