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Que pensez vous de cette condamnation portée par Marcel Aymé contre le romantisme et mise dans la bouche de M. Lepage, bourgeois imaginaire, d'opinion classique et réactionnaire : « La grande habileté du romantisme, qui est aussi son crime et son abjection, a été de solliciter les régions mineures de l'humanité, de flatter les faibles dans leurs faiblesses. Alors que les classiques s'adressaient à l'homme, à sa raison, à sa conscience virile, la nouvelle école se tournait aux femmes, a

Publié le 12/04/2009

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conscience

Le romantisme est accusé par beaucoup d'être un art trop sensible, trop affectif, un art des nerfs et de la faiblesse. Cette vision banale, un peu scolaire, M. Aymé la renouvelle en soutenant que ce qui est particulièrement grave dans le romantisme, ce n'est pas de peindre la faiblesse de l'homme, mais de la flatter, de la solliciter : « Son crime et son abjection, fait-il dire au bourgeois de son Confort intellectuel, a été de solliciter les régions mineures de l'humanité, de flatter les faibles dans leurs faiblesses. « Sans doute les classiques n'ont-ils pas toujours peint des actes raisonnables et volontaires, mais du moins n'ont-ils pas de complaisance pour la faiblesse, du moins ne se contentent-ils pas d'effets faciles, tirés de la sensiblerie, du système nerveux; au contraire, « la nouvelle école se tournait aux femmes, aux adolescents et visait leur sensiblerie, leur système nerveux «. Qu'il y ait eu au cours du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle un changement profond dans le niveau humain auquel s'adressait l'art, voilà qui est incontestable. Mais la phrase de M. Aymé ne résiste pas à un examen historique des conditions de l'avènement du romantisme, qui, dans son développement, allait se détourner de plus en plus de la sensiblerie et du système nerveux.

conscience

« notamment veut toucher par des spectacles violents et surtout directement perceptibles aux nerfs et à la sensibilitéextérieure.

Aussi les lecteurs ou les spectateurs les moins formés sur le plan rationnel (ceux que M.

Aymé appelleavec un mépris assez déplaisant « les femmes et les adolescents ») sont-ils le public de choix du nouvel art.

d'unart qui ne leur demande aucun effort, hors de l'immédiate sensibilité. 4 Sensibilité et valeur morale.

Jusqu'à présent le danger nous est apparu surtout sur le plan esthétique, mais leslignes de M.

Aymé laissent entendre une accusation sur le plan moral.

Le nouvel art favorise les « régions mineures »de l'humanité et surtout leur laisse croire qu'elles ont des droits supérieurs : droit notamment de la passion à juger lemonde, les autres hommes et soi-même en fonction de ses prétentions :• le monde.

Si la passion désire plus que le monde ne peut lui offrir, c'est le monde qui a tort : « On habite avec uncœur plein un monde vide.

» (Génie du christianisme, II, III, 9.) Tel est essentiellement l'état d'esprit que constituele vague des passions, par lequel l'homme se sent au-dessus de sa destinée («le sentiment douloureux de l'incompletde sa destinée », comme dit Madame de Staël):• les autres hommes.

On méprisera celui qui vit d'une vie honnête et moyenne, sans passion (on l'appellera « unbourgeois ») et on se détour nera de tout idéal utilitaire (voir Gautier, Préface de Mademoiselle de Maupin, Les Textes littéraires généraux, n" 31), parce qu'il exclut la belle passion qui, en général, est inutile:• soi-même.

Et surtout la passion deviendra pour le romantique une excuse à ses propres yeux, d'abord parce quetout ce qui est de l'ordre de la sensibilité et du système nerveux est involontaire et échappe à la loi morale (Hernanidit à Dona Sol: «...

Je suis une force qui va! Agent aveugle et sourd de mystères funèbres! », Hernani, III, se.

4, v.992-993); ensuite parce que la passion est, pense-t-on, purificatrice et crée pour elle-même un univers particulier(thème de la courtisane rachetée par l'amour: chez Hugo.

Marion Delorme: chez Dumas, la Dame aux Camélias, etc.,c'est-à-dire rachetée du jour où une violente passion lui crée un univers personnel où nul ne peut la juger).

Ainsi leromantisme, pris au sens assez large où l'entend M.

