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Que signifie l'expression "sciences exactes" ?

Publié le 02/03/2015

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Que signifie l'expression « sciences exactes » ? Une science digne de ce nom peut-elle vraiment être inexacte ? On hésitera assurément à l'affirmer. L'« exact » est étymologiquement ce qui est « achevé », ce qui a atteint sa perfection. On comprend ainsi qu'il partage sa racine avec l'« exigence » qui renvoie également à cette idée de parachèvement. Mais le mot « exact » doit cependant être plus particulièrement rapproché du sens technique d'« exactus » qui signifie peser ou mesurer. Au sens que nous lui donnons aujourd'hui l' « exact » est ce qui est adéquat à son objet ou conforme à une norme, et qui exclut toute approximation. Il s'oppose ainsi au vague, à l'erroné, au douteux, à l'incorrect. A bien des égards il s'agit d'un synonyme de « vrai » et les deux vocables ne sont pas toujours distingués par l'usage. Une science exacte serait ainsi, en première approche, une science capable de dire le vrai. Mais il pourrait alors sembler inutile de qualifier une science d'exacte du fait même que l'expression « science inexacte » paraît en droit contradictoire. Une science, en effet, peut-elle se dispenser du critère de l'exactitude ? Et pourquoi alors employer deux mots là où un seul, celui de « science », pourrait paraître suffisant ? Mais la formule a pour le moins le mérite d'attirer notre attention sur l'inachèvement de fait de certaines sciences ainsi que sur la diversité des objets, des résultats ou des procédures que l'on qualifie de scientifiques. Il n'est pas évident en effet que l'exactitude d'un théorème soit comparable à celle d'une mesure ou d'un modèle, qui tolèrent par nécessité une certaine marge d'imprécision. Peut-être même l'exactitude n'est-elle pas strictement bivalente et admet-elle une certaine gradation qui justifierait d'opposer les sciences exactes aux sciences conjecturales sans refuser à ces dernières toute forme d'exactitude. Il est enfin difficile de déterminer s'il est possible de rassembler toutes les dimensions de l'exactitude scientifique, par exemple l'exactitude formelle et l'exactitude empirique, sur un même plan de comparaison. Ce vaste chantier d'interrogations peut être ramené au problème essentiel que pose, comme un défi, la conjonction des deux mots qui constituent l'expression « sciences exactes ». Comme dans un diagramme d'Euler, la signification logique de cette expression apparaît en effet là où science et exactitude se croisent et se recoupent, laissant apparaître comme des possibles une zone d'exactitude hors du champ des sciences mais surtout, à l'inverse, une zone des sciences hors de celui de l'exactitude. Que penser alors de cette dernière zone dont nous avons évoqué le caractère apparemment contradictoire et dès lors problématique ? Le statut de l'inexactitude dans les sciences est-il celui d'une contingence à dépasser ou d'une inquiétante et insistante nécessité ? I/ Dans l'antiquité, Platon pouvait affirmer dans les derniers moments du Philèbe que l'exactitude des sciences dépendait essentiellement de la pureté de leur objet. Selon lui la hiérarchie des sciences suivait l'éminence des êtres en terme d'abstraction spéculative. S'il serait difficile de faire entendre aujourd'hui que, pour la raison que nous venons d'évoquer, la plus exacte des sciences est sans conteste le dialogue philosophique, la logique qui sous-rend cette idée semble néanmoins encore guider l'opinion courante selon laquelle la mathématique, par sa pureté, serait une science plus exacte que les sciences empiriques comme la physique. Jacques Lacan lui-même verse dans ce que l'on pourrait considérer comme un certain platonisme lorsqu'en passant, il qualifie dans ses Ecrits la mathématique de « science exacte par excellence »1Jacques Lacan, Variantes de la cure-type, in Ecrits (1966), p.361, Paris, Seuil, 1999. . Mais faut-il vraiment lui donner ici raison ? On ne mettra pas en doute l'exactitude de la mathématique si l'on évoque par ce terme la cohérence interne de cette discipline, ou la rigueur de ses procédures et de ses résultats. Mais cette exactitude doit-elle pour autant être considérée comme celle d'une science ? Certainement, si l'on entend encore science au sens très large que lui donnaient les anciens. Mais peut-on avec rigueur désigner du même terme les disciplines strictement formelles, et les sciences modernes nées avec la révolution expérimentale ? Il nous faudra pour le démontrer développer en quoi l'exactitude formelle est