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Les aspects du comique : dissertation rédigée

Publié le 18/09/2010

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Sujet : Les aspects comiques d’une pièce de théâtre ne servent-ils qu’à faire rire ? Vous vous appuierez pour répondre à cette question sur les textes du corpus ainsi que sur des pièces que vous aurez lues ou dont vous aurez vu une représentation.

 

La comédie est étroitement associée au rire comique, c’est-à-dire au plaisir et au divertissement que le spectateur recherche en se rendant au théâtre. Molière lui-même fait du rire un élément essentiel de la comédie. Au XVIIe siècle, cette fonction divertissante est l’une des raisons qui font de la comédie un genre moins noble que la tragédie. Pourtant, les aspects comiques d’une pièce de théâtre ne servent-ils qu’à faire rire ? Le rire est en effet rarement vain ou gratuit, et la visée pédagogique et morale n’est jamais loin dans la comédie qui aspire, comme le rappelle Molière, à faire rire en instruisant, n’en déplaise à ses détracteurs. Nous verrons alors que, si le comique au théâtre est source de plaisir et de divertissement, il peut également avoir une fonction critique et pédagogique, et permettre ainsi au spectateur de prendre ses distances par rapport à la réalité.

 

La fonction première du comique est bien sûr le divertissement.

Faire rire paraît être la principale ambition de la farce du Moyen Âge. C’est le cas, par exemple, de La Farce de Maître Pathelin, au XVe siècle, où l’intrigue rudimentaire, les personnages typés, l’évocation du « bas corporel « et l’exploitation des ressources du quiproquo et du comique de gestes, sont au service du rire et du divertissement. La Commedia dell’arte, apparue en Italie au XVIe siècle, stylise ces procédés et utilise des masques grotesques pour attirer et amuser le public.

A l’époque classique, Molière, dans ses comédies aux intrigues plus complexes, sait lui aussi tirer le meilleur parti des procédés farcesques : ainsi, Le Médecin malgré lui commence par une scène de ménage, et l’on retrouve dans Les Fourberies de Scapin, des scènes de bastonnade, des quiproquos et des déguisements : comment, par exemple, ne pas rire de bon cœur à la scène 2 de l’acte III, où le rusé valet assène des coups de bâton à l’antipathique Géronte, caché dans un sac ? Le comique de gestes se double bientôt d’un comique de situation, lorsque Géronte, sortant la tête du sac, surprend l’auteur des coups. Cette scène permet en effet au spectateur de rire à gorge déployée.

A la fin du XIXe siècle, le genre du vaudeville, dont Labiche, Feydeau et Courteline sont les principaux représentants, vise lui aussi essentiellement à divertir. La société de l’époque raffole en effet de ces petites pièces faciles mêlées de chansons qui, bien qu’elles soient considérées comme une forme théâtrale mineure, n’ont perdu aujourd’hui ni de leur succès ni de leur force comique. Dans On purge bébé de Georges Feydeau, par exemple, le dialogue entre Follavoine et Rose, la femme de ménage, à propos des Hébrides, est extrêmement amusant et repose avant tout sur le comique de mots. L’évocation du « bas corporel « et la grossièreté ne sont pas, en effet, les seuls aspects comiques d’une pièce de théâtre et le rire peut être aussi plus subtil.

Mais, même dans le vaudeville, le rire n’est pas gratuit et, derrière les dialogues légers et amusants de On purge bébé ou du Chapeau de paille d’Italie de Labiche, apparaît une satire de la société.

 

Au-delà du divertissement, le comique, au théâtre, a souvent pour fonction de dénoncer et de critiquer les mœurs.

L’ambition critique de la comédie, qui vient s’ajouter au simple divertissement, est affirmée par Molière dans une citation célèbre : « Le devoir de la comédie étant de corriger les hommes en les divertissant, j’ai cru que, dans l’emploi où je me trouve, je n’avais rien de mieux à faire que d’attaquer par des peintures ridicules les vices de mon siècle «, écrit-il à propos de Tartuffe. Ainsi, la plupart des pièces de Molière ont une cible : les faux dévots dans Tartuffe, les mondains dans Le Misanthrope, les pédants dans Les Femmes savantes, les médecins dans Le Malade imaginaire, etc. Dans Le Bourgeois gentilhomme, le dramaturge se moque des prétentions nobiliaires du bourgeois parvenu qu’est M. Jourdain, mais aussi de tous les pédants qui profitent de sa bêtise et de sa crédulité. Lorsque Molière tourne en ridicule ses personnages et fait rire à leurs dépends, il attaque donc indirectement certains des travers de son époque.

