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junte (histoire)

Publié le 11/02/2013

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histoire

1   PRÉSENTATION

junte (histoire), nom donné aux groupes dirigeants qui assurent — en général à l’issue d’une prise du pouvoir par la force — la direction d’un certain nombre de pays latino-américains.

Le pouvoir des « juntes «, sous ses différentes acceptions, est au cœur de l’histoire du continent sud-américain aux xixe et xxe siècles. Les militaires y jouent un rôle capital.

2   UNE NOTION D’ORIGINE ESPAGNOLE…

Issu du castillan junta, le terme de junte est empreint de l’ambivalence qui entoure cette expression dans sa langue d’origine, puisqu’elle recouvre des réalités assez différentes. De manière générale, le terme désigne une assemblée pourvue d’un caractère consultatif — une réunion de personnes ayant pour but de trouver des solutions à un problème ou à un ensemble de problèmes spécifiques ; mais cette définition se double d’une autre : la junte peut également être une assemblée exécutive régissant de manière plus ou moins permanente un ensemble de domaines.

Si la première définition est celle qui correspond aux assemblées consultatives dont s’entourait le monarque espagnol pour gérer certaines questions dans ses royaumes (la guerre par exemple), la seconde trouve son expression la plus claire dans les juntes qui se forment à différents moments de l’histoire espagnole, pour assumer — de manière provisoire ou non — les rôles normalement dévolus aux pouvoirs constitués.

Ainsi, en 1808, lors de l’invasion napoléonienne de l’Espagne et de la mise sur le trône de Joseph Bonaparte, frère de l’empereur, c’est par des juntes que le peuple espagnol répond à la vacance du pouvoir royal légitime. Des juntes se forment alors dans chaque province ; elles sont elles mêmes présidées par une junte centrale, réfugiée d’abord à Séville (1809), puis à Cadix (1810).

3   …TRÈS PRÉSENTE EN AMÉRIQUE LATINE
3.1   Les premières juntes au xixe siècle

Dans l’Amérique espagnole, les événements européens ont exactement les mêmes conséquences : dès 1810, les principales villes du continent — Caracas, Buenos Aires, Bogota, Santiago du Chili — voient s’organiser des juntes qui prennent provisoirement les rênes du gouvernement, tant que le roi espagnol Ferdinand VII, seule autorité légitime, demeure « prisonnier des Français «.

Le parallélisme des réactions en Espagne et en Amérique latine révèle de manière paradoxale — les juntes américaines sont le prélude à l’indépendance — la profonde unité de l’empire hispanique. En effet, cette identité, dans la forme, des juntes qui gèrent les affaires courantes au nom du roi, renvoie à une même et unique conception : dans la tradition du droit espagnol, le roi est lié à la communauté qui lui a délégué le pouvoir d’exercer la souveraineté, notion proche de l’idée de contrat. Que le roi vienne à être dans l’incapacité de gouverner et le contrat est rompu, ce qui autorise la communauté à reprendre le pouvoir qu’elle avait délégué. C’est seulement lorsque le monarque est en mesure d’assumer à nouveau ses fonctions que le pouvoir peut lui être rétrocédé.

Dans la tradition hispanique, la communauté est représentée par le municipe ; c’est pour cela que dès l’annonce de l’abdication de Ferdinand VII au profit de Joseph Bonaparte, à qui l’on nie toute légitimité, des cabildos abiertos (séances municipales ouvertes aux habitants) se forment dans les principales villes de l’empire américain afin de constituer les juntes qui doivent suppléer au pouvoir royal à l’échelon local.

Il s’agit donc d’un héritage ancien qui impose comme une évidence l’idée — tacite ou non — que devant le dysfonctionnement de l’appareil étatique, la meilleure part du corps social se doit de reprendre le pouvoir souverain en s’assemblant en junte, afin de jeter les bases d’un nouveau contrat social. Cette logique se trouve à la base de la plus grande partie des bouleversements politiques ayant caractérisé l’histoire des nations de l’Amérique latine au xixe et au xxe siècle.

3.2   Les militaires, élément fondamental du jeu politique

Dans cet élan de renouveau, une place fondamentale revient aux militaires. Ils se trouvent systématiquement à la tête des pronunciamientos (coups d’État) ou cuartelazos (coups de caserne) qui jalonnent la vie politique du continent.

En effet, les guerres d’indépendance consacrent le rôle de l’armée comme l’un des protagonistes essentiels de la vie des jeunes républiques américaines. Avec sa structure hiérarchique et organisée, l’armée demeure de surcroît, et pour longtemps, le seul corps efficace au sein de sociétés exsangues à l’issue des guerres d’indépendance. Elle est la seule force institutionnelle à pouvoir donner une certaine réalité aux balbutiements de l’État naissant. L’armée est ainsi investie d’une fonction allant bien au-delà de la seule défense du territoire : celle d’assurer la continuité des nouvelles institutions. Rien d’étonnant dans ces conditions à ce que les chefs des armées nationales prennent ce rôle très à cœur, confondant dans un même élan leurs intérêts personnels et ceux de la « nation «.

