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On parle beaucoup actuellement de littérature « engagée », c'est-à-dire de cette littérature qui prend parti, soit pour les défendre, soit pour les attaquer, pour ou contre certaines tendances politiques, sociales ou religieuses de l'époque. Certains pensent que la littérature ne peut que gagner à rester complètement étrangère à ces divers courants. Que vous en semble? Une telle attitude est-elle d'ailleurs possible pour ceux qui écrivent? Ou bien, comme l'assurait A. France, «une litt

Publié le 31/03/2009

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  • Introduction. — Le temps du dilettantisme semble bien passé. L'homme moderne ne peut guère se contenter d'assister en spectateur indifférent ou amusé aux luttes qui se livrent autour de lui. On le somme de prendre parti et d'entrer dans la bataille. Le littérateur ne fait pas exception. Il se voit refuser le droit de se consacrer au service exclusif de l'art et du beau. Son art doit être utile à la cause pour laquelle on veut l'enrôler.

 Que penser de cette conception de l'œuvre littéraire ? La littérature peut-elle s'engager à fond pour la réalisation d'un certain, ordre politique, social ou religieux ?  

  • I. La notion d'engagement. — Avant de répondre à cette question, il convient de préciser ce qu'il faut entendre par « engagement « et par « littérature engagée «.

 Les mots « engagée « et « engagement « dérivent de « gage «. Le gage, nous dit Littré, est le « dépôt qu'on fait de quelque objet entre les mains d'autrui, pour sûreté d'une dette, d'un emprunt «. Par extension, ce mot désigne aussi « tout ce qui est assimilé à un gage comme garantie «; « donner des gages « ne consiste pas nécessairement à déposer entre les mains d'un autre quelque objet de valeur, mais à poser des actes qui « engagent « l'avenir, c'est-à-dire rendent difficile sinon impossible une reprise de sa liberté.

« passions partisanes, analyse le cœur humain; du poète, qui, perdu dans les nuages, découvre un coin de ciel auxpauvres mortels enlisés dans la boue? Ce n'est pas leur action politique, mais leur œuvre poétique, qui vaut àLamartine et à Victor Hugo d'être connus de tous les Français.Qu'on ne dise pas que l'écrivain est solidaire de ses lecteurs, dont il doit, s'il veut être lu, épouser les soucis,partager les passions.

Il est des auteurs, tel Stendhal, qui ont l'âme assez forte pour poursuivre leur œuvre malgréle silence fait autour d'eux, et la postérité reconnaît leur mérite, tandis qu'elle voue à l'oubli certains autres queleurs contemporains, avaient glorifiés.D'ailleurs, il est faux de prétendre que les hommes sont tous passionnés pour les querelles qui opposent les partis.La grande masse se compose d'indifférents, d'indécis et des sages qui, tout en ayant des sympathies personnelles,se défendent de proclamer comme l'évidence une opinion mal assurée.

L'écrivain non engagé trouvera là, s'il a dutalent, une bonne clientèle.Ces écrivains et ces lecteurs sans parti ne constituent pas, ainsi que la propagande le dit quelquefois, un poids mortdans le pays; il faut voir en eux un précieux élément de stabilité et de paix.

Qu'arriverait-il si tous les hommes delettres acceptaient le principe de la littérature engagée et si tous les Français, à leur exemple, se donnaient corpset âme à un mouvement d'action politique ou syndicaliste, religieuse ou antireligieuse ? La nation serait divisée endeux ou plusieurs fractions antagonistes, dont le principal souci serait, non le bien général, mais la perte del'adversaire.

Ce serait le règne de la haine et du mensonge.

Il ne resterait plus aucun souci de la justice, de la véritéet à plus forte raison de la littérature.

En s'engageant, le littérateur renonce à la littérature.Sans doute, on ne saurait proscrire l'engagement de l'écrivain; mais son engagement doit être un acte humain,c'est-à-dire réfléchi et raisonné; un acte moral, c'est-à-dire orienté vers le bien.

