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Sciences & Techniques: Buffon : le Temps, grand ouvrier de la Nature

Publié le 22/02/2012

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buffon
Comment faire pour réduire la diversité apparente des êtres vivants ? Certainement pas comme les nomenclateurs, répond Buffon. Selon lui, genres, ordres et classes ne sont que les produits de notre imagination. Ses propres catégories s'appuient d'abord sur un critère physiologique : la reproduction. Mais cela ne lui suffit pas. Un autre élément s'avère indispensable : le temps. Enfin, une histoire de la Nature peut s'écrire... Les années 1766-1767 sont décisives dans la conduite éditoriale de l'Histoire naturelle. La description des singes vient d'être achevée. Elle clôt ce gigantesque panorama de deux cents espèces de quadrupèdes, en quinze volumes. Mais Buffon approche les soixante ans, son entreprise a pris du retard et, de surcroît, est devenue incertaine. Il est certes célèbre, mais désargenté. En effet, le libraire Durand est mort deux ans plus tôt, et son fond mis en vente publique. Or, outre qu'il détenait l'exclusivité de l'édition de l'Histoire naturelle, Durand était également, par un contrat signé de Buffon et Daubenton, propriétaire de tous les droits sur les réimpressions. Les voilà donc pieds et poings liés, à la merci d'un repreneur qu'ils n'auraient pas choisi. Pour 179 000 livres, obtenues grâce à des traites et des emprunts conséquents, Buffon décide de racheter l'ouvrage. Cela fait, il va devoir rembourser ses dette et son entreprise scientifique va changer dans sa forme et dans son fond. Pour rétablir ses finances, Buffon entend désormais donner à son public des salons " des matières qu'on pût lire ". Daubenton, son collaborateur et ami de la première heure, celui qui, pour chaque monographie, rédige la partie la plus ingrate à lire, la description anatomique, est évincé en 1767. Dans l'oeuvre, il convient de ne laisser au public que ce qu'il aime : la philosophie, les morceaux d'éloquence, les portraits de la nature.
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« humanité inquiétante.

La raison ne saurait souffrir l'avilissement d'une telle proximité.

Elle se doit d'affirmer la " noblesse " inaliénablede l'homme.

Au demeurant, genres, ordres et classes n'existent que dans notre imagination, ce qui laisse toute latitude pour lescritiquer. Mais qu'en est-il de l'espèce? Dès 1749, Buffon la définit par le critère de la reproduction.

Dans le premier chapitre de l' Histoire des Animaux , il écrit : " On doit regarder comme la même espèce celle qui, au moyen de la copulation, se perpétue et conserve la similitude de cette espèce, et comme des espèces différentes celles qui, par les mêmes moyens, ne peuvent rien produire ensemble . " Ce qui fonde l'unité de l'espèce, c'est l'interfécondité, la capacité d'engendrer une descendance féconde.

Tout autre critère, enparticulier morphologique, conduit à des rapprochements artificiels.

Pour preuve : l'âne et le cheval se ressemblent, mais leurcroisement génère un animal stérile, le mulet.

Ils sont donc d'espèces différentes.

En revanche, toutes les variétés de chiens, en dépitde leurs dissemblances, sont bien de la même espèce puisqu'ils se croisent continûment. Rejetant la classification des nomenclateurs, Buffon adopte dès le début de son œuvre une définition de l'espèce fondée sur un critèrephysiologique.

Il en fait ainsi une réalité naturelle. L'interfécondité n'est toutefois pas, pour Buffon, la seule caractéristique de l'espèce.

Il la complète d'autres qui donnent à l'ouvrage unton profondément différent d'une nomenclature classique : le comportement des animaux, leurs instincts, leur tempérament, leurhabitat, leur vie sociale...

Aussi, dans le discours d'ouverture de son œuvre, écrit-il : " L'histoire d'un animal doit être non pas l'histoired'un individu, mais celle de l'espèce entière de ces animaux.