à la fois d'une rigueur absolue et fondamentalement extra-scientifique. Uniquement fondées sur la déduction à partir de postulats, les mathématiques ressemblent en effet à un colosse aux pieds d'argile. Platon note que les postulats ne constituent rien de moins que des opinions ininterrogées : « quand ils ont confectionné ces hypothèses, ils estiment n'avoir à en rendre compte d'aucune façon, ni à eux-mêmes ni aux autres, tant elles paraissent évidentes à chacun. ». Reposant sur ces « hypothèses » les sciences mathématiques ne peuvent remonter à un « principe anhypothétique », c'est à dire apodictique, (Platon, République, 510d). C'est la raison pour laquelle Platon les conçoit comme encore prises, en raison de leurs postulats, dans le divers de l'opinion. Or la possibilité moderne de construire une pluralité de géométries non-euclidiennes - comme la géométrie hyperbolique ou la géométrie elliptique - mais aussi une pluralité de logiques mathématiques non-classiques - comme la logique modale ou la logique déontique - renforce considérablement l'argument de Platon. S'il est en effet réellement possible de faire varier les postulats de la mathématique que reste-t-il alors de l'unité de son objet ? La crise de la philosophie des mathématiques, liée à l'apparition des géométries non-euclidiennes, est liée à la remise en cause des fondements de cette discipline. Celle-ci a permis de questionner à nouveaux frais le statut ontologique des objets qu'elle étudie. Mais le caractère scientifique des mathématiques n'est pas épargné par cette crise des fondements. Il devient en effet nettement problématique en raison de son caractère librement axiomatique. Le statut de science objective des disciplines formelles, mis en difficulté, doit alors être relativisé pour les rapprocher des activités créatives (Brouwer), ou des jeux (Hilbert) ! Fragile par ses postulats, la scientificité de la mathématique est également problématique en raison de son caractère purement abstrait. Il s'agit en effet dans le champ mathématique de refuser, selon l'expression de Platon, « de faire intervenir des nombres attachés à des corps visibles ou tangibles »2Platon, La République, VII, 525d. . La géométrie s'élève au-delà de l'observation et de la mesure des « figures particulières » afin de se donner pour objet « le carré en soi » et « la diagonale en soi » c'est à dire des « êtres en soi qu'il est impossible de contempler autrement que par la pensée » (Platon, République, VII, 525d). Les objets géométriques s'avèrent ainsi plus parfaits, et en un sens donc plus exacts, que les figures effectivement dessinées ou mesurées. Mais si les mathématiques sont exactes, elles ne le sont néanmoins qu'en soi et comme par opposition au monde sensible. Aristote pose différemment le même problème. Comme il le montre dans les Seconds analytiques3Aristote, Seconds Analytiques, 92a-b. (92 a-b) si un raisonnement concluant doit à la fois être valide et fondé sur des prémisses vraies, déterminer la vérité des prémisses n'appartient pas au champ des sciences formelles. Celles-ci permettent en effet d'établir des formes logiques valides, c'est à dire formellement exactes, mais dépourvues par elles-même de contenu positif. Si les mathématiques et la logique constituent bien ainsi l'étalon de l'exactitude elles ne permettent pas directement de se prononcer sur les faits. La distinction entre jugements analytiques et jugements synthétiques s'avère ici précieuse pour distinguer l'exactitude mathématique de l'exactitude empirique. Ces deux types de jugement produisent en effet deux modalités distinctes d'exactitude. Dans la préface de la première édition de son ouvrage Langage, vérité et logique, véritable manifeste de l'empirisme logique, le philosophe Alfred Ayer reprend et transforme cette distinction devenue classique en philosophie. Les jugements qu'Alfred Ayer4« Comme Hume j'ai divisé les propositions valides (genuine) en deux catégories : celles qui, selon sa terminologie, portent sur "la relation entre les idées" et celles qui portent sur la "relation entre les faits". Cette dernière catégorie comprend les propositions a priori de la Logique et les mathématiques pures, et je n'admets leur nécessité et leur certitude qu'en raison de leur caractère analytique. C'est pourquoi je maintiens que la raison pour laquelle ces propositions ne peuvent être réfutées par l'expérience est qu'elles ne produisent aucune assertion sur le monde empirique, mais rappellent simplement notre décision d'utiliser des symboles d'une certaine manière. D'un autre côté, je considère comme des hypothèses qui