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Philippe Audoin écrit dans son ouvrage sur Breton (1970) : «Breton assignait au surréalisme l'objectif — suspect aux politiques comme aux philosophes — de contribuer à la formation d'un nouveau mythe. Il ne s'agissait certes pas d'agencer de toutes pièces et d'imposer un tel mythe (pareille ambition supposerait un contresens complet quant au mode d'élaboration des mythes, autant prétendre préfabriquer un rêve...) mais d'appeler sans relâche l'attention sur certains thèmes de revendicat

Publié le 12/04/2009

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breton

Après avoir rappelé qu'il faut démolir les églises, Breton, dans une Dédicace à Armand Hoog. écrivait: « Vive le mythe nouveau ! «. se révélant ainsi parfaitement conscient de l'aspect mythique de son œuvre, de sa volonté de retour aux grandes sources collectives de l'humain. Rompant avec la pensée classique, trop abstraitement universaliste pour être mythique, comme avec la pensée romantique, à la fois trop individualiste et trop limitée à l'historique pur, Breton poursuivait une fois de plus les recherches du symbolisme en prétendant fournir des mythes à notre usage, — des mythes, c'est-à-dire des figures, des « paroles « (suivant la définition de Roland Barthes) se tenant à égale distance :

• de la rêverie (le mythe s'appuie sur un objet - le Graal — ou une personne - Œdipe — et n'est donc pas une pure plongée dans le monde intérieur.): • du symbole (le mythe est beaucoup moins décryptable qu'un symbole, on ne lui trouve jamais un sens précis, on quête indéfiniment le Graal): • du thème (le thème est littéraire alors que le mythe prend appui sur une collectivité, le mythe n'est jamais mythe d'un seul individu, mais, allant de la collectivité à l'individu et vice-versa, le mythe stimule rêverie, symbole, thème). Cependant, en prétendant créer des mythes nouveaux, Breton ne se heurte-t-il pas à une antinomie : un mythe est une très vieille « parole «, où l'humanité se reconnaît depuis longtemps et qu'elle peut charger de significations nouvelles. Philippe Audoin voit bien qu'il n'était pas question pour Breton de fabriquer de toutes pièces un mythe nouveau, mais il prétend qu'à défaut de mythe vraiment neuf Breton a retendu les ressorts de la pensée mythique et par là contribue à la formation espérée d'un nouveau mythe. Que la pensée de Breton soit mythique, ceci est à peu près évident et c'est ce qu'il nous faudra rappeler d'abord. Peut-être nous apparaîtra-t-il alors que dans sa recherche d'un mythe Breton a échoué, mais que finalement, dépassant le psychologique pour se perdre dans le métaphysique, il a imposé la grande trilogie mythique du surréalisme : l'Amour, la Liberté, la Poésie.  

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« dans les rues de Paris à la quête de la rencontre fondamentale:• le mythe de' la Belle au bois dormant.

Breton le retourne complètement : alors que, dans le conte de Perrault, lePrince charmant éveille au fond des bois une vierge endormie, c'est d'une Femme nue dont la rencontre est espéréedans un bois que Breton attend son propre éveil au mystère (Nadja, p.

44). 3 Le légendaire dans l'actuel.

Non content de modifier le sens et la valeur des mythes reçus, Breton n'hésite pas àfaire jouer la pensée mythique dans l'univers contemporain : tout devient légende sous sa plume.• Le mythe dans les lieux.

Breton a le sentiment que certains lieux sont des lieux de métamorphoses: Paris, commele pic du Teide à Ténériffe, « bouche du ciel en même temps que des enfers », espèce de Sinaï où il va chercher, aumilieu des nuages, les tables de la loi de l'amour, tandis qu'en bas la vallée de la Orotava joue le rôle d'un Eden oud'une terre promise (L'Amour fou, chapitre V).• Le mythe et les êtres.

Le surgissement en certains lieux de certains êtres fait de ceux-ci les véritables esprits deces lieux : leur surgissement a quelque chose d'absolu qui ne s'explique ni logiquement ni psychologiquement, maismythiquement (ces êtres sont du reste aussi bien des animaux que des personnes, mais ces animaux prennent toutde suite une allure d'animaux de légende : le Bélier de Nadja.

le Dauphin de Breton, le grillon des égouts dansL'Amour fou, p.

72).

Tout devient légendaire pour Breton parce que tout lui paraît passage du passé à l'avenir.

