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Un critique contemporain, M. André Thérive, écrit : « La littérature dans son ensemble sert à faire mieux connaître l'homme. Au temps des classiques, la vérité générale, l'homme abstrait, suffisait encore. L'homme concret est une conquête de l'époque moderne ». Vous montrerez comment cette « conquête » a été préparée par les écrivains du XVIIIe siècle. ?

Publié le 28/06/2009

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INTRODUCTION Pour tout Français, penser au XVIIIe siècle, c'est penser à la Révolution. Et sans doute n'est-il pas illusoire de retrouver presque partout dans la civilisation ou les événements de ce temps, l'aspiration aux libertés, la montée du Tiers-État, la culture de l'irrespect. Mais quand il s'agit seulement de littérature, cette perspective n'est peut-être pas la meilleure. S'il est vrai, comme l'a écrit André Thérive, que « la littérature dans son ensemble sert à faire mieux connaître l'homme «, on sera fondé à examiner les écrivains du XVIIIe siècle sur les progrès qu'ils ont assurés à cette connaissance. « Au temps des classiques, écrit le même critique, la vérité générale, l'homme abstrait, suffisait encore. L'homme concret est une conquête de l'époque moderne «. La littérature du XVIIIe siècle peut-elle effectivement être comprise comme une découverte progressive de « l'homme concret « ?

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« préparation des planches de l'Encyclopédie, et avec une ampleur grandiose dans les divagations du Rêve ded'Alembert : « Changez le tout, vous me changez nécessairement...

»Ainsi, la recherche de l'homme concret est au centre de la philosophie du XVIIIe siècle.

Comment, dès lors, ne seretrouverait-elle pas dans ses oeuvres proprement littéraires ? L'imagination créatrice pourra s'exercer sur ladiversité des civilisations, et ce sera la couleur locale ; sur la vie quotidienne, et ce sera le réalisme; sur l'expérienceintérieure la plus immédiate, et ce sera une certaine forme de lyrisme. III.

LITTÉRATURE DE L'HOMME CONCRET Couleur locale On sait combien la couleur locale reste pâle et superficielle dans le théâtre du xviiie siècle, malgré les Turcs, les Arabes et les Chinois des tragédies de Voltaire.

Mais dans les oeuvres narratives elle foisonnedavantage.

Usbek reçoit des lettres de Perse, Candide fait le tour du monde ; çà et là le lecteur découvre avec eux,au-delà du chatoiement des apparences, les aberrations qui menacent les hommes dans un pays où règnent lapolygamie, la théocratie ou la féodalité — Ispahan, Lisbonne, la Westphalie — ou dans une société coloniale, ouencore dans une civilisation du luxe et du loisir — Surinam, Venise.Rousseau ne s'en va pas si loin ; mais sa Nouvelle Héloïse invite les Parisiens à une autre découverte : celle d'unehumanité saine et heureuse, au bord d'un lac, sur le penchant des montagnes.

Et sans doute veut-il, par cetableau, réveiller en eux l'homme naturel, qui est de toujours et de partout.

Mais pour le peindre il a fait revivre enlui le pays de sa jeunesse.

Et des milliers de lecteurs pleurent en lisant ces lettres, qu'ils croient réellement écritespar « deux amants habitants d'une petite ville au pied des Alpes ».

On ne pleure pas sur l'homme abstrait.Réalisme Quant au réalisme, il accomplit au XVIIIe siècle un double progrès : d'une part, certaines fictions romanesques — Gil Blas, le Neveu de Rameau — présentent un tableau d'ensemble des rouages de la société; etd'autre part, des nuances plus fines apparaissent dans la peinture de la vie ordinaire.

Soucis d'argent, de santé, deprofession, particularités physiques ou vestimentaires, querelles, bassesses et expédients, boire et manger, ontrouvait bien tout cela dans Boileau, Molière, La Bruyère, La Fontaine ou Scarron, mais c'était toujours avec quelquepointe comique, un peu de caricature, de fantaisie ou d'emphase burlesque.

Les auteurs prenaient leurs distances àl'égard de « l'homme concret », et ne l'offraient pas à la familiarité du lecteur comme un ami ou un autre lui-même.Sans renoncer à cette veine comique, les auteurs du xviiie siècle sont devenus capables de regarder aussi lescontingences de la vie avec bonhomie, voire avec respect et émotion.

C'est ce qu'ont voulu faire Diderot et Sedainedans leur théâtre « sérieux », qui s'inspire peu des « caractères », et bien davantage des épreuves qu'inflige à debraves gens leur « condition » sociale, familiale ou professionnelle.

Mais c'est dans le roman que cette vie concrètetrouve son expression la plus juste, sans déclamation, à l'échelle des « petits faits ».

Le paysan et la Marianne deMarivaux racontent ingénument leur arrivée à Paris, leurs premiers étonnements, les hasards qui leur ont fait prendreconscience d'eux-mêmes, de leurs faiblesses, de leurs chances.

Avec eux on parcourt les rues, les cuisines, lessalons, on voyage en coche, on couche en prison ou à l'auberge.

Pas un fait qui n'éveille chez eux quelque nuancede sentiment, pas un sentiment qui n'ait son occasion dans quelque circonstance extérieure.

Il en est de même enbien des passages de Manou Lescaut ou de la Nouvelle Héloïse, entre les analyses et les effusions.

Ici l'homme estconcret avec grâce et liberté, sans la stylisation classique, sans les environnements surchargés du roman balzacien. Lyrisme D'un point de vue tout différent, c'est bien à la « connaissance de l'homme concret » que contribue Rousseau lorsqu'il invente une nouvelle manière de communiquer les sentiments : non pas seulement de lesexpliquer, ce qui serait de l'abstraction, mais de les faire frémir dans les coeurs.

Le bonheur de Rousseau à l'îleSaint-Pierre est ce qu'il y a de plus impalpable, mais aussi de moins « abstrait ».

Cet homme s'est laissé imprégner, iln'existe plus que par le bruit de l'eau, par la douceur du soir, par la transparence des horizons.

Et pour nous iln'existe que par l'ondulation de quelques phrases.

Cas extrême d'une présence humaine saisissante et pourtantprise, ou dissoute, dans les choses.

Mais sans aller si loin, toutes les fois que Rousseau, et après lui Bernardin deSaint-Pierre, évoquent un paysage en laissant chanter leur phrase — « le bruit égal et mesuré des rames »...

« Ilavait fait très chaud ce jour-là »...

« Les vents retenaient leurs haleines »...

— c'est qu'ils savent combien l'hommeest pris, au plus obscur de son être, dans un réseau secret de sensations et d'influences.

Romantiques etsymbolistes ne feront que tirer de cette intuition toutes ses conséquences. CONCLUSION De tels panoramas sont toujours contestables.

Une certaine sécheresse raisonneuse n'a jamais désarmé chez lesécrivains du xviiie siècle : Taine voyait en elle le vice du siècle, et la source de ce qu'il y eut de fanatique etd'utopique dans la politique de la Révolution.

Mais la vision proposée par le jugement d'André Thérive est sans doute plus vraie : elle a au moins le mérite, toute schématique qu'elle soit, de ne pas trop simplifier, de ne pas jugeren bloc un siècle qui fut divers.

De la promenade pittoresque au recueillement, le « concret » a mille visages ; ilmène à tout, tendresse ou dilettantisme, générosité ou cynisme, refus de telle métaphysique ou recherche d'uneexpérience religieuse.

Il embrasse les aspects contradictoires sous lesquels chacun peut aimer ou non le xviiie siècle.. »

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