Tous les éléments constitutifs que suggère aujourd’hui l’idée de « junte « se trouvent ainsi réunis dès le début du xixe siècle : il s’agit de groupes de militaires s’emparant du pouvoir politique par la force et établissant une dictature, le plus souvent de « salut national «.

Cependant, le difficile processus de réorganisation territoriale et de consolidation du pouvoir étatique en Amérique latine au xixe siècle donne un rôle prépondérant non à la figure du militaire, mais à celle du caudillo. L’armée a beau être une structure organisée, sa base urbaine la coupe des vastes étendues rurales, dominées par des chefs locaux aux clientèles assujetties de manière inconditionnelle, les caudillos. Ces grands seigneurs territoriaux, propriétaires d’haciendas, estancias, fundos ou fincas (la terminologie varie selon les régions), capables de mobiliser de véritables armées de peones (paysans), ne sont pas des militaires — malgré le titre de général qu’ils se donnent le cas échéant — mais des potentats locaux. Ce sont eux qui dominent la vie politique du xixe siècle latino-américain à travers les guerres civiles qu’ils provoquent pour servir leurs intérêts personnels. Le général-président Antonio López de Santa Anna au Mexique (1833-1855), Juan Manuel de Rosas en Argentine (1835-1852), Antonio Guzmán Blanco au Venezuela (1870-1888) en sont des exemples emblématiques.

3.3   La réorganisation de l’État et le retour des militaires au xxe siècle

Les militaires ne reviennent sur le devant de la scène qu’au xxe siècle, à la suite de l’organisation d’armées nationales, à l’opposé donc de l’esprit localiste des caudillos. Issues des structures de défense dont se dotent des États désormais organisés, ces armées n’en sont pas moins les héritières des conceptions politiques du xixe siècle, donnant aux militaires un rôle prépondérant dans la protection de l’État. Aussi, le cas échéant, l’armée peut se retourner contre les représentants du pouvoir politique qu’elle est censée défendre dans le cas où le pays serait en danger.

La prise du pouvoir par les militaires s’exprime alors le plus souvent par la création de juntes — regroupant les trois ou quatre bras armés du pays —, juntes qui, dans le droit fil de la tradition hispanique héritée du xixe siècle, s’arrogent la représentation de la nation tout entière. Elles sont censées assurer la « sauvegarde du pays « et ne constituent bien souvent que l’étape précédant l’instauration d’un système dictatorial personnel.

Les juntes apparaissent donc comme un recours à la force permettant aux militaires d’intervenir à tout moment dans la vie politique d’un pays. Les putschistes justifient le plus souvent leur action par le prétendu mauvais fonctionnement des institutions ou le détournement de celles-ci, facteurs les ayant « obligé « à intervenir. Dans la réalité, le recours aux armes et aux coups d’État est en lui-même le symptôme d’un profond dysfonctionnement des règles du jeu démocratique que l’on ne respecte que tant qu’il n’entre pas en contradiction avec les idéaux sociaux que l’on défend. Dans les sociétés d’Amérique latine, profondément inégalitaires, on comprend que l’idée démocratique, c’est-à-dire le pouvoir au plus grand nombre, soit un ferment permanent de subversion.

3.4   Les juntes militaires : un même moyen pour des fins multiples

Pourtant, contrairement aux idées reçues, le coup d’État et l’installation de juntes militaires de gouvernement ne sont pas l’apanage des extrêmes droites latino-américaines et de leurs alliés militaires, car le potentiel subversif du système de la junte a également été utilisé par des soulèvements militaires situés à la gauche de l’échiquier politique.

Ainsi, en 1932, au Chili, un soulèvement militaire, parti de l’École d’aviation sous la direction du colonel Marmaduque Grove, met au pouvoir une junte de gouvernement qui proclame l’instauration de la République socialiste du Chili, appelée à ne durer que quelques mois. De même au Pérou, le coup d’État du 30 octobre 1968 porte à la tête du pays une junte dirigée par le général Juan Velasco Alvarado, qui se donne pour objectif de construire une « démocratie sociale « solidaire et autogestionnaire. Parmi les premières mesures prises par cette junte, figurent une réforme agraire (juin 1969), la création de coopératives agricoles et la nationalisation des industries de base.

Il n’en demeure pas moins vrai que, sur l’ensemble du xxe siècle, les interventions de juntes militaires en Amérique latine sont des manifestations des groupes les plus réactionnaires au sein des armées, le plus souvent avec la connivence des bourgeoisies nationales et l’aide économique des États-Unis. C’est notamment le cas avec la vague de coups d’États qui déferle sur le continent à la suite de la révolution castriste à Cuba. En Argentine et au Pérou (1962), au Guatemala, en Équateur, en République dominicaine (1963), au Brésil et en Bolivie (1964), c’est en effet le climat d’effervescence politique suscité par l’expérience cubaine qui explique sans doute l’inquiétude des élites dominantes et le recours systématique à l’armée et aux juntes. Dans les années 1970, les deux exemples du Chili (Augusto Pinochet, 1973) et de l’Argentine (Jorge Rafael Videla, 1976), qui voient successivement des juntes militaires prendre le pouvoir par des coups d’États, ont marqué les consciences et restent dans les mémoires comme la définition même de la junte militaire, associée désormais aux atteintes aux droits de l’homme ainsi qu’à la torture.

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