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Peut-on concevoir une société juste sans que les hommes ne le soient ?

Publié le 10/12/2005

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La justice, c'est la norme idéale qui peut définir le droit ou son principe même. Essentiellement elle exprime une certaine égalité. On peut reconnaître trois formes de justice héritées de la conception antique (notamment Aristote) : la justice commutative (échange), la justice distributive (répartition des honneurs au sein de la cité) et la justice répressive (celle qui envisage les sanctions). La justice désigne en ce sens trois sphères du politique et il conviendra de les tenir de concert dans notre conception du juste appliquée à la société. La société, quant à elle, est le milieu dans lequel est intégré tout homme. Qu'est-ce qu'une société par opposition à « la » société ? Un ensemble d'individus entre lesquels existent des rapport organisés et des échanges de services. Ce groupe forme une réalité spécifique, irréductible aux individus qui le composent. Dès lors, envisagé du point de vue de l'homme, la justice est une vertu. Elle a donc un aspect moral. Si les hommes qui composent une société sont justes alors cette société devrait être juste ; et inversement. Cela semble logique. Pourtant concevoir une société juste pose le problème alors de la nature de l'homme. En effet, existe-t-il un seul homme qui soit juste, c'est-à-dire parfaitement moral ? Un saint en quelque sorte. Et à l'échelle d'une société ? Mais dans ce cas, faut-il renoncer à tout établissement d'une société juste malgré les hommes qui la composent ? C'est donc à travers le prisme de la politique, de la morale et de l'anthropologie que se pose avec intérêt le sujet : « Peut-on concevoir une société juste sans que les hommes ne le soient ? » L'interrogation porte sur notre capacité à établir (« peut-on »), à nous former une représentation ou une idée (« concevoir ») d'une telle société. Autrement dit, cette tentative ne serait-elle pas du même que d'essayer de concevoir une « montagne sans vallée » (Descartes) ?             Si donc cela apparaît comme une aporie (1ère partie), nous essayerons de la dépasser en y apportant une solution (2nd partie), au moins provisoire, afin d'en réinterroger la validité et le fondement et dès lors la possibilité même d'une telle société (3ème partie).

« a) Pourtant, comme Kant le note dans l'« Annexe 1 » du Projet de Paix perpétuelle : « Le problème de l'Etat, aussi difficile qu'il paraisse, n'est pas insoluble, même pour un peuple de démons (pourvu qu'ils aient un entendement) ».Si l'homme n'est pas juste, les démons ne sont-il pas le paradigme de cette incapacité à être juste ? Ils en sont lecontraire.

Cependant, comme Kant le note l'institution d'Etat administrant le droit donc d'une société juste estpossible pour ses derniers.

A fortiori alors pour les hommes.

La seule nécessité est l'exigence de faire usage de sonentendement, c'est-à-dire d'user de rationalité afin de voir ce qui est le mieux pour soi.

Dès lors, l'avènement d'unesociété juste est une question pourrait-on dire de bon sens, c'est-à-dire possible pour des personnes faisant preuvede raison : « organiser une foule d'êtres raisonnables qui tous ensemble exigent, pour leur conservation, des loisuniverselles, dont cependant chacun incline secrètement à s'excepter, et à agencer leur constitution d'une manièretelle que, bien que leurs intentions privées s'opposent entre elles, elles soient cependant entravées, et ainsi, dansleur conduite publique, le résultat est le même que s'ils n'avaient pas eu de mauvaises intentions ».

L'homme doncétant aussi un être égoïste et soumis à ses penchants cherche à rende la société profitable à son usage, donconéreuse pour autrui.

Néanmoins pour établir une société juste l'homme n'a pas à être juste en lui-même maissimplement à l'être de manière publique, extérieure.b) Or c'est bien ce que met en scène Mandeville dans la Fable des abeilles .

En effet, il tend à montrer qu'une société juste peut exister même s'il existe en elle le vice et développe la formule : « vices privées ; vertuspubliques ».

L'essentiel pour une société est donc de promouvoir la vertu dans la sphère publique afin que la sociétéfonctionne correctement.

Que le vice existe c'est nécessaire au vue de la nature humaine soumise au jeu desplaisirs.

Mais le point important chez Mandeville est de constater que cette vertu publique ne peut exister qu'encorrélation au vice privée au risque sinon de scléroser la société.

Ainsi, même dans les cités les moins vertueuses, lasociété peut ne pas en être moins juste qu'une société où les hommes seraient justes.

Il n'y a pas de corrélationentre les deux.

Voire pour Mandeville, le vice est nécessaire à l'existence de la vertu.