" Car, explique-t-il, " elle doit comprendre leur génération, le temps deleur prégnation, celui de l'accouchement, le nombre des petits, les soins des pères et des mères, leur espèce d'éducation, leurinstinct, les lieux de leur habitation, leur nourriture, la manière dont ils se la procurent, leurs mœurs, leurs ruses, leur chasse, ensuiteles services qu'ils peuvent nous rendre, et toutes les utilités ou les commodités que nous pouvons en tirer...

" A l'inverse desclassificateurs, il valorise expressément ce type de description.

L'ouvrage gagne ainsi une forte coloration littéraire, mais dans lerespect du principe que s'est fixé l'auteur : ne pas ennuyer le lecteur tout en étant exact. Les anecdotes sur la vie et les ruses des animaux, la référence aux voyageurs qui décrivent les variétés exotiques, le recours à unvaste réseau de correspondants qui multiplient les informations répondent donc à une double préoccupation.

D'abord donner des faits dans une forme plaisante.

Ensuite et surtout, fonder par ces descriptions une approche éthologique de l'espèce.

Si le chien et le louprépugnent à s'unir quand les chiens de toutes races le font sans retenue, on doit en conclure qu'ils n'appartiennent pas à une mêmecatégorie.

Leurs espèces n'ont pas d'affinités : " c'est (...) par le naturel des animaux qu'on doit juger de leur nature ". De l'espèce au genre Ces certitudes, assises sur le bon sens, vont peu à peu s'ébrécher vers la fin des années 1750.

Un doute s'instaure d'abord sur laréalité des barrières spécifiques.

Certes, le fait est évident que les espèces sont séparées " par un intervalle que la nature ne peut franchir ".

En clair, n'importe quel accouplement interspécifique n'est pas possible.

Mais, puisque le bélier " se joint à la chèvre ", est- on certain que le cheval ou le cerf ne produisent jamais avec la vache? On sait aussi que, malgré la ligne de séparation qui lesprotège, certaines espèces de petits quadrupèdes, tels les rongeurs, offrent un grand nombre de rapports.

Ces espèces paraissentainsi graviter autour d'un centre commun qui pourrait être leur prototype.

Et alors que dans l'article du Rat, paru en 1758, Buffon disaitque le " genre " n'existe que pour celui qui voit " les objets en gros ", que " l'ignorance a fait les genres ", dans celui du Lion paru trois ans plus tard, il concède que certains animaux comme le chien, le loup, le renard et le chacal pourraient bien être des " branches dégénérées de la même famille ". Par la " dégénération ", ou en termes modernes, la variation, le Temps faisait son entrée...

Mais de façon bien particulière, nous allonsle voir sous peu. Dorénavant, Buffon crée une sorte de hiérarchie entre les animaux.

Certains d'entre eux sont distingués comme des " espèces nobles", isolées et seules de leur " genre ".

Leur caractéristique est d'avoir échappé à toute dégradation. Rebaptisées " majeures " dans la suite des études, ces espèces sont peu nombreuses.

Outre l'homme etle lion, grâce auxquels il a pu fixer le concept, Buffon énumère le rhinocéros, l'éléphant, l'hippopotame, lagirafe, le chameau, le tigre, l'ours et la taupe.

Il admet encore trois autres espèces majeures sur lecontinent américain : le tapir, le lama et le cabiai. En descendant dans la hiérarchie, toutes les autres espèces sont présumées sujettes à dégradation.Elles seront plus ou moins " inférieures " à proportion de leurs signes de dénaturation.

Ainsi, le cheval est flanqué de l'âne.

Leur union, quoique improductive puisque leurs bâtards sont, de nature, " indignes de faire race ", atteste néanmoins leur proximité. Le temps, traduit à travers l'adultération d'un prototype, devient ainsi pour le naturaliste un élément régulateur de sa classification.

Lecas des animaux domestiques est particulier.

Soumis plus que leurs congénères sauvages aux " maux de l'esclavage ", il faut bien admettre, dira Buffon en 1764 dans l'article du Mouflon, que l'homme a créé des " genres physiques et réels ".

On voit ainsi réapparaître la notion de genre, tant décriée quelques années auparavant.. »

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