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On trouva leurs corps roulés par le flot sur la plage avec les débris de leurs barques, et l'on vit pendant neuf jours, sur la route montueuse qui mène à l'église, des cercueils portés à bras et que suivaient des veuves pleurant, sous leur grande cape noire, comme des femmes de la Bible.

Publié le 04/11/2013

Extrait du document

On trouva leurs corps roulés par le flot sur la plage avec les débris de leurs barques, et l'on vit pendant neuf jours, sur la route montueuse qui mène à l'église, des cercueils portés à bras et que suivaient des veuves pleurant, sous leur grande cape noire, comme des femmes de la Bible. Le patron Jean Lenoël et son fils Désiré furent ainsi déposés dans la grande nef, sous la voûte où ils avaient suspendu naguère, en offrande à Notre-Dame, un navire avec tous ses agrès. C'étaient des hommes justes et qui craignaient Dieu. Et M. Guillaume Truphème, curé de Saint-Valéry, ayant donné l'absoute, dit d'une voix mouillée de larmes: "Jamais ne furent portés en terre sainte, pour y attendre le jugement de Dieu, plus braves gens et meilleurs LE CHRIST DE L'OCÉAN 52 Crainquebille, Putois, Riquet et plusieurs autres récits profitables chrétiens que Jean Lenoël et son fils Désiré." Et tandis que les barques avec leurs patrons périssaient sur la côte, de grands navires sombraient au large, et il n'y avait de jour où l'Océan n'apportât quelque épave. Or, un matin, des enfants qui conduisaient une barque virent une figure couchée sur la mer. C'était celle de Jésus-Christ, en grandeur d'homme, sculptée dans du bois dur et peinte au naturel et qui semblait un ouvrage ancien. Le Bon Dieu flottait sur l'eau, les bras étendus. Les enfants le tirèrent à bord et le rapportèrent à Saint-Valéry. Il avait le front ceint de la couronne d'épines ; ses pieds et ses mains étaient percés. Mais les clous manquaient ainsi que la croix. Les bras encore ouverts pour s'offrir et bénir, il apparaissait tel que l'avaient vu Joseph d'Arimathie et les saintes femmes au moment de l'ensevelir. Les enfants le remirent à M. le curé Truphème qui leur dit: "Cette image du Sauveur est d'un travail antique, et celui qui la fit est mort sans doute depuis longtemps. Bien que les marchands d'Amiens et de Paris vendent aujourd'hui cent francs et même davantage des statues admirables, il faut reconnaître que les ouvriers d'autrefois avaient aussi du mérite. Mais je me réjouis surtout à la pensée que si Jésus-Christ est venu ainsi les bras ouverts, à Saint-Valéry, c'est pour bénir la paroisse si cruellement éprouvée et annoncer qu'il a pitié des pauvres gens qui vont à la pêche au péril de leur vie. Il est le Dieu qui marchait sur les eaux et qui bénissait les filets de Céphas." Et M. le curé Truphème, ayant fait déposer le Christ dans l'église, sur la nappe du maître-autel, s'en alla commander au charpentier Lemerre une belle croix en coeur de chêne. Quand elle fut faite, on y attacha le Bon Dieu avec des clous tout neufs et on le dressa dans la nef, au-dessus du banc d'oeuvre. C'est alors qu'on vit que ses yeux étaient pleins de miséricorde et comme humides d'une pitié céleste. Un des marguilliers, qui assistait à la pose du crucifix, crut voir des larmes couler sur la face divine. Le lendemain matin, quand M. le curé entra dans l'église avec l'enfant de choeur pour dire sa messe, il fut bien surpris de trouver la croix vide au-dessus du banc d'oeuvre et le Christ couché sur l'autel. Sitôt qu'il eut célébré le saint sacrifice, il fit appeler le charpentier et lui demanda pourquoi il avait détaché le Christ de sa croix. Mais le charpentier répondit qu'il n'y avait point touché, et, après avoir interrogé le bedeau et les fabriciens, M. Truphème s'assura que personne n'était entré dans l'église depuis le moment où le Bon Dieu avait été placé sur le banc d'oeuvre. Il eut alors le sentiment que ces choses étaient merveilleuses, et il les médita avec prudence. Le dimanche qui suivit, il en parla au prône à ses paroissiens, et il les invita à contribuer par leurs dons à l'érection d'une nouvelle croix plus belle que la première et plus digne de porter Celui qui racheta le monde. Les pauvres pêcheurs de Saint-Valéry donnèrent autant d'argent qu'ils purent, et les veuves apportèrent leur anneau. Si bien que M. Truphème put aller tout de suite à Abbeville commander une croix de bois noir, très luisant, que surmontait un écriteau avec l'inscription INRI en lettres d'or. Deux mois plus tard, on la planta à la place de la première et l'on y attacha le Christ entre la lance et l'éponge. Mais Jésus la quitta comme l'autre, et il alla, dès la nuit, s'étendre sur l'autel. M. le curé, en l'y retrouvant le matin, tomba à genoux et pria longtemps. Le bruit de ce miracle se répandit tout alentour, et les dames d'Amiens firent des quêtes pour le Christ de Saint-Valéry. Et M. Truphème reçut de Paris de l'argent et des bijoux, et la femme du ministre de la Marine, Mme Hyde de Neuville, lui envoya LE CHRIST DE L'OCÉAN 53 Crainquebille, Putois, Riquet et plusieurs autres récits profitables un coeur de diamants. En disposant de toutes ces richesses, un orfèvre de la rue de Saint-Sulpice composa, en deux ans, une croix d'or et de pierreries qui fut inaugurée en grande pompe dans l'église de Saint-Valéry, le deuxième dimanche après Pâques de l'année 18... Mais Celui qui n'avait pas refusé la croix douloureuse, s'échappa de cette croix si riche, et alla s'étendre de nouveau sur le lin blanc de l'autel. De peur de l'offenser, on l'y laissa, cette fois, et il y reposait depuis plus de deux ans quand Pierre, le fils à Pierre Caillou, vint dire à M. le curé Truphème qu'il avait trouvé sur la grève la vraie croix de Notre-Seigneur. Pierre était un innocent, et comme il n'avait pas assez de raison pour gagner sa vie, on lui donnait du pain, par charité ; il était aimé parce qu'il ne faisait jamais de mal. Mais il tenait des propos sans suite, que personne n'écoutait. Pourtant M. Truphème, qui ne cessait de méditer le mystère du Christ de l'Océan, fut frappé de ce que venait de dire le pauvre insensé. Il se rendit avec le bedeau et deux fabriciens à l'endroit où l'enfant disait avoir vu une croix, et il y trouva eux planches garnies de clous, que la mer avait longtemps roulées et qui vraiment formaient une croix. 