Devoir de Philosophie

Neuf ans après Tiananmen, l'Amérique est de retour en Chine

Publié le 17/01/2022

Extrait du document

25 juin 1998 - Neuf jours en Chine, neuf ans après la sanglante répression de la place Tiananmen. Neuf ans de " punition " pour expier une politique bafouant les droits de l'homme, neuf jours de voyage pour signaler que, aux yeux de l'administration américaine, la Chine est de nouveau fréquentable. Les apparences du séjour de Bill Clinton dans l'empire du Milieu sont cependant trompeuses : si, pendant près d'une décennie, l'Amérique a imposé des sanctions à la Chine, cette fermeté n'a pas empêché le développement d'une coopération commerciale aussi fructueuse que contestée. Mais le réchauffement actuel des relations met davantage en exergue les sujets de désaccord que les points de convergence. Il n'empêche : Bill Clinton se rend en Chine. S'il ne devait y avoir aucun résultat concret de cette visite, les autorités chinoises n'en seraient pas moins satisfaites. Lorsque les télévisions du monde entier diffuseront les images du président Jiang Zemin accueillant son hôte sur ce que des dissidents qualifient de " le tapis rouge de sang " , place Tiananmen, lorsque les honneurs seront rendus au chef de la Maison Blanche par un détachement de l'armée chinoise, le souvenir des chars avançant vers les étudiants, le 4 juin 1989, commencera de s'effacer des rapports officiels, confortant au passage l'autorité du président Jiang. Pour Pékin, comme pour les républicains ulcérés par la realpolitik de la Maison Blanche, ce sera le moment fort du voyage, un brevet d'honorabilité diplomatique. Pouvait-on éviter un symbole aussi fort ? Le fait de suivre le protocole chinois " n'affaiblit d'aucune manière ma capacité à défendre les principes américains " , s'est défendu Bill Clinton. L'Amérique, a expliqué Sandy Berger, conseiller présidentiel pour la sécurité nationale, ne peut " tourner le dos à un quart de la population mondiale " . La question, soulignent les responsables américains, est inchangée : faut-il " engager " la Chine ou l'isoler ? La réponse allant de soi, la politique dite " d'engagement constructif " poursuivie par l'administration démocrate est justifiée. Aux Etats-Unis, les responsables républicains, comme bien des sinologues, estiment qu'il y avait une " troisième voie " , plus critique, ne passant pas par un voyage à Pékin ressenti comme une " récompense " pour des prémisses d'une évolution plus démocratique du régime chinois et, plus récemment, pour le rôle " stabilisateur " qu'aurait joué Pékin à l'occasion de la crise économique asiatique et de la tension nucléaire indo-pakistanaise. Il n'y avait rien d'urgent, soulignent-ils, à " régulariser " les rapports bilatéraux, sous prétexte de la visite du président Jiang aux Etats-Unis, en novembre 1997. Cette visite n'a guère contribué à désamorcer les vitupérations à l'encontre de la Chine. Celles-ci portent sur des accusations de commerce d'organes humains prélevés sur des prisonniers politiques, des avortements forcés (dénoncés par la droite religieuse), une politique de sinisation du Tibet, la coopération militaire et nucléaire avec l'Iran et le Pakistan, les protestations de syndicats contre les contrefaçons et le piratage industriel chinois. Risques politiques En outre, la perspective des élections parlementaires de novembre incite les républicains à exploiter le double scandale du financement du parti démocrate par des donations d'origine chinoise, et du transfert de données et de technologies " sensibles " dans le domaine des satellites. L'accusation est transparente : sous prétexte de diplomatie commerciale, la Maison Blanche a-t-elle négligé la sécurité nationale des Etats-Unis ? Ce contexte accroît les risques politiques du voyage de M. Clinton. Sachant que son séjour sera évalué à l'aune de l'insistance avec laquelle il réclamera l'extension des libertés démocratiques, Bill Clinton va s'efforcer d'enfoncer le clou du respect des droits de l'homme. Les dirigeants chinois s'y attendent, dans la sérénité. A leur avis, le président américain n'a pas l'intention de se livrer à des provocations. Le refus de visa chinois opposé à des journalistes de Radio Free Asia n'influera pas sur les grands dossiers bilatéraux. Ceux-ci ne progressent guère. La question de Taiwan reste prépondérante : Pékin souhaiterait entendre Bill Clinton réaffirmer que l'Amérique ne soutiendra jamais l'indépendance de l'île nationaliste, tout en obtenant une cessation de l'aide militaire américaine à Taipeh. Bref, que les Etats-Unis manifestent par des gestes concrets leur reconnaissance " d'une seule Chine " . Les Américains, de leur côté, exigent un meilleur accès au marché chinois toujours très protectionniste, afin notamment de réduire un déficit commercial qui menace de grimper à 60 milliards de dollars à la fin de l'année. Tant que des progrès significatifs n'auront pas été faits dans ce domaine, Washington continuera de bloquer l'entrée de la Chine au sein de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Or, si ce dossier est dans l'impasse, estime Charlène Barshefsky, représentante américaine pour le commerce, c'est parce que les Chinois sont préoccupés par les conséquences politiques de la libéralisation économique que suppose l'accession à l'OMC. " Déciblage " mutuel Bill Clinton expliquera sans doute à ses hôtes que, personnellement, il est prêt à accorder à Pékin la clause de la nation la plus favorisée (MFN) de façon permanente, mais que seuls une sensible amélioration de la situation des droits de l'homme et des progrès en matière de non-prolifération nucléaire sont susceptibles de faire fléchir le Congrès. Sur tous ces dossiers, il est douteux que le voyage de Bill Clinton permette des avancées significatives. Même si certains économistes estiment que la dévaluation du yuan, il y a trois ans, a semé les germes de la crise asiatique, et que les experts militaires soulignent que l'accession au statut de puissance nucléaire du Pakistan n'aurait pas été possible sans transferts de technologie et d'expertise chinoises, Bill Clinton adressera un satisfecit aux autorités de Pékin pour le rôle " constructif " qu'elles ont joué depuis quelques mois. Ces dernières semaines, la diplomatie américaine s'est beaucoup investie dans la conclusion d'un accord sur le " déciblage " mutuel des missiles chinois et américains. Aux yeux des républicains, le fait de savoir que 13 missiles nucléaires chinois sont pointés sur des villes américaines ôte toute crédibilité à l'idée de " partenariat stratégique " . En réalité, la question du " déciblage " est essentiellement symbolique, puisqu'il suffit de quelques secondes aux ordinateurs pour " recibler " des missiles. Il n'empêche : la portée d'un tel " geste " ne serait pas négligeable dans le cadre d'un voyage où les symboles ont vocation à jouer un rôle " historique " . LAURENT ZECCHINI Le Monde du 26 juin 1998

Liens utiles