ne pourront probablement jamais devenir des certitudes les propositions portant sur les faits empiriques. » qualifie d'analytiques, sont ceux dont la vérité s'établit par une analyse purement formelle et qui concernent « la relation entre les idées ». Les jugements synthétiques sont au contraire ceux dont la vérité dépend d'une information provenant du monde extérieur et qui concernent la « relation entre les faits ». La reprise de cette distinction par le projet de l'empirisme logique plaide ainsi dans le sens d'une distinction épistémologique forte entre les pratiques formelles (arithmétique, géométrie, logique...), relevant purement d'une méthode analytique et déductive, et les sciences de la nature fondées sur une induction raisonnée à partir de l'observation. Or, comme le montre Ayer les propositions analytiques pures de la logique et des mathématiques « rappellent simplement notre décision d'utiliser des symboles d'une certaine manière » et « ne peuvent être réfutées par l'expérience ». Peut-on alors les qualifier de scientifiques ? L'ensemble de ces arguments nous amène à conclure que si les pratiques formelles constituent bien l'étalon de l'exactitude, et contribuent ainsi à l'exactitude scientifique elles se situent néanmoins, comme nous l'avions annoncé, en dehors de leur champ propre tant en raison de leur caractère purement abstrait, que de la liberté et de l'irréfutabilité de leur axiomatique. II/ Mais qu'en est-il alors de l'exactitude des sciences de la nature ? A la différence des sciences formelles, dont l'abstraction rejette toute contamination par des éléments empiriques, le caractère expérimental des sciences de la nature n'implique pas le rejet du formalisme. Celui-ci est au contraire appliqué aux phénomènes naturels au moyen d'une méthode certes empirique mais dont l'usage semble permettre l'écriture des lois de la nature dans le langage exact des mathématiques. Dans la préface de la seconde édition de la Critique de la raison pure Kant décrit comment, à partir du XVIème siècle, la physique, par une « heureuse révolution qui s'est opérée dans sa méthode » parvint à entrer « dans le véritable chemin de la science, après n'avoir fait pendant tant de siècles que marcher à tâtons. ». L'ambition de Kant dans ce texte est de montrer de quelle manière les sciences de la nature, comme la physique et la chimie, conquirent leur titre de science exacte par l'usage raisonné de l'expérience. Il évoque ainsi trois expériences réalisées par les plus célèbres pionniers des sciences expérimentales. Dans chacune de ces expériences, note Kant, le scientifique demande à la nature de l'instruire. Cependant, il ne se conduit pas face à elle passivement « comme un écolier », mais il se comporte au contraire comme « un juge qui a le droit de contraindre les témoins à répondre aux questions qu'on leur pose ». Ce n'est que par cette méthode que l'observation peut finalement « se rattacher à une loi nécessaire » exacte et mathématisée. Mais comment poser des questions à la nature de telle manière que celle-ci soit forcée de répondre avec exactitude ? Le premier pas de toute démarche expérimentale consiste en la formulation d'une hypothèse dont on se propose, dans un second temps, de vérifier l'exactitude. C'est la raison pour laquelle cette méthode peut également être qualifiée de démarche hypothético-déductive, ou selon la formulation de Claude Bernard, de démarche a posteriori (Claude Bernard, Introduction à l'étude de la médecine expérimentale, chapitre 2 p.59). La nature en effet, pour reprendre la métaphore kantienne, semble ne pas se comporter comme un enseignant prolixe mais au contraire comme un témoin récalcitrant qui ne répondrait aux questions que par oui ou par non. Le recours au verdict de l'expérience confine ainsi les sciences que l'on appelle exactes dans un régime de vérité strictement bivalent, qui exclut le vague et la demi-mesure.Vérifier l'exactitude d'une hypothèse implique que celle-ci puisse être réfutée ou validée par une expérience, c'est à dire que les prévisions que permettent cette hypothèse se révèlent à travers l'expérience être exactes ou inexactes. L'exactitude des résultats dépend ainsi de la précision des hypothèses, qui doivent être construites de façon à admettre un tel contrôle, la précision des résultats ne pouvant être supérieure à celle des hypothèses dont ils ne constituent que la vérification. Mais si les hypothèses doivent être formulées avec assez de rigueur la vérification elle aussi demande une précision suffisante. Celle-ci requiert l'usage de mesures dont l'objectivité soit garantie par