'étaient les épaves d'un ancien naufrage. On distinguait encore sur une de ces planches deux lettres peintes en noir, un . et un L., et l'on ne pouvait douter que ce ne fût un débris de la barque de Jean Lenoël, qui, cinq ans auparavant, avait péri en mer avec son fils Désiré. A cette vue, le bedeau et les fabriciens se mirent à rire de l'innocent. qui prenait les ais rompus d'un bateau pour la croix de Jésus-Christ. Mais M. le curé Truphème arrêta leurs moqueries. Il avait beaucoup médité et beaucoup prié depuis la enue parmi les pêcheurs du Christ de l'Océan, et le mystère de la charité infinie commençait à lui apparaître. Il s'agenouilla sur le sable, récita l'oraison pour les fidèles défunts, puis il ordonna aux bedeaux et aux fabriciens de porter ette épave sur leurs épaules et de la déposer dans l'église. uand ce fut fait, il souleva le Christ de dessus l'autel, le posa sur le planches de la barque et l'y cloua lui-même, avec les lous que la mer avait rongés. ar son ordre, cette croix prit, dès le lendemain, au-dessus du banc d'oeuvre, la place de la croix d'or et de pierreries. Le hrist de l'Océan ne s'en est jamais détaché. Il a voulu rester sur ce bois où des hommes sont morts en invoquant son om et le nom de sa mère. Et là, entrouvrant sa bouche auguste et douloureuse, il semble dire: "Ma croix est faite de outes les souffrances des hommes, car je suis véritablement le Dieu des pauvres et des malheureux." JEAN MARTEAU I UN REVE Comme on parlait du sommeil et des songes, Jean Marteau dit qu'un rêve avait laissé une impression ineffaçable dans son cerveau. "Était-il prophétique? demanda M. Goubin. Ce rêve, répondit Jean Marteau, n'a rien de remarquable en soi, pas même son incohérence. Mais j'y ai perçu des images avec une acuité douloureuse qui n'est comparable à rien. Rien au monde, rien ne me fut jamais aussi présent, aussi sensible que les visions de ce rêve. C'est par là qu'il est intéressant. Il m'a fait comprendre les illusions des mystiques. Si 'esprit scientifique m'avait fait défaut, je l'aurais certainement pris JEAN MARTEAU 4 rainquebille, Putois, Riquet et plusieurs autres récits profitables pour une apocalypse et une révélation, et j'y aurais cherché les principes de ma conduite et les règles de ma vie. Je dois vous dire que je fis ce rêve dans des circonstances articulières. C'était au printemps de 1895 ; j'avais vingt ans. Nouveau venu à Paris, je traversais des temps difficiles. ette nuit-là je m'étais étendu dans un taillis des bois de Versailles, sans avoir mangé depuis vingt-quatre heures. Je ne ouffrais pas. J'étais dans un état de douceur et d'allégeance, traversé par moments d'une impression d'inquiétude. Et il e semblait que je ne dormais ni ne veillais. Une petite fille, une toute petite fille, en capeline bleue et en tablier blanc, archait sur des béquilles dans une plaine, au crépuscule. Ses béquilles, à chaque pas qu'elle faisait, s'allongeaient et la oulevaient comme des échasses. Elles devinrent bientôt plus hautes que les peupliers qui bordaient la rivière. Une femme, qui vit ma surprise, me dit: "Vous ne savez donc pas que les béquilles poussent au printemps? Mais il y a des oments où leur croissance est d'une rapidité effrayante." Un homme, dont je ne pus voir le visage, ajouta: "C'est l'heure climatérique!" Alors, avec un bruit faible et mystérieux qui m'effraya, les herbes se mirent à monter autour de moi. Je me levai et gagnai une plaine couverte de plantes pâles, cotonneuses et mortes. J'y rencontrai Vernaux, le seul ami que j'eusse à Paris, où il vivait aussi misérablement que moi. Nous marchâmes longtemps côte à côte, en silence. Dans le ciel, les étoiles énormes et sans rayonnements étaient comme des disques d'or pâle. "J'en savais la cause et je l'expliquai à Vernaux. "C'est un phénomène d'optique, lui dis-je. Notre oeil n'est pas au point." "Et je poursuivis, avec un soin minutieux et des peines infinies, une démonstration qui reposait principalement sur l'entière identité de l'oeil humain et de la lunette astronomique. "Tandis que je le raisonnais ainsi, Vernaux trouva à terre, dans les herbes livides, un énorme chapeau noir, en forme de melon, et à côtes, avec un galon d'or et une boucle de diamants. Il me dit, en le mettant sur sa tête: "C'est le chapeau du lord-maire. Évidemment", lui répondis-je. "Et je repris ma démonstration. Elle était si ardue, que la sueur m'en coulait du front. A tout moment j'en perdais le fil, et je recommençais indéfiniment cette phrase: "Les grands sauriens qui nageaient dans les eaux chaudes des mers primitives avaient l'oeil construit comme une lunette..." "Je ne m'arrêtai qu'en m'apercevant que Vernaux avait disparu. Je le retrouvai bientôt dans un pli de terrain. Il était à la broche, sur un feu de broussailles. Des Indiens, les cheveux noués au sommet de la tête, l'arrosaient avec une longue cuiller et tournaient la broche. Vernaux me dit d'une voix claire: "Mélanie est venue." "Je m'aperçus seulement alors qu'il avait une tête et un cou de poulet. Mais je ne pensais plus qu'à trouver Mélanie que, par illumination soudaine, je savais être la plus belle des femmes. Je courus, et ayant atteint l'orée d'un bois, je vis, à la clarté de la lune, une forme blanche qui fuyait. Des cheveux d'un roux magnifique coulaient sur sa nuque. Une lueur