Exhiber ainsi les défauts humains de façon jubilatoire, c’est inciter le spectateur à les mettre à distance pour mieux s’en libérer. La comédie fonctionne en effet sur le modèle du miroir déformant, renvoyant à la société une certaine image d’elle-même, afin de l’amener à se corriger. A la suite de Molière, des auteurs du XVIIIe siècle tels que Marivaux et Beaumarchais, ont eux aussi pour but de corriger les mœurs par le rire. Ainsi, dans L’Ile des esclaves, maîtres et valets doivent échanger leurs vêtements, leurs conditions, et même leurs noms. Le procédé carnavalesque de l’inversion des rôles a pour but d’amuser les spectateurs, mais aussi de prôner des rapports plus humains entre les hommes en donnant une leçon aux personnages mais aussi aux spectateurs. Dans sa préface du Mariage de Figaro, Beaumarchais déclare avoir voulu stigmatiser dans sa comédie « une foule d’abus qui désolent la société «. Les aspects comiques de la pièce se doublent alors d’une dimension satirique et contestataire qui lui confèrent une portée révolutionnaire. La virtuosité du langage, les coups de théâtre et les ingénieux jeux de scène sont l’occasion de diffuser un message de liberté et d’égalité. « Il faudrait détruire la Bastille pour que cette pièce ne soit pas une inconséquence dangereuse «, aurait même dit Louis XVI, montrant le pouvoir que peut avoir une comédie.

Cette dimension critique du théâtre comique ne s’est jamais démentie. On la rencontre jusque dans le théâtre contemporain. Ainsi, Yasmina Réza, dans sa pièce Art, créée en 1994, fait la satire des mœurs de ses contemporains, qui mêlent sans scrupule ambition, compétition et image sociale. Ainsi, la pièce s’ouvre sur un dialogue, au comique grinçant, à propos du tableau d’un peintre moderne : une toile blanche, qui va révéler les tension entre les trois amis. Sur un thème beaucoup plus grave, la farce Mein Kampf, créée en 1987 par George Tabori, utilise l’arme de la dérision pour dénoncer l’horreur du nazisme.

Le comique permet ainsi une critique de la société, mais certains écrivains l’utilisent également pour critiquer le langage lui-même, impuissant à améliorer l’existence humaine.

 

Les aspects comiques d’une pièce de théâtre peuvent aussi mettre en évidence l’absurdité de la vie et la faillite du langage face à la réalité.

Le langage ne parvient pas toujours à être en accord avec la réalité. Dans la célèbre tirade de « god-dam « du Mariage de figaro, le valet montre l’écart qui existe parfois entre les mots et la réalité évoquée. Ainsi, lorsqu’il s’imagine demandant « un bon poulet gras « grâce à ce mot, « God-dam «, qui est selon lui « tout le fond de la langue «, il ne reçoit qu’ « un pied de bœuf salé sans pain «. Beaumarchais traite déjà ici, sur le ton de la bouffonnerie, de la difficulté de communiquer.

A partir de la deuxième moitié du XXe siècle, après les horreurs des deux guerres mondiales et de l’holocauste, le théâtre de l’absurde exprime l’angoisse et la dérision à travers la farce et l’humour noir. Ainsi, Beckett, dans En attendant Godot, montre la dérision des actions et des mots, impuissants à combler le vide de l’existence des deux protagonistes, les clochards Vladimir et Estragon. Toutes les formes de comique sont certes présentes dans cette pièce, mais il s’agit de l’humour du désespoir.

Dans La Leçon de Ionesco, le dialogue entre le professeur et l’élève ne parvient pas à établir un lien de communication entre les deux et, si le spectateur sourit, c’est de l’écart manifeste entre le pédantisme du professeur et l’absurdité de ses propos. Dans cette leçon, le langage semble n’exister que pour lui-même et ne plus remplir sa mission de communication. D’ailleurs, le professeur reste totalement hermétique à la souffrance de sa jeune élève. Avec le théâtre de l’absurde, la farce prend une dimension tragique.

Malgré cette dimension tragique, les procédés comiques donnent au spectateur l’occasion de rire de la condition humaine, de prendre du recul par rapport à ses propres angoisses. Le comique de l’absurde joue alors le rôle d’un exutoire.

 

Les aspects comiques d’une pièce de théâtre remplissent donc plusieurs fonctions : la première d’entre elles est certes le divertissement, mais le rire a aussi une portée morale qui confère à la comédie ses lettres de noblesse : par le spectacle des défauts et des ridicules des hommes, la comédie cherche à rendre les spectateurs meilleurs. Mais les aspects comiques peuvent aussi mettre en lumière l’absurdité de la vie et l’impuissance du langage. Le rire se fait alors plus grinçant et peut même prendre une dimension tragique. « Je me presse de rire de tout, de peur d’être obligé d’en pleurer «, dit Figaro au comte Almaviva, dans Le barbier de Séville. Peut-être le spectateur moderne est-il amené à en faire autant.

 

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