l'emploi d'instruments correctement étalonnés et suffisamment précis. Une mesure trop imprécise des résultats expérimentaux pourrait en effet conduire à une interprétation erronée de l'expérience. La nature certes répond à nos questions mais encore faut-il avoir l'oreille assez fine pour entendre les réponses, et seul l'usage d'instruments de mesure objectifs permet de dépasser tant l'imprécision des sens que leur disparité subjective. Gaston Bachelard rapporte ainsi la mésaventure de la marquise du Châtelet qui manqua de peu la découverte de l'équivalent mécanique de la chaleur, alors qu'elle en tenait l'hypothèse, en raison d'un problème de précision dans sa mesure expérimentale : « Le phénomène [d'échauffement] que la main ne distingue pas d'une manière sensible eût été signalé par un thermomètre ordinaire. » (Bachelard, La formation de l'esprit scientifique, p. 260). Les sciences ne se révèlent ainsi exactes qu'à la hauteur des qualités de leurs mesures. Un problème surgit alors. En effet, malgré le perfectionnement de nos instruments il est impossible qu'une mesure ait une précision absolue. Cette imprécision limite-t-elle fondamentalement l'exactitude des sciences expérimentales ? Si la précision des mesures ne peut être absolue elle peut néanmoins être considérée comme suffisante si elle est bien repérée et n'entraîne pas une interprétation erronée de l'expérience. En effet, l'imprécision d'une mesure peut elle-même devenir objet de connaissance et être mesurée. Ne doit-on pas alors accepter de qualifier de « science exacte » une science consciente de ses limites et capable de mesurer son inexactitude ? L'idéal d'une science irréfutable, dont l'exactitude serait parfaite et la précision infinie, ne doit donc pas nécessairement être abandonné en raison de son impossibilité mais peut être ramené à la juste proportion d'un horizon régulateur dans la marche des sciences. En effet l'exactitude des sciences est une ambition dont la réalisation ne peut qu'être progressive, et cette progression n'est pas uniquement cumulative mais passe par la réfutation de propositions antérieurement admises. Les résultats scientifiques positivement retenus dans le système actuel de la science ne constituent ainsi que des acquis provisoires, orientés vers un idéal qu'ils ne remplissent qu'imparfaitement. Comme le note Karl Popper : « La décision positive ne peut jamais soutenir le système que provisoirement. II peut toujours à nouveau être invalidé par des décisions négatives ultérieures. Aussi longtemps qu'un système résiste à des contrôles déductifs minutieux et rigoureux et n'est pas dépassé par le développement progressif de la science, nous disons qu'il a été confirmé. » (Karl Popper, La logique de la découverte scientifique, 1935, chapitre 1). Les « sciences exactes » que constituent les sciences expérimentales ne doivent donc pas être considérées comme des sciences achevées dont les résultats seraient devenus à jamais irréfutables. Nous ne les nommons ainsi que dans la mesure où l'idéal régulateur de l'exactitude scientifique constitue l'étalon auquel leurs résultats se mesurent. L'expression « sciences exactes » peut ainsi s'entendre d'une manière comparable à celle dont nous comprenons l'expression « régime démocratique ». Certes aucune démocratie n'est conforme à son idéal, mais cette fin joue néanmoins un rôle régulateur dans la façon dont un tel régime s'oriente et se contrôle. Or si l'expression « régime démocratique » se comprend par opposition aux régimes autoritaires ou monarchiques, qui ne reconnaissent pas cet idéal, existe-t-il des sciences qui pourraient servir de repoussoir à l'expression « sciences exactes » en ne reconnaissant pas leur idéal d'exactitude ? III/ L'expression « sciences humaines » est parfois critiquée au profit de l'expression « sciences de l'Homme ». Mais les sciences humaines ne se définissent-elles que par leur objet ? Il existe indubitablement des sciences de l'Homme, comme par exemple les sciences cognitives ou la psychologie sociale, dont l'exactitude n'a rien à envier à nombre de sciences de la nature ou de la vie. Elles relèvent de la démarche expérimentale, recourent à des formalismes mathématiques et mettent en évidence des lois constantes avec une exactitude précisément mesurée. Mais les démarches d'autres disciplines, que l'on pourra à juste titre distinguer comme des « sciences humaines », comme par exemple l'histoire ou l'ethnologie, apparaissent néanmoins différentes. Elles étudient en effet des phénomènes non-reproductibles et les interprètent plus souvent qu'elles ne les expliquent. Incapables