Tout,parlant le langage de notre désir, donne l'impression d'être en mouvement. II Le mythe insaisissable Cependant une pensée aussi mythique a-t-elle été vraiment capable de produire un grand mythe? On peut penserau mythe du Couple, incarnation de l'Amour, mais est-ce vraiment un mythe? Il semble que Breton se soit heurté,dans la recherche d'un mythe, à plusieurs difficultés liées tant à sa méthode qu'à ses tendances profondes. 1 Le mythe du Couple.

Il domine presque toutes les œuvres de Breton et c'est bien un mythe, car il est incarné etn'a pas de valeur psychologique (il ne fait pas le roman du couple), mais une valeur exemplaire : il est au centre deschoses, au-dessus du monde (tout couple pour Breton aime avec et pour toute l'humanité).

Les liens de ce coupleapparaissent comme des liens essentiellement créateurs, des liens de fécondité (femme-source, femme-nature,femme-mère, mère des enfants et mère aussi de la poésie).

Au sommet du Teide, Breton entre avec Jacqueline « àflanc d'abîme », dans « le château étoile » : il aura à y lutter contre le Temps, la Mort et la Querelle. 2 L'extension abusive.

Mais il est très difficile de savoir où commencent et où s'arrêtent les mythes chez notrepoète, car il y a, à côté du mythe fondamental, trop de mythes secondaires : avec le mythe du Couple on retrouvecelui du château, mais aussi celui de la petite Aube, fille de Breton et de Jacqueline, mythe des commencementsabsolus.

Le mythe s'étend trop loin, perd son unité nécessaire (y a-t-il vraiment un mythe sans personnage uniqueet central?), et l'on aboutit à une mosaïque de thèmes personnels (les objets évocateurs sont-ils vraiment desmythes? La Tour Saint-Jacques, dans la « nuit du Tournesol ».

n'est-elle pas plutôt une obsession propre à Bretonqu'un mythe?). 3 La désincarnation progressive.

Cependant il y a plus grave, car, au fur et à mesure que dans l'œuvre de Bretonles.

mythes paraissent envahissants, plus ils ont tendance à être désincarnés.

De Nadja à l'Élisa d'Arcane 17.

levisage de la femme s'estompe.

Nadja était peut-être trop concrète pour arriver Su mythe, mais Jacqueline Lamba etÉlisa.

trop lointaines, presque invisibles, le dépassent sans doute. 4 La tendance à l'universel.

En somme, Breton témoigne de la défiance à l'égard des mythes anciens, mais quelmythe moderne a-t-il établi? Beaucoup moins qu'Apollinaire : la locomotive bloquée dans la forêt vierge (L'Amour fou,p.

13) n'est guère qu'une allégorie ou un objet évocateur: son couple dans une sorte d'Éden, cela remonte à laGenèse! Au fond.

Breton, qui est sans doute un grand classique, ne semble pas avoir réussi à placer au cœur de sonœuvre autre chose qu'un homme éternel.

Mais si l'homme est la source des mythes, il n'est pas en lin-même unmythe. III Des mythes ouverts : la trilogie surréaliste L'œuvre de Breton a cependant une grande unité autour de trois directions mythiques qui constituent ce que l'onpeut appeler la trilogie surréaliste : la Liberté.

l'Amour, la Poésie, mais qui sont plutôt des valeurs que des mythes,et qui.

chez les surréalistes, gardent la valeur mythique de mobilisatrices d'énergie, notamment en politique. 1 La Liberté.

Elle n'est pas une liberté formelle et vide, mais appel à l'action et au départ: Breton veut lancer lesgens dans la rue.

Le mythe est toujours jugé chez lui en fonction de sa dynamique libératrice, sans calculprémédité. 2 L'Amour.

Là encore, en principe, il ne s'agit pas d'un mythe, mais l'amour surréaliste a quelque chose de mythiqueparce que l'on découvre que l'être aimé n'a pas d'essence, mais n'est rien qu'une existence; d'où le sens du mythede la Femme nue dans un bois : elle serait une pure existence.

En revanche, Breton n'a jamais pu aimer Nadja parcequ'il lui semble qu'elle a un secret qu'il lui faut interroger, mais lorsqu'à la fin de Nadja il rencontre X, il n'a plus enviede l'interroger, car elle existe comme personne d'autre ne sait exister: «Tu n'es pas une énigme pour moi.

Je dis quetu me détournes pour toujours de l'énigme.

» Et quand on ne possède pas cette existence irremplaçable, il n'y a aufond qu'à l'attendre: Nadja, c'est l'attente de X; Les Vases communicants, c'est l'attente pure: L'Amour fou, unefois la rencontre faite, c'est l'attente de quelques moments cruciaux.

Chez Breton, le mythe tourne donc à l'absence. »

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