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Trois dialogues entre Hylas et Philonous - George Berkeley - Premier dialogue

Publié le 22/02/2012

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berkeley

PHILONOUS.— Mais si les mêmes arguments que l'on a mis en avant contre les qualités secondes valaient encore contre celles-ci, qu'en diriez-vous ?

 

HYLAS.— Eh bien, je serais alors obligé de croire qu'elles aussi n'existent que dans l'esprit.

 

PHILONOUS.— Êtes-vous d'avis que la même figure et la même étendue que vous percevez par les sens existent dans l'objet extérieur ou substance matérielle ?

 

HYLAS.— Précisément les mêmes.

 

PHILONOUS.— Tous les autres animaux ont-ils d'aussi bonnes raisons pour penser de même de la figure et de l'étendue qu'ils voient et qu'ils touchent ?

 

HYLAS.— Sans aucun doute, pour peu qu'ils pensent...

 

PHILONOUS.— S'il en est ainsi, n'est-il pas nécessaire que leurs sens leur permettent de percevoir leurs propres membres et les corps qui peuvent leur être nuisibles ?

 

HYLAS.— Certainement.

 

PHILONOUS.— Il faut alors supposer qu'une mite voit ses propres pattes et les choses de grandeur égale ou même moindre comme des corps de dimension assez considérable, bien qu'au même moment ces mêmes choses vous apparaissent, à vous, comme à peine discernables ou tout au plus comme autant de points visibles.

 

HYLAS.— Je ne puis nier cela.

 

PHILONOUS.— Et à des créatures plus petites que la mite, ces corps sembleront encore plus grands ?

 

HYLAS.— Certes.

 

PHILONOUS. — Ainsi ce que, vous, vous distinguez à peine, apparaîtra à un autre animal extrêmement petit comme quelque montagne énorme.

 

HYLAS.— Tout cela, je l'accorde.

 

PHILONOUS.— Une seule et même chose peut-elle, au même moment et en elle-même, être de dimensions différentes ?

 

HYLAS.— Ce serait absurde à penser.

 

PHILONOUS.— Mais, de ce que vous avez posé en principe, il suit que aussi bien l'étendue perçue par vous que celle que perçoit la mite elle-même et pareillement celles que perçoivent des animaux plus petits sont chacune l'étendue véritable des pattes de la mite : ce qui revient à dire qu'en vertu de vos propres principes, vous êtes conduits à une absurdité.

 

HYLAS.— Oui, ce point semble offrir quelque difficulté.

 

PHILONOUS.— Autre chose : n'aviez-vous pas reconnu qu'aucune propriété réelle inhérente à quelque objet, ne peut être modifiée sans quelque modification dans la chose même ?

 

HYLAS.— C'est vrai.

 

PHILONOUS.— Mais, à mesure qu'on s'approche ou qu'on s'éloigne d'un objet, son étendue visible varie jusqu'à être, à une certaine distance, dix ou cent fois plus grande qu'une autre. Ne suit-il donc pas de là qu'elle aussi n'est pas réellement inhérente à l'objet ?

 

HYLAS.— J'avoue que je ne sais plus que penser.

 

PHILONOUS.— Votre jugement sera bientôt fixé si vous osez penser aussi librement sur cette qualité que vous avez fait sur les autres. N'avez-vous pas admis comme un argument solide que ni la chaleur ni le froid n'existaient dans l'eau, parce qu'elle semblait chaude à une main et froide à l'autre ?

 

HYLAS.— En effet.

 

PHILONOUS.— Et n'est-ce pas raisonner tout de même que de conclure qu'il n'existe ni étendue ni figure dans un objet, puisqu'il semble à un de nos yeux petit, uni et rond, au moment qu'il apparaît à l'autre grand, inégal et anguleux ?

 

HYLAS.— Exactement de même. Mais ce dernier cas se produit-il jamais ?

 

PHILONOUS.— Vous pouvez, quand vous voudrez, faire l'expérience en regardant avec un des yeux nu, et avec l'autre à travers le microscope.

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