L'illusion étant facile et l'hommevoyant facilement le bien là où il trouve son intérêt, c'est plutôt le dégagement qu'il faudrait lui prêcher, non passans doute comme le stade définitif, mais comme la condition indispensable d'un engagement rationnel. III.

L'engagement de la littérature. — Si l'homme de lettres peut rester en dehors des partis et s'abstenir de tout engagement, on peut se demander comment la littérature pourrait s'engager et si l'expression « engagement de lalittérature » a un sens.Appartiennent à la littérature les œuvres littérairement belles.

Ces œuvres peuvent défendre des opinions opposées,faire œuvre apologétique comme le Génie du Christianisme ou saper les croyances religieuses comme le De Naturarerum, de Lucrèce, elles sont belles et leur lecture est utile pour la formation du goût.|Cette beauté, l'homme engagé lui-même peut la reconnaître et, tout en rejetant la doctrine exposée, admirer laforme que l'auteur a su donner à ça pensée et même l'habileté de son argumentation.

Mais un engagement tropabsolu risque de transformer l'homme de lettres en partisan qui fait pratiquement fi de la beauté littéraire et n'a envue que les intérêts de son parti : ne valent alors pour lui que les œuvres dans lesquelles il retrouve l'idéologie àlaquelle il adhère; pis encore, c'est d'après le parti auquel ils appartiennent que sont jugés les écrivains.Ainsi un engagement sans réserve du littérateur peut amener à ce qui ressemble à un engagement de la littérature,mais cet engagement implique la négation et la mort de celle-ci.

On commence par refuser de la reconnaître commefin et à la considérer comme un simple moyen; puis on vient à considérer aussi comme moyens tous les jugementsque l'on peut porter sur elle.

L'engagement de la littérature entraîne l'engagement de la vérité et la subordination detoutes les valeurs absolues, à une réussite temporelle.Conclusions.

— Ce n'est donc pas seulement au nom de la littérature que nous rejetons le programme d'une «littérature engagée », mais au nom de la morale et de la loyauté intellectuelle.

La mystique de l'engagement risquede faire passer le souci de la victoire et du succès avant celui de la vérité.

Après l'avoir prêchée lui-même, unauteur contemporain souligne fortement ses dangers.« Il me semble qu'uni grave et solennel avertissement s'impose à tous ceux qui, au nom des préjugés de classe oude race, ont répudié l'universel, ou même beaucoup plus profondément, à ceux qui prétendent substituer, comme cefut peut-être mon cas naguère, des catégories tragiques, comme celles d'engagement, de pari, de risque, auxcatégories traditionnelles qui s'organisent autour de là notion de vérité.

Certes, la valeur de ces notionsexistentielles est irrécusable, mais à condition qu'elles soient maintenues à la place qui leur doit être légitimementassignée, c'est-à-dire sous la dépendance de structures qui ne sauraient être mises elles-mêmes en question.

Ilrestera toujours à craindre que ce qui, chez quelques individualités exceptionnelles, se présente comme unephilosophie tragique, à laquelle on ne peut dénier la grandeur, se dégrade au niveau de la masse en un pragmatismeà l'usage des trafiquants et des aventuriers.

» (G.

Marcel, Engagement et Vérité, dans Le Mal est parmi nous, p.

51,Coll.

Présences, 1948.)Sans doute, c'est bien de s'engager pour la propagation d'une vérité certaine; il est beau de s'engager pourdéfendre un droit indiscutable, méconnu, lorsque cet engagement est complètement désintéressé.

Mais il estégalement beau, quand, par suite de sa naissance, de sa situation sociale ou du hasard, on se trouve engagé auservice de certaines idées qu'on n'a jamais soumises à' un sérieux examen critique, de savoir s'en dégager pourprocéder à cet examen.Cet examen, il est vrai, n'aboutira qu'assez rarement à une conclusion d'une certitude évidente : souvent nousn'avons que des probabilités pour fonder notre engagement.

Raison de plus pour ne nous engager qu'avec réserve,en restant toujours disponibles pour le complément de vérité qui s'offrira sans doute un jour.. »

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