« pauvre insensé.

Ilse rendit aveclebedeau etdeux fabriciens àl'endroit oùl'enfant disaitavoirvuune croix, etilytrouva deux planches garniesdeclous, quelamer avait longtemps rouléesetqui vraiment formaient unecroix. C'étaient lesépaves d'unancien naufrage.

Ondistinguait encoresurune deces planches deuxlettres peintes ennoir, un J.

et un L.,etl'on nepouvait douterquecene fût undébris delabarque deJean Lenoël, qui,cinq ansauparavant, avait péri enmer avec sonfilsDésiré. A cette vue,lebedeau etles fabriciens semirent àrire del'innocent.

quiprenait lesaisrompus d'unbateau pourlacroix de Jésus−Christ.

MaisM.lecuré Truphème arrêtaleursmoqueries.

Ilavait beaucoup méditéetbeaucoup priédepuis la venue parmilespêcheurs duChrist del'Océan, etlemystère delacharité infiniecommençait àlui apparaître.

Il s'agenouilla surlesable, récital'oraison pourlesfidèles défunts, puisilordonna auxbedeaux etaux fabriciens deporter cette épave surleurs épaules etde ladéposer dansl'église. Quand cefut fait, ilsouleva leChrist dedessus l'autel, leposa surleplanches delabarque etl'y cloua lui−même, avecles clous quelamer avait rongés. Par son ordre, cettecroixprit,dèslelendemain, au−dessusdubanc d'oeuvre, laplace delacroix d'oretde pierreries.

Le Christ del'Océan nes'en estjamais détaché.

