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Suffit-il pour être soi-même d'être différent des autres?

Publié le 24/02/2005

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[Être différent ne suffit pas. Être soi-même, c'est aussi être un homme semblable à tous les autres hommes. Pour être moi-même, il faut que je sois différent des autres, mais il faut aussi que je leur ressemble. Chacun est une individualité originale, mais, pour être une personne, il faut être semblable aux autres.] Être soi-même, c'est être conscient de soi Or, être conscient de soi, c'est être conscient de soi comme homme. Pour être conscient de soi comme homme, il faut avoir été reconnu comme tel par un autre homme. Donc, pour être soi-même, il faut d'abord être comme l'autre, et ce n'est qu'ensuite que l'on peut s'en différencier.Je ne suis qu'un élément dans un ensemble Lorsque je m'interroge sur mon être propre, je m'aperçois que je me réduis facilement à n'être que l'élément d'une catégorie. L'orgueil de famille, de caste ou de patrie n'est rien d'autre que l'affirmation qu'être soi-même, c'est d'abord appartenir à un groupe et se définir comme ayant, avec les autres et comme eux, les qualités dont le groupe se targue. Pour être soi-même, il faut alors être comme les autres.


« [Introduction] Affirmer sa personnalité, c'est s'opposer à tout ce qui n'est pas conforme à elle.

Cependant, la différenciation à toutprix ne peut tenir lieu de personnalité.

L'être qui n'existe que dans l'opposition à autrui est tout aussi vide que celuiqui ne s'oppose à rien parce qu'il n'est rien lui-même.

On ne peut devenir soi complètement par référence à autrui.Que faut-il donc ajouter à la simple différenciation des autres pour atteindre son être véritable? Nous essaierons detracer le chemin résolument personnel par lequel le moi, s'arrachant aux relations qui le lient aux autres, peut entreren possession de soi.

Nous découvrirons que la route qui mène à soi passe encore par autrui.

Ce sont donc lesrelations complexes qui m'unissent aux autres qu'il faut élucider. [I.

Être soi-même en référence à autrui.] [1.

Être soi-même, c'est être différent : le dandysme.

]Être soi-même équivaudrait à se démarquer des autres.

De là une recherche de l'originalité pour elle-même, ce quisuppose une exaltation de la subjectivité fondée sur le mépris du commun des mortels.

On reconnaît là les principesdu dandysme tel que l'a défini Baudelaire (cf.

Le Peintre de la vie moderne, chap.

IX « Le Dandy »).

Pour l'auteur de« L'Albatros », l'artiste ne peut réellement être lui-même que loin des foules qui l'obligeraient au conformisme et àune vie sociale normative.

Au contraire, le dandy est l'homme qui fait de son originalité la marque de son identité etrefuse de se situer dans une lignée quelconque.

Cette recherche forcenée de soi dans la différenciation passe parune extrême attention à l'apparence, l'élégance étant pour le dandy « un symbole de la supériorité aristocratique deson esprit » : c'est ce qui manque et manquera toujours au vulgaire.On retrouve cette manière de se distinguer par l'apparence physique dans les différentes formes de rébellion etd'opposition à la société ou à la famille, par lesquelles les adolescents tentent d'affirmer leur personnalité naissante.Ce qui frappe dans les deux exemples, par ailleurs si dissemblables, c'est la force avec laquelle l'individu s'oppose auxautres. [2.

Se démarquer d'autrui, c'est encore en subir l'influence.

] La recherche de l'originalité pour elle-même présentedonc un paradoxe.

Au moment où l'on prétend être soi-même, c'est par rapport aux autres qu'on se détermine.

Toutce que les autres sont, c'est cela qu'on ne veut pas être.

L'original adopte au fond la même attitude que ceux qu'ilse défend d'être : là où le conformiste agit en imitant autrui, il le fait en s'opposant à autrui ; autrui reste donc lepôle déterminant.

L'original est aliéné : il vit dans un autre (être aliéné, c'est ne plus s'appartenir).On reliera cela à la critique que fait Rousseau de la société.

En société, les hommes cessent de se déterminer pareux-mêmes, et n'existent plus que sous le regard d'autrui.

L'hypocrisie (hypocrite signifie en grec « comédien ») estdonc le vice social par excellence.

L'homme n'agit qu'en se comparant à autrui ou en recherchant son approbation.Par exemple, l'amoureux veut avant tout plaire à l'objet de sa flamme qu'il institue en juge de tous ses actes.

Cettealiénation est redoublée dans la jalousie : il cherchera d'autant plus à être aimé qu'il triomphera par là de son rival, ilne jouit que du bien qu'on lui dispute.

(Voir aussi la différence entre l'« amour-propre » qui fait intervenir unecomparaison avec autrui, et l'« amour de soi », dans le Discours sur l'origine de l'inégalité.)Le phénomène de la mode confirme ces analyses.

Elle met en jeu un constant échange de regards : être à la mode,c'est s'opposer à ceux qui ne le sont pas et imiter ceux qui le sont déjà.

D'où le perpétuel renouvellement des modes: la longueur des jupes ou la hauteur des talons n'ont pas de signification en soi, ces critères ne valent que dans unjeu d'opposition.

On peut même pousser le paradoxe plus loin : être à la mode peut signifier être sciemment démodé(voir le dandysme fin de siècle de Barbey d'Aurevilly)! La mode n'exprime donc pas la personnalité, mais traduit ladépossession de soi par le regard d'autrui. [3.

Être soi-même, c'est être indépendant des autres.

]En conséquence, l'originalité, loin d'être la garantie d'une forte personnalité, témoigne d'une absence depersonnalité.

Que suis-je? Rien de ce que les autres sont, c'est-à-dire rien de défini, n'importe quoi.

L'excentrique sesitue négativement hors des normes, mais sait-il lui-même où il se trouve? II n'est que recherche de soi.L'originalité n'a donc pas de valeur en tant que telle.

Elle ne vaut que si elle répond à une nécessité intérieure :seule la sincérité a du prix.

Être soi-même, ce n'est donc pas être différent, mais être indépendant.

La certituded'être soi se passe de l'approbation et ne se fait pas un point d'honneur à s'opposer systématiquement aux autres.L'esprit libre est à lui-même sa propre justification ; il est, selon la distinction de Nietzsche, actif et non réactif : ilcrée ses propres valeurs au lieu de se prononcer par référence à celles des autres.Cependant, il ne suffit pas d'être sincère pour être libre.

Un esprit libre est plutôt un esprit libéré.

C'est en effetjusque dans mes pensées personnelles, dans mes goûts subjectifs que je suis aliéné par le regard de l'autre.

Pourdevenir soi-même, il faut donc se détacher de tout ce qui en soi est factice, lié à la vie en société.

L'opposition àautrui prend ici un sens nouveau : il ne s'agit plus de marquer sa différence, mais de dépasser l'opposition del'original et du conformiste, par une libération à l'égard de tout apport extérieur.

Ainsi, pour avoir du goût, il fautprendre le risque de se détacher des goûts de sa classe ou des contestataires de sa classe.

De même, il n'y a deliberté et de sincérité dans nos actes qu'en se délivrant des « tabous », ce qui ne veut pas dire qu'on lestransgressera systématiquement, mais qu'on sera prêt à le faire, si on en éprouve la nécessité.

Ce détachement àl'égard de tout préjugé, de toute autorité extérieure, cet esprit de libre-examen est aussi le propre de laphilosophie; on se souviendra de Descartes mettant, grâce au doute, tout savoir entre parenthèses.

On ne devient. »

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