Aymé, comporte bien un certain danger moral, puisqu'il accordedroit de jugement à des éléments aussi subjectifs que la sensibilité ou la passion; ceci apparaît encore plusnettement sur le plan religieux où il s'est souvent révélé incapable d'aller au-delà de la sensibilité religieuse, de lareligiosité, au détriment des grandes valeurs surnaturelles ou morales de la véritable religion (goût des cérémoniesreligieuses, des émotions religieuses). II L'évolution du romantisme In abstracto la position de M.

Aymé est relativement solide, mais historiquement elle n'est pas défendable, car leromantisme n'a pas évolué dans le sens qu'elle suggère.

Ce n'est guère qu'au premier romantisme, au romantismedes années 1820-25 qu'est applicable une telle attaque : on n'aurait peut-être jamais parlé du romantisme commed'une grande École littéraire, si précisément la tradition « vaporeuse et sentimentale » de l'Arsenal n'avait rencontrépour s'y mêler la tradition libérale et idéologique du Globe et du salon de Delescluze (Ibidem, p.

76).

Aussi du pointde vue 'historique le romantisme au sens plein du terme n'apparaît qu'à partir du moment où une tendancesentimentale a été fécondée et précisée par un mouvement intellectuel et même analytique, mouvement qu'avaitdéjà amorcé Stendhal.

C'est donc une union intime entre la sensibilité et l'intelligence qu'illustrent l'amitié de Hugo etde Sainte-Beuve, la date de 1827 et les brillants manifestes d'avant 1830.

D'une façon plus générale, l'impression dechute, d'affaissement est peut-être valable chez les premiers romantiques, mais bientôt c'est une « génération decombat » (Van Lieghem) qui monte.

Le mal du siècle ne recouvre pas tout le romantisme, ironie et sens critique sedéveloppent à partir de 1830, donnant au romantisme français cette allure équilibrée et assez rationnelle qui lecaractérise : loin d'être une sorte de délire nerveux, il se tourne délibérément vers l'action, vers l'analyse, vers legoût du moderne, reconnaît la nécessité des disciplines spirituelles et sait en appeler virilement à la conscience del'homme. 1 Le goût de l'action.

En effet, les romantiques se considèrent très vite comme les révolutionnaires de la littérature,ils veulent « faire un 89 ou un 93 littéraires ».

Alors que les premiers romantiques se rattachaient volontiers à latradition chrétienne et conservatrice (ce qui ne pouvait qu'accroître leur impression de chute, de nostalgie), leurssuccesseurs regardent hardiment vers l'avenir et définissent le romantisme comme l'art des temps nouveaux, commel'art moderne (voir la célèbre définition de Stendhal sur le romanticisme comme art qui convient à l'état actuel deshabitudes et des croyances).

En tout cela aucune sensiblerie, aucune faiblesse, mais au contraire un vif désir demarcher avec son temps, désir qui poussera la plupart des romantiques à s'engager dans la lutte politique, às'intéresser aux problèmes sociaux et même parfois socialistes, à identifier le progrès du romantisme avec celui de lacivilisation et de l'humanité. 2 Le goût de la précision scientifique.

Dans ce dernier domaine, ils sont certes victimes de beaucoup d'illusions etc'est en partie celles-ci que vise le bourgeois du Confort intellectuel, qui accuse les romantiques d'introduire enpolitique bien des utopies sentimentales.

Il n'en reste pas moins vrai que, même ici, les romantiques, nourris par latradition des idéologues, ont apporté un grand désir de précision et de netteté scientifique : le saint-simonisme et lefouriérisme reposent sur l'idée que seule la science peut permettre une organisation rationnelle de la société et trèsvite le romantisme social fera alliance avec le positivisme.

Quant aux phénomènes du système nerveux et de lasensibilité, ils n'ont pas seulement été pour les romantiques matière à lyrisme et à exaltation, mais aussi matière àde très sérieuses études scientifiques.

Balzac, entre autres, attribuait un grand rôle aux manifestations diverses dusystème nerveux et prétendit dans de nombreux romans les observer avec minutie : sans doute y a-t-il là beaucoup« d'illuminisme » et de « recherche de l'Absolu », mais aussi le désir de véritables examens cliniques à la manièremédicale.

En ce domaine la « raison » reprend tous ses droits et l'accusation de M.

Aymé est sans objet. 3 La nécessité des disciplines spirituelles.

Mais surtout le plus contestable ce serait de soutenir que le romantique. »

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