Ilavoulu rester surcebois oùdes hommes sontmorts eninvoquant son nom etlenom desamère.

Etlà, entrouvrant sabouche auguste etdouloureuse, ilsemble dire:"Macroix estfaite de toutes lessouffrances deshommes, carjesuis véritablement leDieu despauvres etdes malheureux." JEAN MARTEAU I UN REVE Comme onparlait dusommeil etdes songes, JeanMarteau ditqu'un rêveavait laissé uneimpression ineffaçable dansson cerveau. "Était−il prophétique? demandaM.Goubin. Ce rêve, répondit JeanMarteau, n'arien deremarquable ensoi, pasmême sonincohérence.

Maisj'yaiperçu desimages avec uneacuité douloureuse quin'est comparable àrien.

Rienaumonde, rienneme futjamais aussiprésent, aussi sensible quelesvisions decerêve.

C'estparlàqu'il estintéressant.

Ilm'a faitcomprendre lesillusions desmystiques.

Si l'esprit scientifique m'avaitfaitdéfaut, jel'aurais certainement prisJEAN MARTEAU 54 Crainquebille, Putois,Riquetetplusieurs autresrécitsprofitables pouruneapocalypse etune révélation, etj'y aurais cherché lesprincipes dema conduite etles règles dema vie.

Jedois vous direquejefis cerêve dans descirconstances particulières.

C'étaitauprintemps de1895 ;j'avais vingtans.Nouveau venuàParis, jetraversais destemps difficiles. Cette nuit−là jem'étais étendudansuntaillis desbois deVersailles, sansavoir mangé depuisvingt−quatre heures.Jene souffrais pas.J'étais dansunétat dedouceur etd'allégeance, traverséparmoments d'uneimpression d'inquiétude.

Etil me semblait quejene dormais nine veillais.

Unepetite fille,unetoute petite fille,encapeline bleueeten tablier blanc, marchait surdes béquilles dansuneplaine, aucrépuscule.

Sesbéquilles, àchaque pasqu'elle faisait,s'allongeaient etla soulevaient commedeséchasses.

Ellesdevinrent bientôtplushautes quelespeupliers quibordaient larivière.

Une femme, quivitma surprise, medit: "Vous nesavez doncpasque lesbéquilles poussent auprintemps? Maisilya des moments oùleur croissance estd'une rapidité effrayante." "Un homme, dontjene pus voir levisage, ajouta: "C'estl'heure climatérique!" "Alors, avecunbruit faible etmystérieux quim'effraya, lesherbes semirent àmonter autourdemoi.

Jeme levai et gagnai uneplaine couverte deplantes pâles,cotonneuses etmortes.

J'yrencontrai Vernaux,leseul amique j'eusse à Paris, oùilvivait aussimisérablement quemoi.

Nous marchâmes longtempscôteàcôte, ensilence.

Dansleciel, les étoiles énormes etsans rayonnements étaientcomme desdisques d'orpâle. "J'en savais lacause etjel'expliquai àVernaux.

"C'estunphénomène d'optique,luidis−je.

Notreoeiln'est pasaupoint." "Et jepoursuivis, avecunsoin minutieux etdes peines infinies, unedémonstration quireposait principalement sur l'entière identitédel'oeil humain etde lalunette astronomique. "Tandis quejeleraisonnais ainsi,Vernaux trouvaàterre, danslesherbes livides, unénorme chapeau noir,enforme de melon, etàcôtes, avecungalon d'oretune boucle dediamants.

Ilme dit, enlemettant sursatête: "C'est lechapeau dulord−maire.

Évidemment", luirépondis−je. "Et jerepris madémonstration.

Elleétait siardue, quelasueur m'encoulait dufront.

Atout moment j'enperdais lefil, et je recommençais indéfinimentcettephrase: "Lesgrands sauriens quinageaient dansleseaux chaudes desmers primitives avaientl'oeilconstruit commeunelunette..." "Je nem'arrêtai qu'enm'apercevant queVernaux avaitdisparu.

Jeleretrouvai bientôtdansunplide terrain.

Ilétait àla broche, surunfeu debroussailles.

DesIndiens, lescheveux nouésausommet delatête, l'arrosaient avecunelongue cuiller ettournaient labroche.

Vernaux meditd'une voixclaire: "Mélanie estvenue." "Je m'aperçus seulement alorsqu'ilavait unetête etun cou depoulet.

Maisjene pensais plusqu'à trouver Mélanie que, par illumination soudaine,jesavais êtrelaplus belle desfemmes.

Jecourus, etayant atteint l'oréed'unbois, jevis, àla clarté delalune, uneforme blanche quifuyait.

Descheveux d'unroux magnifique coulaientsursanuque.

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