a priori de formuler une loi nécessaire, qui songerait à qualifier ces « sciences » de « sciences exactes » ? Mais si l'on reconnaît que la dimension qualitative et spéculative de ces sciences ne doit pas être comprise comme en négatif des sciences exactes, c'est à dire qu'une critique scientiste de ces disciplines manquerait leur pertinence propre, il nous faut alors admettre que celles-ci relèvent d'une épistémologie différente. Ce qui distingue essentiellement de telles démarches consiste, à suivre Lacan, dans leur refus de forclore, à la manière des sciences, le sujet qui les fonde. Développons une telle proposition. L'exactitude des « sciences exactes », et le sens de leurs précautions méthodologiques, repose sur une tentative d'élimination de la subjectivité du scientifique au profit de l'objectivité de leurs résultats. Les démarches des sciences humaines situent au contraire leur pertinence au coeur même de la coupure épistémologique entre le sujet et l'objet de la science. Comme le note le psychanalyste et mathématicien Jean-Michel Vappereau : « La psychanalyse n'est pas une science expérimentale, pour une raison simple qui tient au fait du rapport de l'observateur et de son objet. Dans la psychanalyse l'expérimentateur participe des faits observés et s'en trouve bouleversé du fait qu'il observe ou qu'il expérimente un appareil dont il relève lui même, venant ainsi troubler les conditions, non seulement de l'isolation nécessaire du phénomène dans le laboratoire, mais de l'observation elle-même »5Jean-Michel Vappereau, Psychanalyse et sciences, www.lituraterre.org/Psychanalyse_et_sciences-Vappereau.pdf . Or ce type de boucle épistémologique n'est nullement spécifique à la psychanalyse mais concerne également l'ethnologue, impliqué dans son observation participante, ou l'historien, qui ne peut rester étranger aux enjeux de l'histoire. La rigueur de la méthodologie de ces disciplines consiste alors à faire apparaître, de la manière la plus objective possible, les positions subjectives qui commandent le rapport aux objets de celui qui les étudie. Mais en révélant l'inquiétante nécessité du subjectif, et donc de l'inexactitude, comme limite, jusque dans les « sciences exactes » ces disciplines ne contribuent-elles pas à construire le sens d'une telle expression ? Il convient en effet de remarquer ici que les disciplines que nous citions comme l'histoire, l'ethnologie, ou la psychanalyse mais auxquelles on pourrait également ajouter la philosophie, sont des disciplines qui peuvent porter sur les sciences elles-mêmes. L'histoire et la philosophie des sciences, ou encore la micro-sociologie des sciences, promue par Bruno Latour et dont les méthodes d'observation des laboratoires se rapprochent de celles de l'ethnologie, constituent des aiguillons essentiels pour la réflexion méthodologique des scientifiques eux-même. Dans la mesure où elles reviennent sur ce qui dans les démarches scientifiques relève trop souvent du postulat ininterrogé, ces démarches retrouvent la fonction éminente que Platon attribuait à la dialectique comme interrogation sur les fondements du savoir. Disciplines critiques, leur existence même constitue ainsi une des garantie a priori de l'exactitude des sciences en les soumettant à une possible vérification de la légitimité de leurs fondements et de la transparence de leurs pratiques. Au croisement de la question de l'exactitude, qui trouve sa forme pure dans la mathématique, et de celle du savoir, dont la matière est l'expérience subjective du monde, les sciences exactes s'avancent selon l'image proposée par Kant, comme tenant d'une main leurs principes abstraits et de l'autre leurs expériences concrètes (cf préface de la seconde édition de la Critique de la raison pure déjà cité 2ème partie). Mais deux zones s'avèrent alors exclues de l'ensemble ainsi construit, et comme deux repoussoirs font apparaître la signification de l'expression « sciences exactes ». La première es t la mathématique pure comme formalisme abstrait, tandis que la seconde est celle des disciplines où une subjectivité inéliminable insiste et se donne à lire. Si les sciences exactes empruntent avec méthode à l'une et à l'autre de ces sources elles visent néanmoins un idéal de réconciliation qui les dépasserait l'une et l'autre. Comme nous l'avons montré grâce à Popper, celle-ci néanmoins ne se réalise jamais que par une série asymptotique de « touche au but quant au réel » ( Ref : Lacan « De James Joyce comme symptôme », 24 janvier 1976, revue Le croquant n ° 28, novembre 2000).

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