Mais par quel processus ?c) Kant , dans l'« Annexe 1 » du Projet de Paix perpétuelle , en fournit une explication : « le problème ne requiert pas l'amélioration morale des hommes, mais seulement de savoir comment on peut faire tourner au profit des hommes lemécanisme de la nature pour diriger au sein d'un peuple l'antagonisme de leurs intentions hostiles, d'une manièretelle qu'ils se contraignent mutuellement eux-mêmes à se soumettre à des lois de contrainte, et produisent ainsil'état de paix où les lois disposent d'une force ».

La question est alors de comprendre ce mécanisme de la nature quise sert des antagonismes des hommes pour en tirer un produit bénéfique.

Ce mécanisme est ce que Kant appelle dans la quatrième proposition de l' Idée d'une histoire universelle d'un point de vue cosmopolitique « l'insociable sociabilité » : « Le moyen dont se sert la nature, pour mener à terme le développement de toutes les dispositionshumaines est leur antagonisme dans la société, jusqu'à ce que celui-ci finisse pourtant par devenir la cause d'unordre conforme à la loi.

[…] J'entends ici par antagonisme l' insociable sociabilité des hommes, c'est-à-dire le penchant des hommes à entrer en société, qui est pourtant lié à une résistance générale qui menace constammentde rompre cette société.

L'homme possède une tendance à s'associer, parce que dans un tel état il se sent plusqu'homme, c'est-à-dire qu'il sent le développement de ses dispositions naturelles.

Mais il a aussi un grand penchantà se séparer (s'isoler) parce qu'il trouve en même temps en lui cet attribut qu'est l'insociabilité, [tendance] à vouloirseul tout organiser selon son humeur; et de là, il s'attend à [trouver] de la résistance partout, car il sait de lui-même qu'il est enclin de son côté à résister aux autres.

» Une solution est donc possible.

Transition : Ainsi on peut concevoir semble-t-il une société juste sans que l'homme le soit par ce que l'on peut appeler une rusede la nature usant de l'antagonisme des individualités, c'est-à-dire de l'insociable sociabilité de l'homme, afin deproduire une société fonctionnant suivant les principes du droit et ayant une constitution.

Cependant, que l'Etatsoit organisé suivant le droit n'indique pas en fait que la société soit pleinement juste ; de même qu'il convient sansdoute de ne pas confondre Etat et société.

Suivant cet antagonisme, la société sera opératoire mais elle resteraplus au moins juste.

Dès lors la question se repose avec plus d'insistance : une société peut-être pleinement juste sans que les hommes qui la compose le soient ? III – Emulation et interdépendance : un avenir concomitant ; possibilité d'un société juste a) Or si ce problème était d'une solution aussi simple, la question ne nous aurait pas amener à développer l'aporieque constitue ce sujet dans notre première partie.

Et comme Kant le note dans le titre même de la cinquième et sixième proposition de L'Idée d'une histoire universelle d'un point de vue cosmopolitique : « Le plus grand problème pour l'espèce humaine, celui que la nature contraint l'homme à résoudre, est d'atteindre une société civileadministrant le droit » ; « Ce problème est en même temps le plus difficile, celui que l'espèce humaine résoudra endernier » et cela notamment par le fait « que cette Idée soit également celle qui est mise en œuvre le plustardivement provient en outre du fait qu'il faut pour y parvenir des concepts exacts de nature d'une constitutionpossible, une grande expérience exercée par de nombreux voyages à travers le monde, et, par-dessus tout, unebonne volonté préparée à accepter cette constitution ; trois éléments, toutefois, qu'on ne peut trouver réunis quetrès difficilement et, quand cela se produit, seulement de façon très tardive, après bien des tentatives ».

N'y a-t-ilalors aucun espoir de changer ce cercle vicieux, supposant pour qu'une société soit juste que les hommes le soientet que pour l'être ils aient besoin du secours de la société, en un cercle vertueux ?b) Si, cela est possible comme on peut le voir en revenant dans la quatrième proposition de l'Idée d'une histoire universelle d'un point de vue cosmopolitique de Kant ; et cela en tenant compte de la valeur éthique du droit : « Par cette voie, un accord pathologiquement , extorqué en vue de l'établissement d'une société, peut se convertir en un tout moral .

» Dans ce texte, il s'agissait du problème politique de l'établissement d'une constitution parfaite. C'est donc du droit qu'il est question, mais que veut dire alors cette citation ? On peut comprendre que le droit peutdevenir moral ou plus exactement que l'intégration de la loi extérieure donc la loi juridique peut devenir une loi. »

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